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NYLON Trends : Le Book Club

Quand les célébrités et les influenceurs t'incitent à lire !

Avec plus de 196 milliards de vues sur TikTok, le hashtag #BookTok ne cesse de prendre de l’ampleur, et les célébrités s’y mettent à leur tour, du clan Jenner à Dua Lipa, en passant par Oprah. Enquête sur une tendance qui pourrait bien en cacher une autre.

 

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De Diderot à Dua, l’évolution des salons littéraires aux book club

Tout d’abord, l’idée d’un club de lecture n’est pas nouvelle et trouve ses racines au XVIIIe siècle dans ce qu’on appelle les salons littéraires. Les premiers sont antérieurs au XVIIIe, mais l’idée de critique et de promotion d’idées et de textes n’arrive qu’au siècle des Lumières. On y retrouve Diderot, Marivaux et d’autres, invités et payés par les salonnières pour animer ces salons. C’est aussi là que se développe l’art de bien parler et de faire une bonne critique, car les invités sont les premiers lecteurs des textes présentés. Ces salons ont préparé le terreau à la Révolution française, qui fut, contrairement à ce que l’on croit, une révolte des bourgeois contre les aristocrates, visant à démocratiser les Belles Lettres, les Arts, et la Philosophie. Rousseau, un des pères fondateurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, fréquentait notamment le salon d’Holbach, d’où sortit l’Encyclopédie telle qu’on la connaît aujourd’hui. Et ce avant une franche rupture avec les Lumières et un retour à l’obscurantisme, dont Morellet rapporta que “l’on y disait des choses à faire cent fois tomber le tonnerre sur la maison, s’il tombait pour cela”.

 

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Fast forward aux années qui nous concernent, et tu me pardonneras cette ellipse, mais cette résurgence des salons et surtout de la promotion des idées via des livres n’est pas anodine du tout. Avec le phénomène de starification et de ce qu’on pourrait appeler la mondanité du quotidien, nos célébrités et influenceurs.ses préféré.e.s se rendent peut-être compte que le lifestyle ne suffit plus à être accrocheur. Il faut aussi créer une communauté autour d’idées, mais aujourd’hui il est peut-être plus difficile de les partager sans scinder son audience. Il serait facile d’accuser telle ou telle célébrité de promouvoir des ouvrages caractérisés comme idéologiques, alors on se tourne vers la fiction ou le développement personnel. Mais croire que ces deux genres en sont dépourvus, c’est peut-être le premier piège. Personne n’a attendu que Dua Lipa poste ses lectures du moment au sein de son Service95 Book Club pour lire et se renseigner sur la littérature, mais permets-moi de remonter un peu dans le temps et de me pencher sur celles qui ont été les pionnières de cette “tendance du livre” et qui en ont fait une mondanité, j’ai nommé Olympia Le-Tan et Oprah. Cette dernière lance son Oprah’s Book Club en 1996. Ce club ne fait pas l’unanimité des critiques littéraires qui se sentent menacés et tiennent à la remettre à sa place, qu’ils estiment être celle d’une animatrice de télévision plutôt que celle d’une meneuse d’opinion ou de revues. Mais avant de lui jeter la pierre trop facilement, intéressons-nous à ce phénomène qui n’a pas perdu en ampleur depuis son lancement, et constitue l’un des clubs de lecture les plus connus mondialement — regroupant près d’un million d’abonnés sur Instagram. À quoi est dû un tel succès, et comment a-t-elle réussi à se hisser devant les critiques littéraires du New York Times et d’autres rédactions ? Avec un slogan simple et une ambition très terre-à-terre, elle annonce son book club de la façon suivante : “I wanna make America read again”

Déclarant que la lecture fut pour elle son propre chemin vers la liberté, elle ne s’est pas seulement arrêtée à promouvoir la lecture et certains ouvrages, mais s’est réellement engagée pour l’accès aux livres à travers les États-Unis. Qu’il s’agisse de programmes pour faciliter l’accès aux livres aux enfants démunis, d’ouvrir des bibliothèques pour celleux qui ne pouvaient s’acheter un livre, et certains de ses choix pour son club qui propulsèrent nombre d’auteurs.rices inconnu.e.s sur le devant de la scène. Ce tour de force à la Oprah n’aurait pu être possible sans connaître la démographie cible : les femmes de 18 à 54 ans d’abord, et ensuite des actions pour promouvoir toute la pratique, pas seulement le club de lecture, mais la culture littéraire. 

Le livre, cet accessoire fétiche

Mais quel lien avec Olympia Le-Tan ? Une démocratisation en suivant une autre, ce n’était qu’une question de temps avant que quelqu’un s’en empare et la glamourise, refaisant de la lecture une occupation haut de gamme. Après avoir quitté les ateliers de Karl Lagerfeld et parcouru le monde pour mixer et faire vibrer les soirées du monde entier, notre française mi-fashion mi-artsy lance une collection de minaudières et de sacs en forme de livres qui deviendront bientôt l’accessoire de toutes les femmes qui se partagent les tapis rouges.

