Le Virage Country de Beyoncé & Lana Del Rey : Une Affaire Personnelle
Ce basculement en dit davantage sur ces deux artistes que sur l'industrie musicale elle-même.
Ce basculement en dit davantage sur ces deux artistes que sur l'industrie musicale elle-même.
Pour la première fois depuis des lustres, la musique country redevient en vogue. Ces dernières semaines ont été marquées par l’annonce, de la part de Lana Del Rey et Beyoncé, de leurs nouveaux albums country, tandis que Luke Combs, Zach Bryan et Kacey Musgraves caracolent en tête des charts. “L’industrie de la musique se countryfie, nous nous countryfions”, a même proclamé Lana dans un élan de prescience lors de la présentation de son album. Pour une fois, le courant dominant de la musique prend le contre-pied : ce n’est plus la musique country qui se popifie, mais la pop qui se countryfie.
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Cependant, pour Lana et Beyoncé, cette évolution semble mûrir depuis longtemps. Suivre la chanteuse de « A&W » sur Instagram au cours de l’année passée révèle son immersion dans une esthétique résolument sudiste. Sa dernière tournée américaine l’a vue sillonner la Bible Belt, de Franklin dans le Tennessee à Austin au Texas, en passant par le Mississippi, la Floride et l’Alabama. Elle a même effectué un passage remarqué au Waffle House, suscitant étonnements et interrogations, et a interprété des morceaux iconiques de la country composés par Tammy Wynette et John Denver lors de ses concerts. Sans oublier son répertoire, qui depuis son premier album en 2012, Born To Die, baigne dans un imaginaire de cowboys virils, de routes poussiéreuses et d’une Amérique balayée par le vent. Pour Beyoncé, originaire de Houston, son inclination pour le genre semble encore plus profondément ancrée. Ayant déjà exploré le style country avec le track « Daddy Lessons » présent dans son album Lemonade de 2016, l’éventualité d’un album country n’était pas une question de « si », mais une question de « quand ».
Il est toutefois intrigant que ces deux artistes aient choisi ce moment précis pour officialiser leur incursion dans un genre réputé pour son authenticité narrative et son essence rurale — car leur style de vie respectif est à mille lieues de tout cela. Beyoncé n’a probablement pas vécu bien longtemps à Houston, malgré ce que ces coups de comm’ voudraient nous faire croire (les biens immobiliers des Knowles-Carter comprennent de nombreuses propriétés, mais aucune dans sa ville natale). Lana Del Rey, quant à elle, vit dans une demeure à Malibu, à deux pas de l’océan. Mais c’est sans doute grâce à leur succès commercial préalable qu’elles peuvent aujourd’hui se permettre d’explorer une musique se voulant plus intime et populaire.
Les compositions de Lana Del Rey, en particulier, ont depuis quelque temps déjà commencé à s’orienter vers des styles plus populaires et autobiographiques. Son dernier album, Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd, embrasse le gospel, le folk gothique, le trip-hop et la pop, mais son âme est résolument country, rendant hommage à ses ancêtres. À mesure que son écriture se fait plus introspective, il est naturel que la musique country devienne sa nouvelle conquête.
Avec Lana et Beyoncé en fer de lance de la fusion pop-country, on pourrait aisément envisager une transformation majeure de la pop mainstream.
Beyoncé, avec son nouveau cap vers la country, semble nous donner un aperçu plus intime de sa vie. Dans sa chanson récente, « 16 Carriages », elle partage des souvenirs de son enfance dans l’industrie de l’entertainment et des moments de vie familiale tumultueuse, nous offrant ainsi une des visions les plus intimes de sa vie personnelle depuis bien longtemps. Il se pourrait bien que son album à venir nous révèle ses réflexions sur la maternité, le passage du temps ou d’autres thèmes tout aussi intimes. Bien sûr, même si ces révélations seront présentées avec soin, comme c’est le cas pour tout artiste, cette fenêtre entrebâillée sur sa vie perso demeure une occasion rare et précieuse de mieux comprendre son univers.
L’adoption de la musique country par Lana et Beyoncé souligne l’important travail réalisé par les artistes noir.e.s et les femmes ces dernières décennies pour élargir les horizons de l’industrie de la pop mainstream. Le marché pop américain s’ouvre à ce genre grâce aux efforts de musiciens tels que Mickey Guyton, The War and Treaty, et d’artistes féminines comme Kacey Musgraves, qui ont su diversifier ce genre au-delà de l’éternel cliché de la country machiste. Elles ont démontré que les récits féminins complexes et l’expérience noire en sont le fondement — un point que Beyoncé ne manquera pas de souligner dans son nouvel album, ayant fait appel au légendaire musicien de roots noir Robert Randolph pour la guitare steel sur « Texas Hold ‘Em ».
Avec Queen B et Lana aux avant-postes de la percée de la pop dans la musique country, on pourrait être tenté d’anticiper un bouleversement total de la musique mainstream, mais les conditions de leur virage ne sont pas si facilement duplicables. Elles ont toutes les deux œuvré toute leur vie afin d’atteindre un niveau de mythologie personnelle rendant cette transition logique — et non pas simplement en enfilant un chapeau de cowboy pour être dans la tendance.