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Tuomas Merikoski : “La mode a besoin d’un changement radical”

La mode a besoin d’un bouleversement green, mais par où commencer? Tuomas Merikoski d’AALTO propose vision et solutions à NYLON, vers un vestiaire responsable.

La mode et le développement durable ne vont pas toujours de pair. La mode est basée sur la nouveauté et sur sa propre réinvention constante, et du point de vue de la planète, c’est un non-sens en termes de consommation et de pollution. Mais tout n’est pas perdu : si l’engagement de la mode à être plus responsable sur le plan environnemental a souvent été du bull**** – faut être honnête ! –, certain.e.s créateur.rice.s s’efforcent de faire la différence et d’inspirer un changement qui, je l’espère, ouvrira les yeux de l’industrie dans son ensemble et lui permettra de rattraper son retard.

Parmi ces designers, on trouve Tuomas Merikoski. Le Finlandais basé à Paris a lancé sa marque AALTO en 2014 et s’est depuis concentré sur la mise en avant de son héritage à travers des designs architecturaux et une nouvelle approche de la mode. L’année dernière, Tuomas a passé un cap en matière de développement durable en lançant Recoded, une division spéciale d’AALTO qui se concentre sur une approche 100 % upcyclée et durable de la création d’une collection. NYLONl’a rencontré dans l’atelier AALTO à Paris pour en savoir plus.

Peux-tu nous raconter la naissance de la marque ?

Je suis originaire de Finlande, donc je pense que c’est de là qu’est venue l’idée originale, mais j’ai travaillé dans la mode ici à Paris pendant environ quinze ans avant de créer AALTO. Pendant cette période, j’ai acquis beaucoup d’expérience en travaillant pour de grandes marques, mais j’ai toujours cultivé ma propre identité. Je voulais juste savoir qui j’étais, je ne voulais pas me perdre dans l’identité d’autres designers. À un moment, j’ai senti que j’avais besoin de faire quelque chose, et que ce quelque chose devait être lié d’une manière ou d’une autre à mes origines, mais avec une perspective internationale. 

Quand t’es-tu découvert en tant que designer ? 

Très tard, je dirais. Je n’étais pas du genre à dessiner des vêtements ou à m’habiller avec style à l’âge de 5 ans. Très tôt, j’ai voulu trouver un moyen de me démarquer de la norme. Quand j’étais plus jeune, je m’intéressais plus à la musique, au graphisme… J’étais vraiment dans la culture millennial, je traînais dans des soirées alternatives. Ce n’est qu’à 16 ou 17 ans que j’ai commencé à être attiré par la mode. 

C’est à ce moment-là que tu as commencé à dessiner ou est-ce venu plus tard ?

Oh non ! À ce moment-là, j’organisais des soirées, je faisais de la musique et j’explorais le graphisme en créant des flyers et d’autres choses de ce genre. Mais même si je n’étais pas encore styliste, c’est à ce moment-là que la mode a éveillé mon intérêt. Une fois que j’ai décidé de me lancer, j’ai su que je devais en apprendre davantage sur le sujet, alors j’ai suivi une formation de modélisme pour apprendre les vraies bases de la création de mode et c’est à partir de ce moment-là que j’ai su que je voulais être styliste. Ce n’était qu’une étape pour apprendre, apprendre le métier et apprendre à le faire. 

Si AALTO était une personne, comment décrirais-tu sa personnalité ? 

Je dirais que c’est la façon dont je vois l’identité finlandaise. Une personne très ancrée dans la nature et la planète, mais en même temps très urbaine et très éduquée. Cela ne veut pas forcément dire qu’il faut avoir un diplôme ou quoi que ce soit, mais quelqu’un de très éduqué dans la vie. Et puis quelqu’un qui est aussi un peu sauvage. Quelqu’un qui veut exister en tant qu’individu et qui a le courage de s’habiller un peu en dehors de la norme, quelqu’un qui n’est pas nécessairement préoccupé par une tenue qui lui donne les proportions les plus fines, quelqu’un qui est prêt à tout essayer, et qui essaie de combiner la rugosité de la vie quotidienne avec l’expression de la mode. Ajoute un petit côté funky et voilà !

