Après avoir testé la cuisine de ses parents et les cocktails de son petit-frère au bar d’un showroom, j’avoue qu’il me tardait de pouvoir discuter avec Ichon — le chanteur vedette du clan. À une époque où les gens ont tendance à s’enfermer, croiser quatre membres d’une même famille en l’espace de quelques mois est assez unique pour le souligner. Au cours de notre entrevue, l’artiste me donne des indices pour comprendre ce qui semble les animer, lui et les siens : une envie “de mettre un peu de magie dans ce monde” et celle d’être présent parmi et pour les autres, que ce soit aux fourneaux d’un resto à Montreuil ou en chansons sur la scène de l’Olympia.
Depuis le succès de son premier album Pour de vrai en 2020, Ichon a eu le temps de réaliser un rêve de gosse : s’exiler à la campagne, dans la Creuse, où il s’est offert un terrain de deux hectares. Un jardin, une rivière, une maison pour fonder une famille et un home-studio pour laisser libre cours à ses pulsions artistiques… Ces derniers mois, c’est ici qu’il s’est replié pour composer son deuxième album avec deux camarades de longue date : Max Baby et Loubensky. Alors que sa femme et lui viennent d’accueillir leur premier enfant, on aurait pu attendre d’Ichon un retour en version adulte responsable. Il nous raconterait sa nouvelle vie paisible à la campagne après le succès connu à la ville, abordant avec gravité l’approche de la parentalité… Rien de tout ça : c’est surtout son esprit de “bon gamin” que le jeune papa célèbre avec son nouvel album intitulé KASSESSA. Toujours aussi attaché au son qui a marqué ses débuts, Ichon continue d’expérimenter, de jouer et d’accorder ses rimes avec sincérité… Les pages blanches deviennent alors des chansons, et les chansons des ailes pour échapper à la gravité, apprendre à “rêver” et s’en aller “chercher la lumière même s’il est tard”, comme l’artiste le dit lui-même.
Depuis la sortie de Pour de vrai tu es parti vivre à la campagne… Comment te sens-tu à l’idée de reprendre la promo ?
J’ai la chance et la malchance d’être ramené à Paris une à deux fois par mois pour le travail donc ça ne change pas tant. Avec la sortie de l’album, c’est vrai que ça fait un moment que je ne suis pas rentré mais c’est une vraie chance que j’ai de pouvoir m’offrir cet équilibre. Pouvoir casser la ville, me défouler, voir plein de monde, courir partout… Et d’un coup, rentrer chez moi et il n’y a plus un bruit : juste les oiseaux. J’ai un terrain de deux hectares avec une rivière qui passe en dessous : je suis au paradis ! L’équilibre parfait entre cette vie mouvementée d’artiste et la tranquillité d’un gars classique.
Certain.e.s pensent que le succès c’est partir vivre à Miami ; toi tu as choisi le Berry. T’as toujours su que tu t’installerai là-bas?
Absolument. Depuis que je suis petit, je dis à mes parents que j’irais vivre à la campagne avec des chevaux etc… C’est pile l’inverse de ce que j’avais petit, donc ça m’attire. C’est un rêve que j’avais et, maintenant que je le vis, je vois que c’est exactement ce qu’il me fallait.
Tu as composé ton nouvel album chez toi avec Max Baby et Loubensky. Comment le projet a-t-il pris forme ?
Loub, c’est un frangin : on travaille ensemble depuis mon premier projet. Comment j’aime travailler aujourd’hui ? À partir de jams. J’ai installé un studio à la maison avec un tas de synthés, de guitares, une vraie batterie… Du coup, je suis là, avec tous ces instruments et ces deux talents fous, et l’idée c’est de s’offrir assez de liberté pour pouvoir attraper des idées. On part d’une ligne de synthé, puis quelqu’un prend la batterie, la guitare. Tout ça se mélange et, peu à peu, ça fait un morceau.
Le premier texte que tu as écrit pour cet album, c’est celui du track “Page Blanche” dans lequel tu parles de la peur de ne plus pouvoir écrire. Comment expliques-tu t’être retrouvé dans cette situation ?
J’aime être concentré sur une chose à la fois et, quand ma tournée s’est achevée, j’avais comme perdu l’habitude d’écrire. Je n’étais même plus sûr de savoir le faire. Tu sais, l’écriture c’est sacré pour moi ; à chaque fois que j’écris une chanson j’ai l’impression que c’est la dernière. La réception de Pour de vrai me mettait aussi un peu la pression parce que j’avais envie d’aller plus loin. Pas à Miami, mais je voulais continuer à remplir des salles, pouvoir payer les gens avec qui je travaille… Le truc, c’est que plus le temps passe et plus la page blanche t’angoisse. Malgré moi, je me posais plein de questions et c’est la page blanche elle-même, qui m’a rappelé l’importance du lâcher-prise.
