Kodo Nishimura, le moine en talons aiguilles
Dans son premier livre, le moine bouddhiste, make-up artiste et activiste LGBTQ+ raconte les croisements entre sa spiritualité, sa fierté queer et la beauté.
Dans son premier livre, le moine bouddhiste, make-up artiste et activiste LGBTQ+ raconte les croisements entre sa spiritualité, sa fierté queer et la beauté.
Kodo Nishimura, élevé dans un temple bouddhiste et “rêvant d’être une princesse”, œuvre aujourd’hui en tant que moine, maquilleur et militant queer. Le Japonais,qui apparaîtra dans le nouveau show de Nicky Doll, Les Voyages de Nicky, vient de publier son ouvrage Le Moine en talons aiguilles (éditions Tredaniel), un guide pour t’aider à « être complètement toi ». En pleine Pride, il te raconte son parcours entre un temple bouddhiste de Tokyo et une école de design new-yorkaise, comment le maquillage lui a permis de s’exprimer de la manière la plus fière, et pourquoi Sailor Moon est l’icône bouddhiste pop ultime. Read to find out!
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Dans ton livre, tu parles de ton éducation, et tu racontes comment ta religion et ta fierté LGBTQ+ se croisent. Peux-tu m’en dire plus ?
J’utilise le bouddhisme et la beauté pour encourager les gens à être authentiques envers eux-mêmes. Je suis né et j’ai grandi dans un temple bouddhiste à Tokyo en 1989. J’ai lutté en tant qu’homosexuel et contre l’attente de suivre l’image d’un moine traditionnel. J’ai toujours voulu être une princesse, mais les gens autour de moi me demandaient sans cesse quand j’allais me raser le crâne, ce qui me mettait une pression incroyable. À l’âge de 18 ans, j’ai déménagé aux États-Unis et j’ai étudié à la Parsons School of Design. Plus tard, j’ai assisté un maquilleur pendant cinq ans à New York et je suis devenu maquilleur. Pendant cette période, j’ai appris l’art de l’expression personnelle et la façon dont elle peut magiquement amplifier l’estime de soi.
Plus tard, je suis revenu au Japon et j’ai suivi une formation de moine. Même si je ne voulais pas devenir moine, je voulais savoir ce qu’était le bouddhisme et ce que cela signifiait d’être un moine bouddhiste. À ma grande surprise, j’ai appris que les écritures bouddhistes disent que tout le monde est accueilli et respecté. L’un des enseignements dit : “Tout comme la lumière de la lune brille sur tout le monde, tout le monde peut-être illuminé, quelles que soient les différences.” J’ai rencontré un maître qui m’a assuré que le fait d’être homosexuel ou de porter quelque chose de brillant n’était pas un problème, tant que j’étais capable d’aider les autres en partageant cet enseignement bouddhiste.
Aujourd’hui, je veux émanciper les gens des attentes sociales et des valeurs religieuses qui les limitent. Je veux que les gens sachent qu’il n’y a rien de mal à être ce que l’on est. Souvent, les personnes LGBTQI+ ont été marginalisées et ostracisées par la société, mais je veux encourager les gens à remettre en question ce qui est considéré comme du “bon sens”. Le fait d’être religieux.se et d’être homosexuel.le ne devrait pas entrer en conflit, ce sont plutôt les chefs religieux et les adeptes qui le font. Si la religion limite notre liberté et ne nous aide pas à dépasser nos limites, pourquoi en avons-nous besoin ? J’ai la foi que tout le monde a la même valeur et est digne de vivre heureux.
Quelle est ta relation avec le maquillage ? Est-ce une pratique spirituelle ?
En me maquillant, je sens que tout est possible, le maquillage est inexplicablement magique. Lorsque je me vois changer en me maquillant, j’ai l’impression que mes capacités sont amplifiées et que davantage de choses sont réalisables. Même s’il s’agit d’une illusion qui peut être effacée à la fin de la journée, cette expérience suffit à me faire croire que je suis capable de tout, même sans maquillage. C’est exactement l’expérience que je veux apporter aux gens. Je n’ai pas appris le maquillage juste pour rendre les beaux mannequins encore plus beaux, je veux aider les autres à croire davantage en eux ou elles-mêmes.
Quelle est ta définition de la beauté ? S’agit-il d’un processus, d’un état, d’un équilibre ?
La beauté est quelque chose qui se trouve dans le cœur de la personne qui la ressent. C’est un mouvement invisible du cœur. Le bouddhisme dit : “La lune est belle, la fleur est belle, mais le cœur lui-même, qui peut trouver la beauté, est beau.” Selon ce dicton, nous pouvons trouver la beauté même dans la tristesse ou la colère. Si quelqu’un est plongé dans la tristesse d’une perte ou s’enflamme de rage pour lutter contre l’injustice, il peut s’agir d’une belle expérience humaine. J’aimerais proposer des façons uniques d’apprécier la vie.
L’empathie et l’acceptation sont-elles importantes dans ta vision ?
