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Le vêtement est-il une arme de pouvoir ?

Quel rôle de communication non verbale joue le vêtement dans un contexte politique ?

En cette période d’élection présidentielle, j’ai eu envie de me remater sous la couette L’Arriviste, teen movie de la fin des 90’s. Si tu ne connais pas ce film, il raconte l’ambition féroce du personnage de Tracy – incarnée par l’excellente Reese Witherspoon –, qui est prête à toutes les “bitcheries” pour devenir présidente des élèves de son lycée. Sans doute me suis-je tourné vers ce film car j’ai vu chez Tracy ce même feu qui dévore le ventre de celles et ceux qui courent après le pouvoir, un peu à l’image de nos cher.e.s candidat.e.s qui convoitent l’Élysée. Mais au-delà de ces considérations philosophico-politiques, une chose m’a particulièrement marqué : l’exercice de la politique a fait changer le look de Tracy. D’abord lycéenne sage au pull-gilet à rayures et aux cheveux tirés, le film se clôt sur une image d’elle en assistante d’un important congressman républicain. Et là, Tracy s’est clairement “thatcherisée” (en référence à Margaret Thatcher, ancienne Première ministre anglaise surnommée la “Dame de fer”), avec son tailleur noir strict et son nœud autour du chemisier comme métaphore de son autorité, de sa réussite sociale et de l’étalage de ses compétences.

Je me suis interrogé sur le lien entre les vêtements et le pouvoir, s’il existait un langage du vêtement politique. J’invente rien : dans cet univers bien précis où tout est brainstormé, évidemment que ce langage existe ; mais cette intuition de base ne suffit pas pour en déterminer les codes. Je me suis alors souvenu que Manon Le Roy Le Marrec, également journaliste pour NYLON, m’avait parlé d’un bouquin écrit par François et Dominique Gaulme : Les Habits du pouvoir édité chez Flammarion. J’ai donc décidé de les contacter, afin qu’iels passent au crible quelques grands rôles d’hommes et de femmes politiques de la pop culture contemporaine – véritable miroir grossissant du réel. Le but ? Qu’iels nous aident à conscientiser ce qu’on voit quotidiennement à la télé ou sur les réseaux sociaux en cette période de campagne présidentielle.

 

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Le pouvoir voit rouge

En visio, François et Dominique parlent d’une même voix. Après m’avoir confirmé que, dans les sociétés démocratiques ouvertes et hypermédiatisées, le vêtement politique est déterminant puisque “l’image extérieure suscite des réactions immédiates qui se traduisent en résultats électoraux”, je choisis de leur soumettre un premier exemple, celui du personnage de Janie Orlean, présidente des USA interprétée par Meryl Streep dans la tragicomédie ultra-cynique Don’t Look Up. Face à son tailleur rouge, épaulé, un peu cintré, leur réaction est immédiate : “Ce tailleur rouge, c’est l’habit emblématique des femmes politiques américaines, elles l’ont toutes porté, d’Hillary Clinton à Sarah Palin !”

OK. Et sémiologiquement parlant, qu’est-ce que cette sape signifie ? “En Occident, le rouge est clairement la couleur du pouvoir. En Chine, c’était et c’est encore le jaune, chez les Aztèques, ce fut le vert, mais en Occident, c’est le rouge depuis toujours. On retrouve cette couleur dans les toges romaines ou les soutanes des cardinaux. En portant ce tailleur, ce personnage s’inscrit historiquement dans une tradition de pouvoir.” En gros, Janie Orlean nous envoie un message direct dans la rétine : J’ai le contrôle, je suis powerful et aussi puissante que vous, les mecs.

Historiquement, George Washington avait un costume noir lorsqu’il était président. Tout ça, ça veut dire : je suis le boss du bureau ovale, je suis carré et puissant, on peut compter sur moi pour mon sérieux, mon sang-froid et ma force de travail.

La “classe” de l’upper class 

Cette première info utile en main, j’apprends immédiatement après que cette règle trouve son exception avec Claire Underwood, la charismatique patronne de la Maison Blanche jouée par Robin Wright dans la série House of Cards. Elle, c’est simple : elle ne porte jamais de rouge. “Pour cette série, Robin Wright a travaillé avec une habilleuse. Elles ont composé un vestiaire extrêmement chic, il n’y a pas une faute de goût, ce qui est rare chez les femmes politiques américaines. Elle est toujours dans des couleurs foncées : bleu marine, anthracite, marron… Autre chose : elle ne porte jamais de pantalon mais des robes très très près du corps, qui la dessinent à la perfection.” Visiblement sous le charme, nos auteur.rice.s observent ici les marqueurs de la haute société de la côte est, et, pour elleux, Robin Wright incarne un pouvoir sophistiqué, dont l’intelligence aussi aiguisée qu’un rasoir flirte avec le machiavélisme. Iels remarquent cependant une inflexion dans son style lorsque, après des manipulations incessantes, elle devient enfin présidente dans la saison 5 : “Dans cette saison, elle a souvent des tenues à manches longues avec des boutons de manchette, elle est un peu plus militaire. Ça reste très chic tout en constituant une sorte d’armure.” Entre élégance et blindage, Claire Underwood montre par ses choix vestimentaires une autorité raffinée et ferme.

