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Pourquoi la mode est-elle si lente à célébrer les pop stars racisées ?

Des Destiny's Child à Aya Nakamura en passant par Nicki Minaj, pourquoi les stars racisées luttent-elles encore et toujours pour obtenir la reconnaissance qu'elles méritent dans le monde de la mode ?

Il y a quelques semaines, je suis tombé dans un rabbit hole sur YouTube et j’ai atterri sur une interview de Nicki Minaj avec Joe Budden . Un échange vraiment génial : les réflexions de Nicki sur sa propre image et sa propre carrière sont tout simplement incroyables à découvrir. Une des parties qui a vraiment attiré mon attention est celle où Nicki s’adresse à l’industrie de la mode, pointant que celle-ci ne lui donne pas assez de crédit et de reconnaissance pour sa contribution en tant qu’icône pop incontestable. 

Nicki Minaj a offert un point de vue unique en matière de mode tout au long de sa carrière, elle a été copiée à gauche et à droite, et elle n’a jamais reçu aucun crédit en tant qu’instigatrice de tendances : un problème qui a été un dénominateur commun dans la carrière de nombreuses autres pop stars, en particulier les pop stars non blanches. 

Cela fait maintenant douze ans que tu as entendu pour la première fois le tube astronomique « Super Bass ». Au cours de ces douze années, le monde a vu Miss Minaj devenir non seulement la reine du rap, mais aussi naviguer dans l’industrie de la mode en tant que femme noire, issue d’un milieu non privilégié et dont l’image et le corps ne sont pas considérés comme glamours par les gardiens de l’industrie. Malgré tout, elle a été au premier rang de défilés de mode, a participé au MET Gala, a fait une collaboration avec Fendi – qui aura été sold out en quelques heures, malgré le prix stratosphérique. Et pourtant, d’autres “trophées” accordés à ses homologues blanches – des couvertures de magazines de mode ou de luxe, des campagnes de grandes maisons de mode et de beauté – n’ont jamais été proposés à Nicki, ou alors beaucoup plus tard. 

En quoi cela est-il important ? Dans le show-business, les accords et les collaborations avec les marques de mode et de beauté fonctionnent presque de la même manière que le sponsoring d’un.e athlète. Ce sont les véritables sources de revenus, qui peuvent aider un.e artiste à élever sa carrière à un niveau bien supérieur.

Un problème déjà vu à maintes reprises 

Historiquement, cet échec de l’industrie de la mode est un phénomène qui s’est produit à maintes reprises. L’un des exemples les plus marquants de l’ignorance de l’industrie à l’égard des pop stars noires est sans doute celui des Destiny’s Child. Le girls band emblématique est resté en activité de 1990 à 2006, atteignant son apogée en 1998. Les sons, les rythmes, les pas de danse et surtout la mode créés par le groupe ont changé le cours de l’histoire de la culture pop et sont constamment reproduits par l’industrie de la mode jusqu’aujourd’hui. 

Bien sûr, avec le revival Y2K, alors que la pop culture accepte (relativement) plus les femmes racisées, il est plus facile de célébrer les clichés vintage de Kelly, Michelle et Beyoncé – mais cela ne change rien au fait que ces femmes ont été complètement ignorées par l’industrie de la mode lorsqu’elles étaient des stars montantes, notamment Tina Knowles – alias la Queen Mother, le cerveau derrière la direction artistique et l’exécution des looks des filles – qui n’a pas encore été reconnue à sa juste valeur en tant que créatrice de mode. 

“Si l’on prend l’exemple des années 90 et 2000, pendant un certain temps, tout tournait autour du concept ‘d’héroïne chic’ avec l’idée de ne pas tomber dans le cliché. Les pop stars racisées de l’époque étaient des femmes dont les corps étaient fièrement plus voluptueux, qui ne correspondaient pas aux critères de la mode, de sorte que les seuls corps noirs acceptés étaient ceux de mannequins comme Naomi Campbell, qui offrait une image fierce presque inaccessible, à laquelle peu de femmes noires étaient associées à l’époque, même si Naomi était une excellente ambassadrice de la communauté noire”, estime Mélody Thomas, journaliste de mode et auteure du livre La mode est politique.

On se souvient du fameux speech de Beyoncé en recevant l’Icon Award aux CFDA Fashion Awards en 2016 : “Quand on a démarré avec Destiny’s Child, les grandes marques ne se bousculaient pas pour habiller quatre filles de la campagne avec des formes, et nous ne pouvions pas nous offrir des robes de créateurs. Ma mère a été rejetée de tous les showrooms de New York. Ma mère et mon oncle Johnny […] ont confectionné tous nos premiers costumes, cousant eux-mêmes des centaines de cristaux et de perles, en mettant de la passion et de l’amour dans chaque petit détail.”

Les exemples sont nombreux. De Lil’ Kim, qui a réinventé et s’est réapproprié les codes et les objets du luxe à la Dapper Dan, en passant par Rihanna, qui a construit son héritage mode par son propre mérite et un empire de marques autoproduites, jusqu’à Diana Ross et Grace Jones, la façon dont ces stars ont été exclues par la mode jusqu’à un moment avancé de leur carrière n’est pas un hasard. 