L’empathie et l’acceptation sont importantes car elles mènent toutes deux à notre propre bonheur. Selon le bouddhisme, l’action d’aider les autres nous apportera le plus grand bonheur. Si nous ne faisons pas preuve d’empathie à l’égard des autres et si nous ne leur apportons pas ce dont ils ont besoin, nous ne sommes pas en mesure d’aider les autres. Lorsque les autres sont reconnaissant.e.s de ce que vous avez fait, vous pouvez être satisfait.e et ressentir la valeur de la vie. Ce bonheur est à la portée de tous.tes. Travailler pour les autres vous prive de l’énergie, du temps ou de l’argent dont vous disposez, mais ces faveurs vous reviendront en boucle. L’acceptation est importante, car si l’on n’accepte pas la réalité, on en souffre. On doit comprendre que tout le monde est différent et que tout le monde vit différemment. Personne n’est en mesure de contrôler les autres afin qu’iels vivent d’une certaine manière. Si l’on accepte les choses telles qu’elles sont, on peut se libérer de la souffrance, selon le bouddhisme.
En ce qui concerne le lien entre la beauté et l’acceptation, je pense qu’il est important d’élargir son horizon et d’être capable d’apprécier différents types de beauté. La société a l’habitude de valoriser un type de beauté spécifique, mais nous devons être capables de célébrer des personnes de tous horizons. On est en constante évolution et il est important que l’on se sente valorisé.e.s à tous les stades de la vie. A force d’exclure, c’est nous qui finirons par être exclu.e.s, parce que nous allons vieillir et perdre cette beauté que la société valorisait, et on se sentira moins précieux.ses. C’est en faisant preuve d’empathie et en acceptant tout le monde que nous trouverons un bonheur durable.
Quelle est ta relation à la créativité ?
J’aime faire des choses que je suis seul à pouvoir faire – et ce n’est possible que lorsqu’on ose montrer sa vérité. Lorsque j’étais à l’école Parsons à New York, j’ai rencontré un étudiant coréen extrêmement talentueux. Lorsqu’il dessinait des modèles nus, l’effet était si réaliste que les autres hésitaient à regarder le dessin. À la fin de la deuxième année, il a dû quitter l’école pour s’engager dans l’armée coréenne. Sa dernière performance artistique était une démonstration de ce que serait sa vie au camp. Il portait un uniforme militaire, faisait des pompes et courait partout. Dans sa voix, je pouvais ressentir douloureusement sa solitude et sa détermination. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que je devais oser mettre à nu mes émotions et être vulnérable pour toucher le cœur de quelqu’un.
Auparavant, j’avais l’habitude d’intégrer la culture japonaise, comme l’origami et la composition florale, mais c’est quelque chose que tout le monde peut reproduire. J’ai donc décidé d’affronter ce que j’avais toujours évité, à savoir suivre la formation de moine et voir ce qu’elle pouvait m’apprendre. À la fin, j’ai appris que le bouddhisme acceptait les personnes LGBTQI+, ce à quoi je ne m’attendais pas. J’ai décidé de partager mes émotions à travers mes créations, comme mon livre Le Moine en talons aiguilles.
Ton Instagram s’intéresse également à Sailor Moon ! Que peut dire Sailor Moon sur la mode et le bouddhisme ?
Il existe une divinité bouddhiste au sexe ambigu appelée Guan Yin, qui est la déesse de la compassion. Guan Yin porte une robe somptueuse et une couronne qui dit : “Si vous voulez inspirer les gens, vous devez être respecté.e. Si vous portez quelque chose de minable, comment voulez-vous que les gens vous écoutent ? Une vertu sublime exige une apparence sublime. Donc, si vous voulez toucher de nombreuses personnes et les aider, vous devez être beau.belle.” Je n’avais jamais pensé que le bouddhisme suggérait aux gens de se faire beau, car tout ce que je connaissais était simple et minimaliste. L’approfondissement de mes études m’a permis d’embrasser ma passion pour la beauté.
Je pense que le personnage de l’anime japonais Sailor Moon a beaucoup en commun. Dans l’histoire, Sailor Moon nous montre comment faire preuve de compassion pour nos proches tout en étant intrépide. Elle est à la mode et, fait intéressant, de nombreux looks de Sailor Moon s’inspirent de Mugler, Christian Lacroix, Dior et YSL, des maisons que j’adore. Elle nous apprend à être à la mode et gentils avec les autres, et c’est pourquoi Sailor Moon a, je crois, beaucoup de fans dans le monde entier, et j’aimerais beaucoup suivre ses traces.
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Ta page Instagram me rend très heureuse, la joie est-elle au cœur du processus de partage ?
Pour être honnête, j’étais une personne en colère parce que j’étais contrarié par ce monde où la majorité des gens ne respectent pas les personnes LGBTQI+, et je ne me sentais pas le bienvenu. Je me disais : pourquoi devrais-je donner de l’amour alors que les autres ne m’aiment pas ? Et puis, lorsque je suis allé à la Pride Parade à West Hollywood en Californie, il y a eu une dispute dans la rue entre des manifestant.e.s religieux.ses et des personnes LGBTQI+. Iels criaient “Repentez-vous ou périssez” avec des mégaphones. Les participants à la parade leur répondaient brutalement, c’était à la fois effrayant et triste. C’était comme moi qui, pendant mon enfance, haïssais les gens qui ne m’acceptaient pas. Mais soudain, le DJ a commencé à jouer “Believe” de Cher et tout le monde s’est mis à danser, ignorant la haine. C’est à ce moment-là que j’ai appris que la flamme de la colère ne fait qu’engendrer de la colère et finit par nous consumer aussi. Bien sûr, je suis en colère face à l’injustice du monde, mais pour continuer à lutter durablement et faire pousser un grand arbre, nous devons utiliser la lumière et l’eau qui nous poussent à lever les yeux et nous nourrissent.