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Janis Sahraoui : “Révéler mes visages”, un témoignage de résilience et de liberté

À l'occasion de la sortie de son livre coécrit avec Tal Madesta, Janis se confie sur son parcours d’artiste, ses combats et l'importance de la transmission.

Anciennement connue à travers son alter-ego musical Sliimy, Janis Sahraoui revient sur le devant de la scène — littéraire, cette fois-ci — avec un ouvrage poignant, “Révéler mes visages”, co-écrit avec Tal Madesta. Ce premier roman, à la fois témoignage intime et manifeste de résilience, aborde des thèmes forts tels que la quête de soi, les violences familiales, les défis rencontrés en tant que personne queer et transgenre, et l’importance de la transmission. À travers cette interview avec NYLON, Janis partage avec nous tous.tes les motivations derrière son écriture, les influences qui ont façonné sa vie et son art, ainsi que les messages d’espoir et de liberté qu’elle souhaite transmettre à ses lecteurs.rices. Découvre son récit authentique et inspirant, porté par sa voix singulière et courageuse.

 

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Avant de parler de ton premier roman, “Révéler mes visages” sorti chez Harper Collins, peux-tu me dire ce que représentent les mots pour toi, qu’ils soient écrits ou chantés ?

Avant tout, les mots signifient transmettre. C’est un moyen de communication, de donner vie. Depuis la mort de ma mère quand j’étais enfant, j’avais besoin de redonner vie aux œuvres, aux mots. La vie se manifeste dans beaucoup de choses, que ce soit l’art, la musique ou même la mode. Certaines personnes m’ont dit avoir transmis mon roman à leurs parents, ce qui est magique ! Quand j’ai fait mon coming-out, le décès de ma mère, tous ces moments m’ont été volés, et je m’attache à les récupérer pour pouvoir les transmettre.

Dans ce livre, tu évoques “l’urgence d’écrire”, comme “un devoir sacré” ? 

Oui, c’est ce que j’explique dans la préface. Même si on a beaucoup de visibilité, ça ne nous protège en rien. Quand j’ai écrit la préface il y a des mois, cette urgence était présente comme elle l’est aujourd’hui. Face à la montée de la haine et des lois transphobes, cette urgence se fait ressentir. Il y a aussi cette urgence de se retrouver en dehors des réseaux. Ils m’ont sorti de Saint-Étienne, mais ça n’empêche pas ce besoin de lien tangible et physique. Ce besoin de se retrouver, de transmettre et de se battre doit se faire ailleurs que sur les réseaux. C’est là que réside la force finalement.

Avec les réseaux, on oublie souvent leur côté à double tranchant, le fait qu’ils remplacent la connexion par la connectivité. Comment cela t’impacte en tant qu’artiste ?

C’est vrai, et ça nous enferme sur nous-mêmes. Il y a de l’ego sur les réseaux — et même si on doit se concentrer sur soi, sa carrière, il ne faut pas oublier de sortir de sa réalité parfois. J’ai besoin de ma famille, de ma bulle, mais j’ai aussi envie de comprendre ce qui se passe à l’extérieur. Je viens de Saint-Étienne, et je me souviens d’un fan qui venait à mes concerts et qui votait pour l’extrême droite. Ce qui est un peu en contradiction avec ma personne : je suis arabe et queer. On a beaucoup discuté et il est sorti de sa bulle ; qui reste parfois essentielle, mais il faut aussi savoir en sortir. Écrire ce livre, c’est ajouter de la profondeur à mon propos, ce n’est pas une prise de parole que je pourrais avoir sur les réseaux. C’est un commencement, ce n’est pas un récit fini, ni un bilan, mais plutôt un démarrage.

Écrire ton propre récit te permet d’avoir du contrôle sur ta narration, ce qui manque à beaucoup d’artistes aujourd’hui. Es-tu d’accord avec cela ?

J’ai manqué de récits comme ça quand j’étais jeune. J’aurais aimé en avoir, j’aurais avancé plus vite. Dans les parcours queers, il y a beaucoup de recherche et de déconstruction, et ça prend du temps parce qu’on n’a pas les clés. Aujourd’hui, on a plus de visibilité, mais nous n’avions aucun artiste duquel nous rapprocher. J’ai écrit ce livre pour que ce soit une bouée de sauvetage, pour se raccrocher, pour s’identifier. C’est une rencontre avec une personne, un parcours. Et souvent, avec la médiatisation, on ne voit que ce qui brille. J’avais envie de rentrer dans une vulnérabilité, ce qui fait ma complexité en tant qu’artiste.

Tu as coécrit ton livre avec Tal Madesta. Peux-tu me parler de ce processus et de ta rencontre avec lui ?

