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Love Letter à mes Tabi : le split toe qui rassemble

Say hello to mes bottes Maison Margiela, la it-shoe qui a changé ma vision de la mode forever.

J’avais à peine 15 ans quand j’ai vu cette paire pour la première fois, et j’ai immédiatement été interpellé comme je ne l’avais jamais été envers un vêtement auparavant. Ce n’était plus une question de goûts personnels : lorsque mes yeux se sont posés sur cette paire, j’ai ressenti une sensation ambiguë. Ce qui m’a plu était leur étrangeté ; j’étais intrigué par leur utilité, si c’était réellement flatteur, leur ressemblance à un pied humain ou animal. Je ne savais pas dire si je les aimais ou pas, j’étais juste porté par ce sentiment impossible à décrire clairement.

 

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Une chaussure qui m’a déconstruit

Cette paire a permis une réflexion et une réelle déconstruction dans mon esprit. Je n’arrivais pas à penser à autre chose sur le moment, c’en est devenu obsessionnel, je voulais tout savoir sur la maison, le designer, l’histoire derrière cette paire… C’est la première fois que je me suis réellement plongé dans l’histoire de la mode et je me suis trouvé une réelle passion.

C’est là que j’ai découvert que la tension entre beau et laid a été abordée de différentes manières tout au long de l’histoire de l’art. Que ce soit lors de certains mouvements artistiques comme le réalisme ou le symbolisme au XIXe siècle, des artistes comme Goya, Rodin et Rouault, ou encore l’architecture brutaliste du XXe siècle. Cette question sans fin a permis d’éclairer mes propres interrogations sociétales de façon plus vaste, notamment le besoin de mettre en avant l’importance de la singularité, la place de la surprise, de la différence, des fonctions, des vestiaires.

Cette “simple” paire de chaussures m’a envoyé dans des livres de mode et d’histoire de l’art et m’a poussé à réfléchir à la création d’une pièce aussi iconique. That’s how I fell in love with fashion.

C’est avec cette paire que j’ai réalisé que l’esthétique n’était pas un absolu, que c’était plus qu’une simple quête de beauté, un désir plus complexe, une “familière étrangeté” pour citer Freud. C’est pour cette raison que cette paire fascine autant les gens.

A la rédaction, on est plusieurs à en porter, dont Lucas Dias, le managing editor du magazine, qui a même fait graver une paire sur sa peau. Avec nous, il y a aussi Björk, Cardi B, Karina d’Aespa, et des tonnes d’influenceur.se.s qui envoient du love à Margiela en continu sur le web.

“Une partie de la philosophie de Martin Margiela et de la cofondatrice Jenny Meirens consiste en une remise en question du beau. Au niveau des proportions, au niveau de l’envers, est-ce qu’un vêtement qui a vécu est beau… Margiela, c’est une décontraction de ce qui est considéré comme le bon goût”, estime Julien Sanders, cofondateur de la revue Griffé et vintage dealer aux puces de Saint-Ouen.

Plier, déplier, déconstruire, reconstruire

Une des choses qui m’a toujours fasciné chez Martin Margiela, c’est son talent d’innovation déraciné : il ne cache jamais son jeu de référencement, sa création est avant tout dans la reformulation de choses existantes qui l’ont inspiré. Il a toujours assumé ses références de déconstruction, d’hybridité ou de récupération. Il n’a jamais cru en la création ad nauseam : la mode, pour lui, c’est la circulation des codes, comme la collection Spring-Summer 1997 qui tire son inspiration directe des mannequins Stockman, ou encore la collection Barbie Autumn-Winter 1994 avec le concept “Replica”, avec des vêtements de poupée à taille humaine.

Les Tabi trouvent leur origine dans la culture japonaise. Au XVe siècle, l’ancêtre des tongs, appelé geta, était porté avec des chaussettes car dans leur culture, les pieds nus avaient une connotation sexuelle. Les chaussettes pour geta sont alors conçues de manière à séparer le gros orteil des autres. A cause d’une pénurie de coton et des prix abusifs, elles n’étaient accessibles qu’à la haute société, avant de se répandre plus tard avec le commerce chinois.