Pourquoi la mode continue-t-elle à snober ces stars ?  

Avoir le bon “pedigree” est quelque chose de très important dans la mode. Dans un secteur où la culture a toujours été ancrée dans l’élitisme – ce qui se traduit le plus souvent par du racisme –, il est essentiel d’avoir le bon look, la bonne attitude et être financièrement à l’aise pour se retrouver dans une position favorable. Paradoxalement, la mode repose aussi complètement sur la pertinence culturelle… Et en ce moment, la pertinence culturelle n’est plus du côté de l’élite. Aujourd’hui, avec l’essor des réseaux sociaux, les tendances de la mode proviennent principalement de la rue (ou de TikTok) et arrivent ensuite sur le feed des célébrités, des influenceur.se.s et des défilés de mode. Il est évident qu’avec ce changement, la mode ne peut plus ignorer ces personnalités qui occupent une place si importante dans la conversation culturelle et qui sont des créatrices de tendances à part entière. 

Les corps des femmes racisées – en particulier ceux des femmes noires – sont soumis à des critères plus stricts pour être inclus dans cet idéal de “ce qui est à la mode”. “Un produit, lorsqu’il est porté par une personne de couleur, selon les normes de l’industrie, perd sa valeur ‘premium’, il devient ‘ghetto’ et ‘street’. Il y a donc beaucoup de marques de luxe qui ont préféré ne pas être associées pendant très longtemps aux personnes noires et de couleur parce qu’elles ont encore cette image de ces communautés comme étant inférieures, qui ne correspondent pas aux normes de beauté, de classe et à l’image d’une clientèle ‘désirée’ qu’elles veulent cibler. C’est pourquoi, dans les années 90, quelques marques ont décidé de se rebrander complètement lorsqu’elles ont remarqué que leurs produits étaient portés par des personnes issues de ces communautés ou simplement pour la couleur de leur peau. Il existe encore cette notion selon laquelle l’image d’une personne noire peut dévaloriser un produit ou une marque”, explique Mélody. 

En France, l’exemple le plus clair de ce double standard est sans doute celui d’Aya Nakamura. Depuis qu’elle a vu sa carrière exploser en 2018, et malgré le titre d’artiste française la plus écoutée au monde, Aya Nakamura a attendu fin 2021 pour faire la couverture d’une grande publication de mode, et mi-2021 pour un partenariat avec une marque de luxe, ce qui est arrivé bien plus tard par rapport à ses homologues blanches si l’on compare le niveau de succès qu’elle a atteint dans le monde entier en tant qu’artiste française. 

Aujourd’hui, tu ne peux pas ignorer l’influence de figures comme Nicki Minaj ou Beyoncé, qui apportent des chiffres stratosphériques en termes de visibilité pour ta marque.

Mélody Thomas

 

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Est-ce que cela changera un jour ? 

Il y a clairement des marques, des designers et des organisations qui font des efforts aujourd’hui. De grandes maisons européennes comme Moschino, Balmain, Burberry et Mugler, avec l’aide de leurs directeurs de création respectifs, ont changé leur discours pour se rapprocher de celui de la pop culture, adopter des stars non blanches et s’ouvrir à un public précieux qui était auparavant complètement ignoré. Une mention spéciale pour Olivier Rousteing, qui, jusqu’à l’arrivée de Rihanna chez Fenty, de Kanye chez Yeezy et de Virgil Abloh chez Louis Vuitton, a été pendant longtemps le seul créateur noir à diriger une maison de mode européenne. À la tête de Balmain, il a été le fer de lance de ce changement en intégrant une légion de stars dans son Army – et ce, en rapprochant une maison de couture du public d’une manière qui n’avait jamais été faite auparavant (ces dernières années, Balmain a rempli non pas un mais trois lieux de festival à Paris avec des présentations hybrides défilé de mode/concert accessibles au public). Dans cette ère post-réseaux sociaux et post-pandémie, cette proximité avec le public est plus essentielle que jamais pour les marques de mode. Selon Mélody, “il y a une différence de traitement entre les décennies passées et aujourd’hui, mais ce n’est pas forcément parce que les mentalités des marques ont changé. Ce sont plutôt les consommateurs qui ont changé. Aujourd’hui, tu ne peux pas ignorer l’influence de figures comme Nicki Minaj ou Beyoncé, qui apportent des chiffres stratosphériques en termes de visibilité pour ta marque.” 

Il y a une évolution indéniable dans la façon dont nos pop stars préférées sont vues et traitées aujourd’hui par rapport aux décennies passées ou même à quelques années auparavant, mais la mode a encore un long chemin à parcourir. Au-delà de la compétitivité, il est plus que temps que les femmes de couleur reçoivent les mêmes crédits et la même célébration dans les médias, à la même vitesse que les stars blanches. La culture pop en général évolue vers un état d’esprit plus diversifié, plus tolérant et moins snob, et cela devrait se refléter dans toutes les sphères de l’industrie de la mode. Pour 2022 et au-delà, les carrés noirs sur Instagram, l’illusion d’inclusivité et l’activisme performatif ne suffiront plus longtemps. 

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