Peux-tu me parler de ton parcours et de ton travail de recherche sur le corps gros?
Diplômée des Arts Déco en Design Vêtements, j’ai décidé de prendre cette voie tardivement, ne voyant personne à qui m’identifier dans le milieu de la mode en étant grosse, gouine et racisée. J’ai toujours eu du mal à m’habiller, mais on dit que c’est par la contrainte qu’on développe sa créativité, so lucky me ! Déjà petite, le manque d’offre pour me vêtir convenablement m’a forcée à apprendre à coudre. Exclue du système, j’ai dû trouver d’autres stratagèmes pour échapper à la fameuse sous-marque Yessica de chez C&A, qui, cela dit, m’a bien sauvée parfois.
Mes études aux Arts Déco n’ont pas échappé à mes combats quotidiens, la grossophobie étant ancrée dans la société. L’école, qui a fini par devenir un refuge, a d’abord été très violente. Les mannequins de couture non adaptés, les profs grossophobes, racistes et violents, les cours non adaptés, les remarques déplacées m’ont servi de moteur pour mon travail de mémoire et de recherche sur le corps gros. Durant mes 7 ans d’études d’arts/design, on ne m’a jamais donné de références d’images mentionnant le corps gros. J’avais besoin de réécrire l’histoire avec ce prisme, d’aller chercher moi-même mes références, de comprendre pourquoi on nous exclut de partout. À travers l’histoire des images, des modes, de la géopolitique, de la sociologie, on peut tenter de comprendre cette invisibilisation et redonner de la lumière à ces fabuleux corps, et rendre justice à leurs réalisations.
Quelles sont selon toi les iconographies et clichés les plus pernicieux ?
Marlène Schiappa est effectivement l’auteure du torchon le plus pernicieux sur le corps gros (cf. Osez l’amour des rondes), dans lequel elle invite les hommes hétérosexuels à fréquenter des “femmes rondes” parce qu’elles sont “gourmandes et pratiquent les fellations comme personne”. Elle les rassure aussi sur “l’hygiène de la femme ronde” et les prévient que “si lavées régulièrement, le risque d’odeur est moindre”. On y lit toutes sortes d’horreurs, mais cela restera toujours moins nauséabond que ses images pour Playboy. J’exècre l’image de la pin-up, qui serait la seule manière de rendre le corps féminin gros acceptable. Les jupons cachent le ventre et les cuisses, l’hyper-féminité se loge dans un décolleté vertigineux, une taille affinée par effet d’optique, une silhouette en sablier, des talons pour allonger le tout et du volume dans les cheveux pour attirer l’œil loin du double menton. Ce monstre de la féminité excessive illustre assez bien l’obsession de s’habiller pour flatter la silhouette, qui est une manière de faire que personne ne questionne réellement et qui date de l’avènement de la mode “grande taille”, appelée d’abord “Stoutwear” dans les années 1915 aux États-Unis. Puis, je crois que les faux compliments pleins de bonne volonté; “c’est dommage, t’as un si beau visage”, “t’es pas grosse, t’es belle”, “c’est courageux de porter ça” parlent d’eux-mêmes.