J’adore Tal et son dernier livre “La fin des monstres” !Avant d’écrire avec lui, j’avais déjà été contactée par Harper Collins, ma maison d’édition, et j’avais commencé à écrire des bribes. Tal a vécu sa transition différemment, et c’est aussi ça écrire : retrouver une famille à travers leurs œuvres. Tal fait partie d’une famille d’artistes qui se comprend. Je ne connais pas beaucoup d’œuvres coécrites par une femme et un homme trans. Donc ce travail qu’on a fait ensemble va au-delà du succès du livre, c’est un travail hyper important, ça nous soigne.  Quand j’ai fait mon premier album en tant que Sliimy, j’avais l’impression d’être un cobaye. Personne n’en parlait, j’étais la première personne queer sur la scène musicale française a être autant médiatisée. Quand je repense à moi en tant qu’ado, je rêvais de rencontrer des personnes queers des quatre coins du monde. Ça relevait du fantasme, et aujourd’hui, c’est ma réalité.

Ta mère Fatima est le cœur battant de ton livre. Peux-tu parler de comment cette relation t’a façonnée, personnellement mais aussi en tant qu’artiste ?

Oui, ma mère est mon icône ! Son parcours est très différent du mien, mais elle a souffert de violences en tant que femme, et de sa dépression. Elle est décédée à 36 ans, j’ai son âge aujourd’hui. Quand j’étais petite, j’avais très peur de cet âge. Je me demandais comment ma vie serait à ce moment-là, donc ce livre, cela la fait exister en 2024, et j’ai d’ailleurs l’impression qu’elle n’est jamais vraiment partie. Elle m’a laissé des traces fortes grâce à sa joie, ses chants. Elle était une artiste, elle a fait les beaux-arts, même si elle n’a pas pu faire de sa vie un art, c’était quelqu’un de très poétique. Lui rendre hommage, c’est aussi une manière de rendre hommage à celleux qui ont été fauchés par la violence, peu importe leur communauté. Nos histoires peuvent se ressembler. On peut faire des ponts, et doit d’ailleurs, car aujourd’hui, tout le monde se tire dessus à cause de la différence. L’humanité se trouve dans les ponts qu’on construit à travers nos histoires différentes.

Dans ton livre, tu décris de nombreux passages difficiles, notamment des violences transphobes et du harcèlement, les préjugés et les insultes dans l’espace public avec beaucoup de franchise. Comment cette expérience t’a-t-elle menée à ta féminité et au féminisme ?

J’en parle de manière assez brute. Je n’ai pas eu besoin de faire de coming out pour vivre des violences. J’étais hyper timide, et je n’ai pas eu besoin d’ouvrir la bouche pour en subir. C’est important de le dire, parce que le cliché de l’enfant queer est souvent celui d’un enfant très haut en couleur qui parle beaucoup, alors que la plupart du temps, ce n’est pas le cas. On est renfermés et on a peur de l’extérieur. Je n’ai pas eu besoin de me trouver pour être stigmatisée. Le féminisme est une évidence, une femme cis, par les ponts que la violence crée, a déjà vécu ce genre d’attaques dans l’espace public. Les femmes cis et trans sont victimes du patriarcat. Il y a un vrai tabou autour des conséquences de ce système, car on n’imagine pas que cela puisse commencer si jeune et toucher des enfants. Cela m’a épuisée, j’ai perdu beaucoup de temps à cause de cela, mais l’art m’a permis de m’en protéger, de m’ancrer et d’avoir un espace safe.

 

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Sliimy était aussi un masque artistique pour toi, le temps de te construire et de t’assumer pleinement telle que tu es. Peux-tu expliquer ce choix ?

Sliimy, c’était différent. J’ai eu besoin de me dissocier de la dure réalité que je vivais, et j’en parle dans le livre. J’avais besoin d’un temps de pause, alors je me suis déguisée. Je m’étais inspirée de la pop culture, ça m’a libérée de mon quotidien, je chantais en anglais. Les gens m’appelaient Sliimy, même plus par mon prénom. Cela m’a permis d’échapper à mon quotidien, mais aussi de créer une fête que je n’avais pas eue enfant. Les paroles de Sliimy étaient très crues. “Wake up” par exemple, c’était pour mon père qui n’était pas présent dans ma vie. J’ai été médiatisée très rapidement, je suis passée de ma chambre d’enfant à faire la première partie d’un concert de Britney Spears, ce qui est un peu absurde et rare quand tu viens de Saint-Étienne. C’est grâce à la force de cet art, la force de la musique que j’ai pu trouver ma place, même sans avoir des parents qui connaissent ce monde-là. C’est un message que je veux transmettre aux jeunes queers de province : tout est possible et il n’y a pas de limite.