Quels aspects de ta propre personnalité penses-tu qu’AALTO porte ? 

La partie finlandaise bien sûr. En Finlande, nous ne faisons pas vraiment de small talk, nous sommes très crus. J’adore le mot “cru” en français parce qu’il peut avoir plusieurs sens, comme brut et sans filtre mais aussi pour parler d’un vin. Donc oui, moi et AALTO, nous partageons ce côté finlandais très direct, sans langue de bois ni messages cachés, mais toujours intellectuel et avec une street cred. On va droit au but.

Parlons de la collection AALTO Recoded : peux-tu nous dire en quoi elle consiste ? 

J’aime l’appeler un système. D’un point de vue créatif et stylistique, Recoded est une collection AALTO, mais la façon dont elle est fabriquée en fait un système à part entière, différent de tous les autres. Ce système s’articule autour de deux axes différents. Le premier est qu’il n’y a pas de matériaux vierges dans le processus de production, tout est recyclé après consommation ou certifié recyclé, mais au moins 90 % est recyclé après consommation, ce qui signifie qu’à partir de tous les matériaux que nous utilisons, il n’y a plus d’empreinte carbone. C’est même un double impact positif, parce que nous proposons quelque chose qui remplace un produit neuf. Notre produit est un nouveau produit mais il n’est pas fabriqué avec de nouveaux matériaux, c’est un win win ! 

Le deuxième point, c’est un accès numérique unique aux infos sur nos produits. Tu peux scanner n’importe quel produit Recoded et tu pourras accéder à une photo, aux instructions d’entretien, aux inspirations, aux explications, et tout cela sera lié au vêtement pour toujours. Il s’agit de traçabilité et de transparence, d’informations qui resteront dans le produit tout au long de son cycle de vie. L’idée est partie du fait que, par exemple, j’adore Prada, mais j’ai acheté une veste chez eux il y a huit ou dix ans et aujourd’hui, je n’ai aucune idée de la collection à laquelle elle appartient et il n’y a pratiquement aucun moyen pour moi de trouver cette information. Je pense que lorsqu’on achète un produit de luxe, lorsqu’on achète un modèle qui a une valeur ajoutée pour la marque, on devrait pouvoir sortir du magasin en ayant accès à toutes les informations concernant ce produit. Je veux connaître l’histoire de cette collection, l’histoire de cette pièce ou de ce look, savoir comment vivre avec ce produit, comment le laver, comment en prendre soin et avoir la trace de ces informations jusqu’à la fin, et pas seulement au moment de l’achat. 

Il s’agit de transparence et de partage d’informations sur la mode afin que le client comprenne vraiment la valeur de chaque pièce qu’il achète. Personne ne sait exactement combien de pièces ou combien d’argent tu as investi dans ta garde-robe, mais si tu compares cela à la technologie, par exemple, tu peux consulter le modèle exact de ton téléphone et de ton ordinateur et savoir exactement quand tu l’as acheté, ce qui te permet de comprendre leur valeur et même de les apprécier davantage.

la mode pollue énormément et je pense qu’il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire aujourd’hui pour changer cela lentement, mais même ces choses-là doivent être des mouvements radicaux

Quand le développement durable est-il devenu un véritable sujet de discussion au sein d’AALTO ? La marque porte-t-elle ces valeurs depuis sa création ?

Ces valeurs existent depuis longtemps. Nous avons toujours été proactif.ve.s et avons essayé d’avoir une perspective créative sur ce sujet. Par exemple, lorsque nous avons fabriqué des vestes en duvet, nous avons dès le départ cherché à utiliser des matériaux recyclés après consommation.

Nous avons utilisé ce système de reconditionnement pour nos ventes en ligne, où il nous arrivait même d’en faire des accessoires et des vêtements. Depuis 2017, nous n’utilisons plus que du papier recyclé. Il y a donc eu ces petites initiatives, mais le monde évolue et je pense que nous devons être beaucoup plus clairs sur ce qui est responsable et ce qui ne l’est pas. C’est pourquoi j’ai une ligne directrice très claire, et c’est Recoded.

Penses-tu que ces lignes directrices finiront par s’appliquer à l’ensemble des processus de la marque ?