Contrôle et masculinité

Et qu’en est-il des hommes dans ce barnum ? Un film des 90’s réalisé par le génial Tim Burton m’a fait me tordre de rire par son intelligence et son absurdité : Mars Attacks !. Critique au vitriol d’une société américaine envahie par des Martiens sadiques, un personnage est particulièrement hilarant tant il représente le machisme décomplexé des hommes de pouvoir : le président James Dale, joué par Jack Nicholson.

Je ne peux m’empêcher de leur montrer sa dégaine, apparemment, ça rappelle aussi des bons souvenirs à Dominique. Elle rebondit : “Là, Jack Nicholson est franchement dans l’uniforme standard du POTUS (President of the United States). Boutons de manchettes, chemise blanche, costume noir et une cravate, dont ils changent les motifs parfois. C’est sérieux, sobre, strict, un strict presque protestant. D’ailleurs, historiquement, George Washington avait un costume noir lorsqu’il était président. Tout ça, ça veut dire : je suis le boss du bureau ovale, je suis carré et puissant, on peut compter sur moi pour mon sérieux, mon sang-froid et ma force de travail.”

Les attributs du virilisme sont bien entendu présents, et montent d’un cran avec l’affiche du film W. d’Oliver Stone, qui relate la vie de George W. Bush. On peut y voir l’acteur Josh Brolin en Bush assis qui pose ses pieds chaussés de santiags sur le bureau de la Maison Blanche. François et Dominique Gaulme ironisent : “ C’est ex-tra-or-di-naire ! On a adoré cette photo. Mettre ses pieds sur son bureau avec des bottes de cow-boy, c’est une attitude de bouseux texan, même si les Bush ne sont pas du tout originaires du Texas, c’est une famille de la côte est. Là, il a le costume noir et strict du POTUS mais les bottes rajoutent cette volonté de paraître populaire, avec tout l’imaginaire du mâle derrière la figure du cow-boy.”

Du tailleur rouge à la robe élégante anthracite en passant par les costumes noirs stricts et les immenses cravates, ce sont toujours les stéréotypes de la puissance, du contrôle, de l’autorité – parfois même avec une certaine démagogie de l’accessibilité

La cravate phallique 

Enfin, la politique est quelque chose de bien trop sérieux pour ne pas talentueusement s’en moquer. Et Meryl Streep (encore elle !) s’est brillamment illustrée dans ses caricatures de Donald Trump dans Saturday Night Live. Trump en prend pour son grade et l’attention de Dominique se porte surtout sur sa cravate, outrageusement longue : “Oui, c’est vrai que le coup de la cravate, ça m’a beaucoup amusée. Trump a toujours eu des cravates très longues, qu’il fait produire dans sa propre usine de cravates. Elles ressemblent à des cache-sexes et comme il a un gros ventre, il ne veut pas que sa cravate fasse comme un bavoir.” J’avais entendu dire quelque part que la cravate avait aussi quelque chose du symbole phallique, je lui demande alors si plus la cravate est grande, plus la virilité est importante. Elle acquiesce : “On peut effectivement voir ça comme ça, et c’est une bonne clé de lecture de sa personnalité.” Puis elle me parle d’un sketch de Jerry Seinfeld qui dit en substance que les gens essayent de garder tout au long de leur vie l’allure qu’ils avaient quand ils étaient jeunes et beaux. “La jeunesse de Trump s’est déroulée pendant les années 60. Il devait être bronzé, faire du surf et sa coiffure, c’est celle des Beach Boys.” Mais en moins bien… Déjà caricature de lui-même, Trump est ainsi surcaricaturé par Meryl Streep, avec son faux bronzage excessif, sa coupe de cheveux approximative et ses traits boursouflés…

Que puis-je retenir de cette petite exploration des différents looks des gens de pouvoir dans la pop culture ? Du tailleur rouge à la robe élégante anthracite en passant par les costumes noirs stricts et les immenses cravates, ce sont toujours les stéréotypes de la puissance, du contrôle, de l’autorité – parfois même avec une certaine démagogie de l’accessibilité – qui sont véhiculés. Même en vacances, la prétendue décontraction des animaux politiques est sujette à l’exercice de la communication car chaque millimètre carré de leur apparence est calculé. Finalement, comme le dit si bien ce slogan de Mai 68 : “Tout est politique.” Même le vêtement.

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