Ton récit, avec sa vulnérabilité et résilience, témoigne d’une grande force. Quel message souhaites-tu que les lectrices et lecteurs retiennent de ton livre ?

Pour moi, le message principal est la puissance de l’autodétermination et de la liberté. Aujourd’hui, nous avons un besoin urgent de plus de liberté et de la capacité de nous autodéterminer. J’ai envie d’être une épaule sur laquelle on peut se reposer et de transmettre la force que j’ai reçue de ma mère. Il y a tant de façons de s’exprimer et de se tourner vers soi. Une transition, c’est un processus complexe. J’ai commencé la mienne jeune, et souvent, on se focalise uniquement sur la finalité sans considérer le parcours. Il est crucial de montrer la complexité de nos trajectoires sans en avoir peur, de ne pas avoir honte du passé. Je veux célébrer celle que j’étais avant, cela fait partie de moi et je ne dois pas en avoir honte. Ma transition en tant que femme me permet d’être la personne que je suis aujourd’hui, forte, heureuse et ancrée. Au-delà du parcours trans, il s’agit aussi de mettre en lumière la diversité de nos parcours.

Peux-tu parler de la capacité à s’identifier à ton récit même sans être directement concerné.e.s ?

Même si je n’avais pas d’histoires qui parlaient de qui j’étais, ça ne m’a jamais empêchée d’être une femme trans. Je me projetais ailleurs. Et ce n’est pas parce qu’on s’identifie à un parcours trans qu’on l’est aussi. Cela sort les gens de leur quotidien et de leurs propres représentations. Je remercie cette visibilité aujourd’hui ! Il y a des films où le rôle principal est celui d’une personne trans, mais cela n’empêche pas les cis de s’y retrouver. Souvent, les gens se sentent attaqués par cette visibilité, alors qu’on veut juste exister. Se projeter dans mon parcours ne signifie en aucun cas que vous aurez les mêmes vies que nous. Cela fait partie de cette multitude de parcours dont je parle aujourd’hui. Hier, nous n’avions pas cette lumière, mais ce n’est en aucun cas une attaque, c’est simplement une mise en lumière de nos récits. Nous avons toujours été là, nous nous sommes toujours battus pour exister et cela ne changera pas.

Quelles sont les personnes de ton entourage que tu admires, qui t’ont permis de te projeter et de te donner la force d’écrire ce livre ?

Ma famille choisie ! Mes ami.e.s m’ont sauvé. Si je suis là aujourd’hui en tant que femme trans, c’est grâce à mes potes, à mes sœurs, à mes adelphes. Dans la musique, j’ai aussi créé ça. J’ai fait un featuring avec Lalla Rami ; c’est une personne incroyable qui m’a donné beaucoup de force et une artiste que j’adore ! Il y a beaucoup d’artistes qui véhiculent des messages très forts. Tal en fait partie en tant qu’écrivain. Bilal en France, sa parole est hyper forte et ça demande beaucoup de force aussi ! C’est beau la façon dont il s’exprime artistiquement. 

Avant de terminer, y a-t-il quelque chose que tu veux partager avec les lectrices et lecteurs de NYLON ? Tes prochaines actualités, par exemple ?

Oui, bien sûr. Ce n’est que le début ! J’ai hâte de sortir de nouvelles tracks, et comme je l’ai dit, ce livre n’est qu’un point de départ, un début de vie. J’ai l’impression de commencer à vivre. Entre sœurs, on se dit souvent qu’on a l’impression de revivre une seconde puberté, c’est excitant ! Et avec cette nouvelle phase viennent de nouvelles œuvres que je suis impatiente de partager. Il y a une track qui sort bientôt, qui clôture la postface du livre. J’ai également tourné dans un film pour Paul B. Preciado, et la bande originale du film vient de sortir. Cela me touche beaucoup, j’ai l’impression que tout se met en place très vite. Je travaille aussi sur un album que j’ai presque terminé et qui me tient vraiment à cœur. C’est fou, car dedans, j’ai écrit une chanson qui s’appelle “Fatima”, que j’ai commencée il y a quatre ans. Les premières paroles sont “What happened to your name lately, they misunderstood it, making it sound so hard” (“Qu’est-il arrivé à ton nom dernièrement, ils ne le comprennent pas et le font paraître si dur”, ndlr). Cette chanson est une réponse aux extrêmes, car Fatima est un nom connu partout dans le monde, et soudainement, il devient un point de tension, un symbole de la peur de l’autre. C’est en cela que les œuvres sont importantes pour moi : elles donnent la force pour se projeter. Cet album est un mélange de pop et de sujets profonds, et j’ai hâte que vous puissiez l’écouter.

Découvre le premier livre de Janis Sahraoui, “Révéler mes visages” ici !

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