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Pourquoi j’ai décidé d’effacer mon ghost account

Fini d’épier masqué.e celleux à qui je refuse de lâcher une vue… Ou pourquoi j’ai voulu déconstruire ce mode de surveillance normalisé.

© Netflix

Avec mon ex, on s’était bloquées de partout. Officiellement du moins. On avait fait ça de façon guillotinaire, à la fin d’un énième coup de fil plus tendu que Mercure en rétrograde. Ce qui ne m’a évidemment pas empêchée de mourir d’envie, 24 heures plus tard, de connaître chacun de ses mouvements, afin de deviner si elle avait déjà avancé, fini son deuil, en passe de me remplacer par une autre dont j’étais déjà jalouse.

Alors je l’ai d’abord épiée depuis mon deuxième compte, dédié à ma passion pour les chats en costumes de Buffy. Puis, je me suis rendu compte qu’elle pouvait trop facilement me retracer par celui-ci (je m’en servais pour laisser des commentaires élogieux sur mon Rinsta, compte principal, ni vue ni connue, futé non ?). Alors finalement, je l’ai follow depuis mon ghost account. À savoir : un compte fantôme Instagram qui ne fait que suivre d’autres abonné.e.s, ne publie aucun contenu et sert d’alter ego masqué à ton compte officiel – qui, lui, au contraire, donne à voir un panorama lissé et policé de ta vie et tes interactions. Aucune photo, un nom cryptique, aucun follower.

@kardashquotes Imagine Kim following you on her finsta #fyp #kimkardashian #finsta ♬ original sound – Eva

Ce qui devait arriver arriva : par cette surveillance fantomatique, j’ai, à mon grand désarroi, fini par faire la connaissance de sa nouvelle girlfriend, micro-influenceuse soucieuse de son microbiote et adepte du skinny dipping au mois de novembre. Les mois ont passé, et j’ai fini par me dire qu’il faudrait tout de même réussir à bloquer cette Miss skinny dipping, qui, tu l’as deviné, m’obsédait totalement. Effacer ce compte, aller de l’avant, dire non à ce petit shot de dopamine quotidien. Jusqu’à ce que je découvre, par mes fines stratégies, un compte mystérieux, première vue de toutes mes stories, qui lui ressemblait étrangement. Nous nous lorgnions mutuellement, tapies dans l’ombre d’Instagram. C’était peut-être la preuve de vulnérabilité qu’il me fallait, j’ai pu passer à autre chose et faire tomber dans le néant des réseaux cette présence fantomatique qui m’obsédait.

J’en ai au passage appris sur moi et sur toute cette génération voyeuriste permise, pour ne pas dire encouragée, par ces applications.

Si Instagram permet d’être à la fois sujet et public, comme le veut le principe des réseaux sociaux, le ghost account, lui, réactualise une figure essentielle de la littérature et de la psychanalyse, celle du voyeur tapi dans le noir qui scrute dans le plus grand des secrets.

Qu’il s’agisse du BDSM, de la littérature d’Alain Robbe-Grillet qui en est imprégnée, de nombreuses sous-cultures sexuelles, et de ce que Freud appelle la “scopophilie”, on découvre aujourd’hui ce que les media studies nomment le “non sexual voyeurism” – source de gratification et de comparaison non négligeable et répandue.

Pour le sociologue Clay Calvert, nous sommes dans une époque où l’absorption et la demande d’images personnelles de l’Autre sont légitimées et facilitées par les réseaux sociaux, la pop culture, la télé-réalité. Il appelle ça le “mediated voyeurism”, ou la comparaison interpersonnelle et sociale “permettant de stratifier son identité, sa place dans un groupe […] sans peur de jugement ou de sanction”. Des pratiques allant main dans la main avec une exhibition encouragée par ces mêmes systèmes et spectacles, qui s’actualisent mutuellement, ajoute Calvert.

Effectivement, cette tension entre montrer et épier se rejoue et se complexifie dans des dynamiques renouvelées sur Instagram. Naissent des trends que tu connais déjà. Je peux te citer le “haunting” : quand tu vois ton ex, qui t’a lâché.e sans rien dire, réapparaître dans les views de tes stories ni vu.e ni connu.e ; ou le “orbiting”, quand cette même personne, sortie de nulle part, te lâche un comment… mais ne t’adresse pas la parole dans la vie. Ou encore le “paperclipping” ou le “breadcrumbing”, cette personne qui fait des va-et-vient dans tes DM, te lâche un “salut toi” avant de redisparaître sans jamais lire ta réponse.

Je me suis interrogée sur ce que j’ai ressenti quand j’ai compris que j’étais épiée en retour : dans quelle mesure ai-je répondu, intériorisé ce gaze 2.0 ? Tout ça ressemble fort à ce que le philosophe Michel Foucault a nommé l’effet du panoptique, ou la conscience d’être surveillé.e par un regard imperceptible social – surveillance, réseaux sociaux. “L’effet du panoptique est d’induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. […] La surveillance est permanente dans ses effets, même si discontinue dans son action.” 

Est-ce que je me régulais, me surveillais, et elle de même ? On ne connaissait rien de l’autre mais le poids était palpable. Les mois ont passé, ma détox est terminée, je n’ai plus que des obsessions que j’affiche en plein jour. Et elle ? Il me semble qu’un microbiote666 just checked my story…

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