J’ai désormais l’équilibre parfait entre cette vie mouvementée d’artiste et la tranquillité d’un gars classique
Dans le clip associé au track on te voit justement construire des ailes à partir de feuilles blanches ; tu les portes d’ailleurs sur la pochette du disque. Qu’est-ce qu’elles représentent pour toi ?
Ce que je raconte c’est que mes textes m’ont aidé à être l’homme que je suis aujourd’hui. Loin de Montreuil, de la ville et de la violence qui nous entoure. Ce sont mes chansons qui m’ont permis de m’envoler, tu comprends ?
Qu’est-ce que tu entends par t’envoler ?
Lâcher prise. On pourrait partir très loin en vrai, mais si tu prends l’exemple d’un plongeoir ou d’une calanque à Marseille… T’es là, tu t’apprêtes à sauter : c’est comme si t’allais prendre ton envol. Dans la vie, c’est le saut que tu fais en te libérant de tout ce qu’on a pu te mettre dans la tête. Par exemple : ce que signifie venir de banlieue, être noir, un rappeur ou juste un garçon… Quand tu lâches toutes ces projections, tu les casses et tu t’envoles — tu deviens toi-même.
Kassessa, c’est un genre de mantra c’est ça ?
Ça représente plein de choses en fait. Tu connais peut-être un musicien camerounais qui s’appelle Manu Dibango ? Il chantait du makossa ; et moi, à chaque début de concert, je répétais : “on va casser ça, on va casser ça”. Mais en mode makossa, tu vois ? Bref le truc est resté et, avec Max Baby qui m’accompagnait sur scène, on s’est dit qu’il fallait en faire un album à ce sujet et le voici…
De manière générale, tu parles beaucoup de liberté dans cet album… Dans “La Vérité”, tu revendiques ton indépendance artistique. Quel regard portes-tu sur l’industrie musicale et ses labels ?
En vrai, je comprends les personnes qui ont besoin d’une maison de disques mais pour ma part, je suis un électron libre et j’ai besoin de faire les choses à ma façon. À une époque, j’ai cru qu’il fallait qu’on me sorte de la misère et attendre qu’on me signe… Mais en me rapprochant de ce monde, j’ai compris que c’est toi qu’ils attendent. Je veux dire qu’ils ont besoin que toi tu travailles pour faire leur job. J’encourage donc tous.tes les artistes à garder un maximum d’indépendance. Ce n’est même pas une question d’argent, mais de créativité. T’as pas envie de te faire formater par des gens de bureaux qui ne comprennent pas ce que tu fais. Émancipe-toi des cases et trouve les gens qui te permettent d’être toi ! Depuis l’époque Bon Gamin (le crew composé par Ichon, Loveni et Myth Syzer, ndlr), j’ai toujours cherché à m’entourer des bonnes personnes. Aujourd’hui, j’ai ma manageuse, ma RP, mes distributeurs… Je peux leur faire confiance et écouter leurs conseils parce qu’ils m’aident à faire le truc à ma sauce.
L’amour occupe toujours une place importante dans ta musique. Dans cet album tu évoques ta relation avec ta femme… Que t’apprends votre couple sur l’amour ?
La patience, la patience ! Comme je l’avais chanté auparavant : être deux ce n’est pas facile du tout. Ces derniers temps, notre relation m’a permis de me reprendre en main. J’ai tendance à m’isoler quand ça ne va pas trop… Pour moi, c’est comme ça : il faut être bien avec soi-même pour être bien avec les autres. Mais la magie a fait qu’il fallait qu’on soit ensemble, qu’on essaie… Et on l’a fait ! Tout ça m’a permis de me remettre en question, mais j’ai encore peur parfois : je n’ai pas la vraie réponse. Kassessa je l’ai aussi écrit pour ma femme, en fait. Ce que je dis dans le morceau, je le dis à elle.
Vous venez d’avoir un enfant : félicitations à vous deux ! J’imagine que ça change aussi pas mal de choses, tu veux nous en parler ?
Merci beaucoup ! Le premier truc que je peux te dire, c’est que je ne croyais pas mes ami.e.s qui me disaient : “c’est magique, tu verras quand ça va t’arriver”. Mais en effet, ça existe ! Comme une explosion de larmes : tu vois ton enfant et… wow ! Ça te met dans une bulle magique, t’as jamais vu ou ressenti ça. Mais là tout de suite, ce que je ressens c’est surtout la culpabilité de ne pas pouvoir être plus présent. Comme je te disais, ça fait un moment que je ne suis pas rentré, et je me sens coupable de devoir imposer Paris à ma femme, mon fils et mon chien. Mais il faut bien bosser sinon il n’a pas de couches le frère ! En vrai, j’ai hâte qu’il parle pour pouvoir partager tout ce que j’ai envie de partager avec lui, et savoir s’il préfère qu’on fasse les choses comme ça ou autrement.
Ton crew s’appelle Bon Gamin, et dans le clip de “Page Blanche” on voit une version enfant de toi. Ça représente quoi l’enfance pour toi ?