Je pense sincèrement que Recoded devrait s’appliquer au monde entier, et pas seulement à la marque !

Penses-tu que l’industrie de la mode puisse un jour être réellement durable ?

Non. Je veux dire, il faudrait tout arrêter, et là, nous serions durables. De manière réaliste, je pense qu’il faut arrêter les conneries et le greenwashing et regarder la réalité en face : la mode pollue énormément et je pense qu’il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire aujourd’hui pour changer cela lentement, mais même ces choses-là doivent être des mouvements radicaux. J’essaie d’être radical. Recoded est un moyen de guider ces changements radicaux et je pense que c’est aussi la preuve que ce système peut fonctionner à l’échelle des très grandes marques. Mais tant qu’il n’y aura pas de législation obligeant l’ensemble de l’industrie à n’utiliser que des matériaux réutilisés, je ne crois pas que nous ayons le droit de dire qu’on fait de la mode circulaire ou quoi que ce soit. Il faut que les choses changent à la base.

Selon toi, quelle est la première mesure que chaque créateur.rice devrait prendre dès maintenant pour faire de la mode une industrie plus durable ? 

Je pense que d’un point de vue plus large et du point de vue des créateur.rice.s, nous devons simplement participer à ces conversations et faire tout ce qui est possible pour aller dans ce sens, mais il est également important de noter que nous ne possédons pas l’industrie – et la plupart ne possèdent même pas leur marque ou la marque pour laquelle iels travaillent. Il est important de se rappeler qu’il y a un aspect commercial et que les choses ne vont pas toujours dans le sens souhaité par le côté artistique et créatif. 

Mais il devrait y avoir au moins un plan d’action et je pense que tout le monde, y compris le public et les client.e.s, devrait pousser en ce sens. Il est clair qu’à l’avenir, le fait d’être responsable n’enlèvera rien au fait d’être créatif.ve, ce qui me rassure sur le fait que nous ne pouvons pas revenir en arrière. 

À ton avis, quels sont les plus grands défis auxquels sont confronté.e.s aujourd’hui les jeunes créateur.rice.s ?

Le plus gros défi, c’est de monter sa propre boîte. On a l’impression que tout va de plus en plus dans le même panier, les grands groupes, les grandes marques, mais la créativité gagnera toujours dans le domaine de la mode. Il faut toujours de nouvelles choses, donc tout le monde a sa chance. Mais c’est un défi, donc mon conseil, c’est de travailler à la fois l’aspect créatif et l’aspect business, de manière équilibrée.

Quel est le changement que tu attends le plus dans l’industrie de la mode ?

Je pense que la priorité, ce serait un reset total et un changement d’état d’esprit sur la durabilité et la responsabilité. Je suis un peu déçu : durant la pandémie, tout le monde parlait de ce changement et aujourd’hui, rien n’a changé. Tout est redevenu comme avant, ou la situation s’est encore aggravée. Je pense qu’il est temps de se concentrer sur la créativité et le développement réel plutôt que sur le superficiel comme les discours et la visibilité marketing. On ne parle même plus du produit, c’est devenu une sorte de concept abstrait, c’est un peu consternant. 

Y a-t-il un objectif que tu souhaites atteindre avec AALTO à court ou à long terme ? 

J’aimerais que la marque devienne la première maison de couture internationale originaire de Finlande. Cela prendra du temps, bien sûr, mais j’aimerais vraiment apporter ce point de vue finlandais dans le paysage international. Et puis, bien sûr, je veux faire partie de la transformation de cette industrie vers quelque chose de beaucoup plus équilibré et durable. Dans la façon dont nous consommons, dont nous commercialisons les choses, dans le développement des produits mais aussi en tant que personnes, dans nos relations les un.e.s avec les autres… Il y a beaucoup d’espace pour évoluer. 

Quel est le meilleur conseil que tu as reçu sur la façon de travailler dans la mode ?

Il y en a deux. Le premier n’est pas nécessairement un conseil, mais c’est de travailler dur. Et le deuxième, c’est qu’il faut prendre ses propres décisions et éviter de se laisser trop influencer. Car même si tu prends les mauvaises décisions, au moins, tu les as prises toi-même.

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