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L’inclusivité, une tendance comme une autre ?

Les courants de positivity dans la mode sont en fin de course après les promesses d’allier inclusivité et exclusivité – un oxymore impossible pour l’industrie ?

Catwalks, campagnes : la mode fait marche arrière sur l’inclusivité. Que ce soit sur les podiums ou dans les coulisses, toute cette inclusivité dont l’ensemble de l’industrie parlait et se réjouissait – plus particulièrement après l’été 2020 et le mouvement mondial qui a suivi le meurtre de George Floyd – semble avoir été oubliée. Juste comme ça, comme une tendance de plus. 

Alors qu’on pensait que les choses étaient enfin en train de changer, que ce soit sur la couleur de peau, le corps ou les origines sociales, la mode vient nous rappeler qu’elle a toujours l’intention de rester un club exclusif, réservé aux Blanc.he.s, aux minces et aux riches. Si ça peut paraître surprenant vu de l’extérieur, les gens qui travaillent dans l’industrie et qui ne fittent pas avec le modèle – genre moi – s’y attendaient. Les insiders de l’industrie comme les critiques Louis Pisano et Shelby Ivey Christie, la créatrice Stella Jean ou, plus célèbre encore, le super-styliste Law Roach, ont tous.tes dénoncé ce retour en arrière sur les réseaux sociaux. S’il n’est pas nouveau, le phénomène est subtil. Il n’est pas toujours visible, mais il y a des indices qui montrent que cet état d’esprit est en train de prendre le dessus, et aussi pourquoi il ne faut pas non plus perdre tout espoir.

 

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L’inclusivité peut-elle être une tendance ?  

En analysant la question sous l’angle des tendances dans la mode (ce qui est problématique en soi, car l’inclusivité n’est pas et ne devrait jamais être une tendance), on comprend mieux pourquoi ce changement arrive maintenant. Dans la mode, on parle de macrotendance pour désigner une tendance spécifique qui dure entre cinq et dix ans et cette tendance donne généralement forme aux microtendances. Et la macrotendance qui a dominé la mode au cours des six ou sept dernières années, c’est le streetwear. 

Et l’une des grandes valeurs du streetwear, c’est l’inclusivité. Le streetwear n’est pas une tendance créée par les élites, bien au contraire, le streetwear est né dans des communautés qui, pour la plupart, n’étaient ni blanches, ni minces, ni riches, qui étaient souvent complètement ignorées et ostracisées par l’industrie de la mode. Ces communautés ont donc créé leur propre style et une nouvelle définition de la coolitude, qui ne suivait pas l’ensemble des règles de la mode. À l’ère des réseaux sociaux, de l’instant canceling et de l’over-communication, la mode n’avait d’autre choix que d’accueillir les critiques et de créer un espace plus inclusif pour que la tendance survive, et c’est franchement une bonne chose. S’agissait-il d’un mouvement authentique et ouvert ? Pas vraiment, mais il représentait une volonté de changement et c’était déjà un pas dans la bonne direction. Il racontait, reflétait, et récupérait le mouvement de fond de Black Lives Matter, comme le fait toujours la mode, éponge sociale qui canalise les mouvances d’une époque.

Cependant, on voit aujourd’hui que les temps ont changé. Comme chaque macrotendance, le streetwear a atteint son apogée, et commence à lasser – et tout le discours d’inclusivité qui l’accompagnait aussi. La prochaine macrotendance de la mode sera apparemment régie par le mot exclusivité et elle est déjà partout. Il suffit de regarder ton feed TikTok et tu verras des termes comme “old money aesthetic”, “stealth wealth” ou “quiet luxury” partout. Et ça ne s’arrête pas là, on assiste actuellement à une flambée des prix des articles de luxe, on voit des marques qui cherchent des moyens de différencier les types de clients, entre les clients réguliers qui dépensent des montants absurdes dans leurs magasins chaque année, et les clients “one time” ou “entry level”. Ces mêmes marques ont bien sûr cessé quasiment tout effort pour mettre en valeur un quelconque type d’inclusivité, que ce soit au niveau de l’image – runway, campagnes et influenceur.se.s/célébrités – ou en interne – équipes, collaborations indépendantes avec des écrivain.e.s, stylistes, maquilleur.se.s, directeur.rice.s de casting… – prouvant que oui, tout ce discours et cette volonté de changement n’étaient en fait pas sérieux du tout et que la mode a utilisé nos cultures, nos voix, nos corps, nos cheveux et nos cerveaux comme outils marketing pour pousser certains produits à certains moments, rien de plus. Voilà. L’inclusivité était une saveur, un objet de désir comme un autre, une performance, mais pas un basculement social.

Disappointed, but not surprised 

Ces méthodes, qui consistent à utiliser les caractéristiques et la culture d’un certain groupe à des fins de marketing, ne sont malheureusement pas nouvelles dans la mode et le capitalisme. L’aspiration à quelque chose est l’arme la plus puissante de la mode pour créer le désir. Et cette aspiration a toujours été anglée sur un très petit groupe de personnes, qui “font partie du truc”, à la différence de celles et ceux qui n’en font pas partie et celles et ceux qui veulent en faire partie. C’est le fondement de ce que Pierre Bourdieu appelle la distinction, vouloir appartenir à l’élite et se distinguer de la masse par la consommation culturelle et mode – possibilité ouverte seulement aux corps dominants.