Quand on a formé le crew, on était jeunes et on avait cette envie d’être de bons gamins. On faisait des bêtises mais, quand on rentrait à la maison, on voulait être de bons enfants. Ne surtout pas faire pleurer nos mères. Je t’avoue que j’ai eu besoin de le retrouver, cet enfant. Dans la vie on se fait du mal, le monde fait mal de fou… C’est pour ça que j’avais besoin de me construire ces ailes, me permettre de rêver. Là, je les ai avec moi et je marche dans la rue. Je m’amuse à me dire que je vole. C’est ça aussi kassessa : refuser de n’être qu’un adulte de 33 ans. J’ai eu peur quand j’ai vu le gosse arriver, je me disais : faut assurer. Mais moi aussi, je suis un enfant : j’ai besoin de kiffer et de raconter mon truc. Du coup j’ai écrit des contes que je lis à mon fils. C’est les histoires que je me suis imaginées, et j’espère qu’il pourra se les imaginer aussi. Tu vois ce que je veux dire ? Comme quand le fils de mon grand-frère a essayé mes ailes : je lui ai dit que je pouvais vraiment m’envoler avec. J’aime l’idée de mettre de la magie dans ce monde : bon gamin pour toujours.
Le bon gamin c’est un peu le track “Voyou” auquel tu dédies l’intro de l’album… Il t’évoque quoi ce mot ?
Dans ma vie, on m’a traité de voyou, on a voulu me mettre dans la case du voyou et j’ai moi-même voulu jouer au voyou. Et jusque tard ! Ce mot je le vois toujours comme une insulte en vrai : quand t’es un voyou, c’est que tu ne fais pas ce qu’il faut. Mais les gens ont du mal à voir au-delà des apparences. Quand ils m’ont vu arriver dans le Berry, par exemple, ils ont cru voir un voyou. Plus jeune, je me serais dit que je n’avais rien à prouver et — sans le vouloir — je serais resté dans cette case. Aujourd’hui j’ai aussi envie de casser ça : montrer qu’on parle la même langue et qu’on peut s’apprendre des trucs.
Comment est venue l’idée de tourner tes clips aux Fauvettes ?
Au début, on devait tourner ça chez moi à Montreuil. Par miracle, Alma (Alma Dahan, la manager d’Ichon, ndlr) a été contactée par une association des Fauvettes pour y prendre des photos avant qu’elle ne soit détruite. Rien à voir avec moi, mais c’était au moment où on écrivait le clip, et on s’est vus avant qu’elle n’y aille. Ça a tout de suite semblé faire sens de le faire là-bas, et les filles de l’association étaient partantes donc je suis venu. Là, truc de ouf : la cité est magique, les gens sont tous chauds pour participer… Ça nous est tombé dessus quoi ! On a fait jouer les habitants et c’était tous.tes des tueurs.euses ; une fille a même été castée pour un un long-métrage par la suite ! Tout le monde nous a dit que ça avait réveillé la cité… c’est le genre de choses qui me font vraiment kiffer ; la magie de la vie quoi. Ce qui compte, c’est d’abord qu’on passe un vrai moment pour l’imprimer dans la pellicule.
Dans le titre “Naufragé” tu évoques tes parents et le fait de vouloir les rendre fiers. À quel point ça compte pour toi, le regard des parents ?
Comme je te disais : bon gamin ! Le but c’est de rendre les gens heureux. Tu sais, mes parents ont travaillé sans relâche, on les a fait pleurer, on leur a fait peur ; ils sont venus nous chercher dans des endroits où ils n’auraient pas dû et ils continuent à se battre tous les jours… Mon daron a 66 ans et il travaille tous les jours, son réveil sonne à 6 heures, ça charbonne ! Voir le bonheur dans leurs yeux quand ils viennent me voir à la Cigale, ou quand ma mère lâche une larme sur le plateau de tournage d’un clip… J’ai l’impression de les remercier pour toutes ces années de galère. Je pourrais m’asseoir sur ce que j’ai mais il y a toujours un truc qui me pousse à aller plus loin, et les darons en font partie. Ils ont besoin de vibrer à travers nous. Dans cette chanson, je voulais leur rappeler que tout ce qu’ils ont fait m’a permis de devenir qui je suis. Qu’ils n’oublient pas que leurs erreurs ont aussi fait ma force.
C’est un peu ce que tu dis quand tu chantes : “si ma vie avait été ordinaire, je serais mort hier”… Les épreuves que l’on traverse nous enrichissent.
À 100%. On le voit bien, les personnes les plus persévérantes ne sont pas des nepo babies. Je répète souvent que je me déteste dans mes chansons, mais ce spleen nous enrichit. L’important, c’est de s’accrocher à l’envie de ne pas rester au sol.
KASSESSA, le nouvel album d’Ichon, est désormais disponible à la Fnac et sur toutes les plateformes de streaming.