Un problème déjà vu à maintes reprises
Historiquement, cet échec de l’industrie de la mode est un phénomène qui s’est produit à maintes reprises. L’un des exemples les plus marquants de l’ignorance de l’industrie à l’égard des pop stars noires est sans doute celui des Destiny’s Child. Le girls band emblématique est resté en activité de 1990 à 2006, atteignant son apogée en 1998. Les sons, les rythmes, les pas de danse et surtout la mode créés par le groupe ont changé le cours de l’histoire de la culture pop et sont constamment reproduits par l’industrie de la mode jusqu’aujourd’hui.
Bien sûr, avec le revival Y2K, alors que la pop culture accepte (relativement) plus les femmes racisées, il est plus facile de célébrer les clichés vintage de Kelly, Michelle et Beyoncé – mais cela ne change rien au fait que ces femmes ont été complètement ignorées par l’industrie de la mode lorsqu’elles étaient des stars montantes, notamment Tina Knowles – alias la Queen Mother, le cerveau derrière la direction artistique et l’exécution des looks des filles – qui n’a pas encore été reconnue à sa juste valeur en tant que créatrice de mode.
“Si l’on prend l’exemple des années 90 et 2000, pendant un certain temps, tout tournait autour du concept ‘d’héroïne chic’ avec l’idée de ne pas tomber dans le cliché. Les pop stars racisées de l’époque étaient des femmes dont les corps étaient fièrement plus voluptueux, qui ne correspondaient pas aux critères de la mode, de sorte que les seuls corps noirs acceptés étaient ceux de mannequins comme Naomi Campbell, qui offrait une image fierce presque inaccessible, à laquelle peu de femmes noires étaient associées à l’époque, même si Naomi était une excellente ambassadrice de la communauté noire”, estime Mélody Thomas, journaliste de mode et auteure du livre La mode est politique.
On se souvient du fameux speech de Beyoncé en recevant l’Icon Award aux CFDA Fashion Awards en 2016 : “Quand on a démarré avec Destiny’s Child, les grandes marques ne se bousculaient pas pour habiller quatre filles de la campagne avec des formes, et nous ne pouvions pas nous offrir des robes de créateurs. Ma mère a été rejetée de tous les showrooms de New York. Ma mère et mon oncle Johnny […] ont confectionné tous nos premiers costumes, cousant eux-mêmes des centaines de cristaux et de perles, en mettant de la passion et de l’amour dans chaque petit détail.”
Les exemples sont nombreux. De Lil’ Kim, qui a réinventé et s’est réapproprié les codes et les objets du luxe à la Dapper Dan, en passant par Rihanna, qui a construit son héritage mode par son propre mérite et un empire de marques autoproduites, jusqu’à Diana Ross et Grace Jones, la façon dont ces stars ont été exclues par la mode jusqu’à un moment avancé de leur carrière n’est pas un hasard.