Au XXe siècle apparaissent les jika-tabi, qui combinent chaussettes et bottines et s’inspirent de cette forme. Avec une semelle en caoutchouc, ces chaussures étaient utilisées par les travailleurs comme les fermiers, les soldats ou les jardiniers. Leur forme particulière procurait protection et confort pour le pied.

Fast forward jusqu’en 1989. Café de la Gare, Paris. C’est le premier défilé de Maison Martin Margiela, ça se passe dans un théâtre et nombreux sont les gens à l’affût de la première collection de l’ancien assistant de Jean-Paul Gaultier. Le premier mannequin se lance, pied en avant, et la botte Tabi apparaît. Les chaussures des mannequins, dont les semelles ont trempé dans la peinture rouge, permettent de créer un dessin sur le voile qui sert de sol, la signature de cette chaussure mi-botte mi-sabot.  “Je me suis dit qu’il fallait que le public remarque la nouvelle chaussure. Et qu’est-ce qui est plus évident qu’une trace de pas ?”, raconte Martin Margiela.

TABI COMME MANIFESTE

Cette chaussure pour hommes des champs devient une botte pour femmes des villes. Malgré un cuir différent et le même type d’ouverture que son inspiration, elle perd son côté fonctionnel et devient une paire à porter au quotidien. Les Tabi, c’est aussi le premier article qu’on a découvert de la maison. Un véritable statement mais aussi une pièce complexe qui a demandé beaucoup de minutie dans sa confection, désTabilisant certains artisans qui ont refusé de travailler dessus. Chez Atelier Cattelan, une cordonnerie recommandée par la maison, “on respecte cette paire de chaussures car on considère que le travail effectué par les fabricants est extraordinaire. Quand on les démonte entièrement suite à un problème de couture, on réalise qu’il y a un travail très sophistiqué derrière.”

Tout au long de la carrière de Martin Margiela, la chaussure Tabi a été réinterprétée. Par lui-même pour commencer : pour des raisons d’économies, le designer belge repeignait les paires qu’il n’avait pas vendues… La Tabi a été déclinée en ballerines, en talons, en cuissardes, en baskets avec cette collaboration avec Reebok, un grand moment de mode, sans oublier les chaussettes spéciales pour Tabi et les nombreux bijoux inspirés par sa forme (et les gants Tabi, number one sur ma wishlist !). Cette chaussure est devenue une telle signature qu’on la retrouve dans chaque collection Margiela, encore aujourd’hui sous John Galliano.  “Elle dure parce qu’elle fait partie des pièces iconiques de Margiela, mais surtout parce qu’ils ont su la décliner de la bonne façon”, estime Julien Sanders. “Avec la collab Reebok, ils ont réussi à faire une déclinaison qui permet à tout le monde de se retrouver dans le cool à la Margiela.”

THE MARGIELA EFFECT

La Tabi, c’est une révolution, comme tout ce qu’a fait Martin Margiela dans la mode. C’est prouver que tout est faisable, que l’art et la passion passent avant tout, c’est ouvrir une réflexion sans fin. La Tabi a changé la vision de la chaussure, qui est devenue un réel accessoire.

Lorsqu’en 2009, le créateur a décidé de quitter l’industrie de la mode après l’avoir totalement rafraîchie, ce fut un moment très compliqué. Mais la fascination est toujours là. La culture Margiela est toujours vivante, la marque est toujours demandée par les célébrités et la Tabi est quasiment devenue un objet de collection. Quand j’ai acheté ma paire, j’ai reçu trois messages de Tabi owners pour me donner des conseils d’entretien et l’adresse de la bonne cordonnerie.

Ce que j’aime par-dessus tout dans cette paire, c’est l’émotion instantanée qu’elle transmet. Tout le monde va toujours questionner mes goûts quand je les porte, peu importe ce que j’ai d’autre sur le dos. Elle fait réagir, elle ouvre une réflexion, une discussion. C’est l’effet Margiela ! C’est cette émotion qui a construit ma fascination pour la mode et c’est la raison pour laquelle, quand je crée quelque chose d’artistique, ma première pensée va à cette émotion. Qu’elle soit positive ou négative, je veux créer une réaction, je veux intriguer et faire en sorte qu’on se pose des questions.

Love to the Tabi, Love to Martin, Love to Maison Margiela.

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