Et c’est un véritable succès commercial mais pas seulement : tout d’abord, Olympia Le-Tan est la fille d’un illustrateur français connu, mais aussi une remarquable connaisseuse des milieux dans lesquels elle a évolué. Là où l’image de la Parisienne se décrit souvent par un blazer, un mom jean avec un chemisier et un sac assez pratique pour y transporter des bouquins, elle innove. Quoi de mieux que de vendre une minaudière qui laisse directement apparaître le titre d’un ouvrage que l’on aime ou que l’on est en train de lire ? Un distingo culturel important, car loin de les casser, elle les reprend pour les augmenter. Sa première collection “Don’t judge a book by its cover” devient vite l’inverse de ce qu’elle prône par son titre et fait un franc succès commercial. Dès lors, on ne vend plus de la culture à l’état brut, mais une apparence de culture.

C’est ici que commence un vrai changement. On ne cherche plus à propager un goût pour la lecture, mais à l’afficher ostensiblement. Plutôt que de se risquer à reprendre la couverture de livres déjà connus, Olympia, sûre de sa trajectoire commerciale, vient à la jugulaire de son client type. Elle reprend des classiques de la littérature moderne et contemporaine, en passant par “Le Malade imaginaire” de Molière, mais se tourne aussi vers l’art avec les tableaux des Nymphéas de Monet ou “La Nuit étoilée” de Van Gogh. Elle touche en plein cœur et ne rate pas son objectif : créer un objet tout aussi décalé qu’ostentatoire tout en restant dans la pure apparence. Voici le tour de force qu’a réussi Madame Le-Tan.

Du Service95 Book Club aux “Summer Reads” de Miu Miu

Par-delà une vision sociologique de ce que la lecture peut être en tant que capital réinvesti, quand elle devient une distinction, son apparence seule devient un bien que l’on achète — car l’accent n’est plus sur le fait d’avoir compris ou réussi à interpréter une œuvre, mais sur le fait de montrer que nous sommes en train de la lire.

 

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Avec Instagram, Kindle et TikTok, nombre de célébrités qui n’avaient pas fait carrière dans la littérature apparaissent sur leur feed en train de lire, souvent des œuvres dans l’air du temps. Rien de trop risqué pour ne pas s’attirer les foudres d’une wokeness gardienne de la bonne morale, mais aussi rien de trop niche pour ne pas faire l’unanimité. Nous sommes en droit de nous demander si nous avons affaire à leurs propres goûts ou à ceux d’un attaché de presse qui dresse une liste de bouquins capturant ce que nos chères critiques ont appelé de leur temps le “Zeitgeist”, ou “l’esprit du temps” en français. Et ce Zeitgeist est-il dans la pièce avec nous ce soir ? Il ne faut pas oublier que les réseaux sociaux dont on parle sont aussi des places marchandes qui font et défont produits comme tendances. La lecture est-elle revenue à la mode, ou l’image d’un être qui lit avait-elle toujours été l’objet visé par le moyen de celle-ci ? 

À l’heure où nous voyons les marques redoubler d’efforts et investir dans chaque recoin de nos désirs, nous sommes en droit de nous demander si la lecture n’a pas été elle-même poussée par leur agenda pour n’en devenir qu’une apparence. Mais nous ne sommes pas Platon pour condamner les choses sur le tribunal des apparences. Après tout, nous savons que les apparences ont autant de choses à nous apprendre que ce qu’elles cachent derrière leur esthétique léchée sur Instagram. 

D’autant plus quand Miu Miu s’invite chez les bouquinistes emblématiques des quais de Seine mais aussi des quatre coins du monde pour une opération “Summer Reads”. Il aurait été facile de faire passer la griffe la plus en vogue du groupe Prada devant le tribunal des idées pour lui demander de rendre des comptes sur ses intentions à travers une telle opération. Forte de proposition, la marque ne s’est pas contentée de placer les bouquins des éditions qui appartiennent à une maison d’édition de leur groupe, non elle a offert des livres aux passants, notamment des œuvres uniquement écrites par des femmes. Chapeau bas à Miu Miu, car une telle opération aurait pu s’avérer risquée si elle n’avait pas été aussi brillamment menée par la marque. 

 

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Similaire à Library Science, le book club de Kaia Gerber, et à Belletrist, le book club d’Emma Roberts, le Service95 Book Club de Dua Lipa, une initiative qui rassemble les passionné.e.s de lecture du monde entier, représente bien ce double-tranchant entre la valorisation de la lecture et la performance esthétique de celle-ci. Lancé par la superstar de la pop, ce club de lecture transcende les frontières et les cultures, offrant une plateforme où les membres peuvent explorer une sélection de livres soigneusement choisis par Dua elle-même. Chaque mois, le Service95 Book Club propose ainsi des œuvres variées, allant de la fiction contemporaine aux classiques intemporels, en passant par des essais percutants et des mémoires inspirantes. Grâce à des discussions interactives, des interviews d’auteurs.rices et des recommandations personnalisées, le club de lecture de Dua permet sans doute à ses fans de découvrir non seulement de nouvelles perspectives, mais aussi une communauté, unie par une passion commune pour la lecture — et pour leur pop star fav’. En fin de compte, une question brûlante s’impose : doit-on vraiment attendre que tous nos plaisirs, comme le simple plaisir de lire, deviennent des tendances Instagram pour leur accorder le temps qu’ils méritent ? Après tout, la lecture ne se suffit-elle pas à elle-même ?

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