En tant que fan de mode depuis tout jeune, ces notions ont toujours été dans ma tête. Dans les années 2000 et 2010, cette notion de la mode comme un club exclusif, plein de gens méchants et de problèmes mesquins, était partout, de Ugly Betty au Diable s’habille en Prada. Le message était clair : la mode n’est pas pour tout le monde et surtout pas pour moi, une personne non blanche, non mince, non riche. Mais j’avais quand même une curiosité gigantesque pour ce monde si éloigné de ma réalité, alors quand est venu le moment de décider ce que j’allais faire de ma vie, la mode est la seule réponse qui m’est venue à l’esprit.

Après quelques années dans l’industrie de la mode, j’ai pu constater que certains de ces petits problèmes vus à l’écran étaient bien réels. C’était moche, mais je suis arrivé au moment où les choses commençaient à prendre une tournure plus positive et même les institutions les plus conservatrices de la mode avaient la pression pour évoluer. Vivre ça de l’intérieur était super excitant. Je voyais de plus en plus de gens qui me ressemblent entrer dans l’industrie, je voyais celles et ceux qui étaient déjà là recevoir les opportunités qu’iels méritaient, j’ai eu le sentiment qu’il y avait vraiment un changement dans l’air et que les outsiders allaient pouvoir, pour une fois, devenir des insiders. Mais ça n’a pas duré.

Au bout d’un moment – surtout après l’été 2020, lorsque le sujet était incontournable –, il est devenu clair qu’une bonne partie de cette inclusivité n’était que de l’esbroufe. L’inclusivité, avec la pression des réseaux sociaux et des personnes qui se sont durement battues pour ça pendant des années à l’intérieur de l’industrie, est devenue une sorte de nouvelle norme pendant un temps. 

A ce moment-là, c’était non négociable et honnêtement juste ridicule de ne pas être inclusif, et cela a poussé certaines institutions dans tous les domaines – magazines, marques, agences de communication – à agir, souvent de manière improvisée, pour l’inclusivité, en faisant bien sûr le strict minimum pour éviter de se faire canceled par Internet. Et c’est pour ça que je ne suis pas surpris par ce qui se passe aujourd’hui. 

Dès le début, beaucoup de gens dans l’industrie ont montré qu’iels n’avaient pas envie de plus d’inclusivité. Ces personnes attendaient juste que le mouvement perde de l’élan pour revenir aux méthodes du passé et faire comme si rien ne s’était passé. En interne, on voit les portes se refermer pour les gens qui ne sont pas du “club”, l’inclusivité corporelle sur les podiums de cette saison dans les quatre capitales de la mode est tombée à seulement 0,6 % selon une étude réalisée par Vogue Business et l’industrie prend de plus en plus le chemin du passé.

Et maintenant ?

Alors, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Tout espoir est-il perdu ? On revient comme avant and that’s it ? Ce sont des questions que je me pose, et même si je ne suis pas devin, je suis persuadé que nous ne pouvons pas revenir à une industrie exclusive, du moins pas complètement, et ce pour plusieurs raisons. La première est que l’inclusivité n’est pas une tendance. Certain.e.s le voudraient mais non, c’est juste pas possible. L’inclusivité est une valeur qui est maintenant profondément ancrée dans la façon dont beaucoup de gens consomment et voient les choses, et ça, ce besoin constant d’être cool et de faire de l’argent est quelque chose dont la mode ne pourra jamais s’éloigner. Plus que jamais, les gens veulent des produits qui leur correspondent et ne sont pas prêts à donner leur argent à n’importe qui.

La deuxième raison, c’est que nous ne sommes plus en 2006 et que les comportements façon Le diable s’habille en Prada ou Mean Girls ne rapporte plus de cool points. Notre société a définitivement cessé de considérer l’intimidation comme un truc cool et je ne pense pas que ça changera de sitôt. La sensibilisation à la santé mentale est – heureusement – à son plus haut niveau et c’est quelque chose que la mode ne peut pas ignorer. Elle essaie parfois, mais la mode ne peut exister sans être liée à l’état d’esprit général de la société. Alors, tant que les personnes issues des minorités continueront à se battre sur ces questions, la mode n’aura pas d’autre choix que de les prendre en compte. Ere la plus terrifiante de toutes, celle du late capitalism, ou du capitalisme de la minorité, du trauma, de la cause politique, de l’Autre, instrumentalisé et sitôt oublié.

Ce qui me mène à mon troisième point, et c’est le plus important : il ne faut pas oublier que les contributions de toutes celles et ceux qui n’appartiennent pas au “club” existent toujours et sont extrêmement précieuses. Il se peut que nous fassions quelques pas en arrière et que les choses deviennent un peu plus compliquées pendant un certain temps, mais la bonne nouvelle, c’est que nous avons fait la preuve de notre valeur dans l’ensemble de cette industrie. Ces contributions sont nécessaires, et c’est quelque chose dont l’industrie de la mode ne peut pas se passer non plus. Ces groupes ont enfoncé les portes fermées et continueront à le faire, quoi qu’il arrive. Plus que jamais, il ne faut pas baisser les bras et continuer à se battre pour ces valeurs. La mode n’est plus dictée par un groupe spécifique de personnes, elle est dictée par la culture et la culture, ce sont des gens. La mode, c’est une conversation constante entre différentes cultures, idées et points de vue, il faut le rappeler de temps à autre à toutes celles et ceux qui travaillent dans cette industrie : il n’y a pas de dialogue dans l’homogénéité.

 

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