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Sophia Lang : Redonner de la lumière à ces fabuleux corps

Alors que la mode semble repartie pour sa maigreur de rigueur, comment continuer à célébrer tous les corps et lutter contre la grossophobie ? NYLON a interviewé la styliste Sophia Lang qui apporte des réponses tangibles et nécessaires.

Tu connais déjà Sophia Lang : tête d’affiche de l’exposition 100% à la Villette en avril dernier, elle était également présente à notre talk NYLON en collaboration avec les Galeries Lafayette l’an dernier sur la mode et les corps, comme elle l’est dans de nombreux endroits où les questions de mode et de visibilité se croisent.

Modèle et styliste, notamment chez Lacoste, elle est aussi activiste contre la grossophobie. Ici, elle souligne les spécificités de la fatphobia à la française, dans la capitale du luxe. Elle interroge le dialogue potentiel entre les corps, le queer, le punk, le DIY. Et elle rêve d’un espace où elle pourrait se concentrer sur “les modes, les corps, les vêtements, la vie, la mort et John Waters”.

Alors que l’époque Kardashian ne jure plus que par l’Ozempic, que la mode semble replonger dans sa sempiternelle maigreur, et que, l’inclusivité n’aura été qu’une tendance de passage (paradoxale car pas assez exclusive), comment “redonner de la lumière à ces fabuleux corps et rendre justice à leurs réalisations” ?

Peux-tu me parler de ton parcours et de ton travail de recherche sur le corps gros?

Diplômée des Arts Déco en Design Vêtements, j’ai décidé de prendre cette voie tardivement, ne voyant personne à qui m’identifier dans le milieu de la mode en étant grosse, gouine et racisée. J’ai toujours eu du mal à m’habiller, mais on dit que c’est par la contrainte qu’on développe sa créativité, so lucky me ! Déjà petite, le manque d’offre pour me vêtir convenablement m’a forcée à apprendre à coudre. Exclue du système, j’ai dû trouver d’autres stratagèmes pour échapper à la fameuse sous-marque Yessica de chez C&A, qui, cela dit, m’a bien sauvée parfois.

Mes études aux Arts Déco n’ont pas échappé à mes combats quotidiens, la grossophobie étant ancrée dans la société. L’école, qui a fini par devenir un refuge, a d’abord été très violente. Les mannequins de couture non adaptés, les profs grossophobes, racistes et violents, les cours non adaptés, les remarques déplacées m’ont servi de moteur pour mon travail de mémoire et de recherche sur le corps gros. Durant mes 7 ans d’études d’arts/design, on ne m’a jamais donné de références d’images mentionnant le corps gros. J’avais besoin de réécrire l’histoire avec ce prisme, d’aller chercher moi-même mes références, de comprendre pourquoi on nous exclut de partout. À travers l’histoire des images, des modes, de la géopolitique, de la sociologie, on peut tenter de comprendre cette invisibilisation et redonner de la lumière à ces fabuleux corps, et rendre justice à leurs réalisations.

Quelles sont selon toi les iconographies et clichés les plus pernicieux ?

Marlène Schiappa est effectivement l’auteure du torchon le plus pernicieux sur le corps gros (cf. Osez l’amour des rondes), dans lequel elle invite les hommes hétérosexuels à fréquenter des “femmes rondes” parce qu’elles sont “gourmandes et pratiquent les fellations comme personne”. Elle les rassure aussi sur “l’hygiène de la femme ronde” et les prévient que “si lavées régulièrement, le risque d’odeur est moindre”. On y lit toutes sortes d’horreurs, mais cela restera toujours moins nauséabond que ses images pour Playboy. J’exècre l’image de la pin-up, qui serait la seule manière de rendre le corps féminin gros acceptable. Les jupons cachent le ventre et les cuisses, l’hyper-féminité se loge dans un décolleté vertigineux, une taille affinée par effet d’optique, une silhouette en sablier, des talons pour allonger le tout et du volume dans les cheveux pour attirer l’œil loin du double menton. Ce monstre de la féminité excessive illustre assez bien l’obsession de s’habiller pour flatter la silhouette, qui est une manière de faire que personne ne questionne réellement et qui date de l’avènement de la mode “grande taille”, appelée d’abord “Stoutwear” dans les années 1915 aux États-Unis. Puis, je crois que les faux compliments pleins de bonne volonté; “c’est dommage, t’as un si beau visage”, “t’es pas grosse, t’es belle”, “c’est courageux de porter ça” parlent d’eux-mêmes.

 

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Y a-t-il une dimension propre à la France, l’un des pays les plus obsédés par la minceur au monde ?

L’éloge de la minceur en France est apparu suite à la guerre, donc je ne sais pas si on peut parler d’une sorte de syndrome de Stockholm ? Un PTSD générationnel ? Une sorte de fardeau qui se transmet principalement de mère en fille ? En France, nous pouvions payer pour aller voir “La femme la plus grosse du monde” au cirque jusqu’en 1996. Je ne sais pas s’il est nécessaire que j’explique en quoi ça peut poser problème jusqu’à aujourd’hui…

En quoi les théories queer ont-elles accompagné ton parcours ?

Les théories queers et les fat studies se sont donné le mot pour me libérer de mon poids, de mes poids peut-être. Exister en tant que femme, grosse, gouine et racisée vient avec son lot de défis, et grâce aux lectures de Judith Butler, Leslie Feinberg, Joan Nestle, Sabrina Strings entre autres, j’ai pu trouver ma place et donner sens à ma vie. Faire communauté est jusqu’à présent mon mécanisme de survie le plus sain, je m’y accroche !

Tu viens des scènes punk, peux-tu m’en parler, qu’est-ce que cela a pu nourrir et accompagner dans ton travail ?

Ce qui me fascine dans le punk, c’est le DIY, cette idée qu’on peut tout faire tout seul sans l’aide de personne, surtout sans l’institution. Cette marginalité choisie, l’anti-système que j’ai découvert aux prémisses de mon adolescence m’a donné le goût d’observer le monde toujours avec clarté et une porte de sortie. La première réalisation a été liée aux vêtements : “Il n’y a aucune offre à ma taille ? Bah je vais apprendre à coudre !”. C’est une manière de penser et de vivre qui m’est très précieuse. Je suis également bassiste, je faisais partie d’un girl band quand j’étais ado, et l’esprit d’équipe que j’ai appris avec ces filles m’est aussi venu du punk – on ne laisse tomber personne et je trouve ça toujours très beau !

Dans ton travail, quels défis essaies-tu de mettre en place ? Tu parlais de ce que l’on appelle “flatter” qui revient à une assimilation au corps mince notamment ?

Dans mon travail, j’essaie de m’éloigner de la flatterie, effectivement. J’essaie de penser le vêtement en termes de toucher, sensation, évocation et humour. Le corps est un super support, qui diffère entre chaque personne, ça me semble fou de vouloir tout standardiser et flatter pour faire ressembler toutes les silhouettes à un seul modèle validé par la société comme étant beau. Ce qui ne signifie pas que je ne cherche pas le beau pour autant, je crois simplement que j’ai appris à le voir différemment et partout. Un autre défi que j’entretiens depuis mes études est la recherche constante d’images et de représentations dans l’histoire.

 

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Pour découvrir le travail de Sophia Lang et la suivre sur Instagram, rendez-vous ici.

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