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Emily in Paris saison 3 : authentiquement Faux Real

Are you ready for la Parisienne de l’ère TikTok, une mythologie locale aujourd’hui mondialisée, filtrée, rentabilisée version 2K23 ?

Il y a bientôt quatre ans (getting older, getting wiser), je publiais mon premier livre, Je ne suis pas Parisienne (Stock), sur ce mythe made in France devenu des plus bankables. De Madame de Sévigné à Charlotte Gainsbourg en passant par Françoise Hardy, c’est effectivement avec l’avènement des groupes de luxe – et ses figures du chic parfaitement consuméristes comme Inès de La Fressange – que ladite licorne a été redirigée vers des horizons aussi rentables que normatifs.

À l’intérieur de cette image culturelle cristallisée qui ne date pas d’hier, j’avais découvert un volet intriguant : la Parisienne, qui, disons-le, semble refuser toute diversité, se laisse paradoxalement incarner par une Américaine. L’expat d’outre-Atlantique est un visage récurrent de cette chimère frenchie. Audrey Hepburn, Jean Seberg, Carrie Bradshaw : voilà une Autre non pas exilée mais cosmopolite, bohème, bilingue. Un personnage théâtral qui importe sa propre relecture in English in the text de la ville. 

La Parisienne version US

Imagine donc ma surexcitation à tomber de ma chaise lorsque j’ai découvert une nouvelle itération de cette incarnation à travers le personnage d’Emily, fraîchement débarquée de Chicago pour travailler dans une firme de marketing de luxe. Son habillage stylistique est un parfait mimétisme de ce qui est attendu de la Parisienne – version airbrushed et instagrammable – tandis que son regard sur la capitale s’apparente plus à la tour Eiffel version Las Vegas.

Dès les premiers épisodes, on retrouve précisément l’expérience que l’anthropologue Marc Augé décrivait comme la joie toute particulière de l’hyper-réel : “Découvrir combien les originaux ressemblent à leurs copies.” Paris triomphe tant elle ressemble à une boutique pour touristes, à un film de Woody Allen, aux inspirations qu’elle a par la suite suscitées. Et pour cette troisième saison, qui débarque ce 21 décembre comme un Chrismas gift, ne t’attends pas à autre chose que la suite de la now famous line “OMG the whole movie looks like Ratatouille”. Pont Neuf, mimes, croissants… Je dirais même que la dimension conscientisée, comique, de se promener dans ce décor est poussée à un degré méta. Sylvie, notre queen of hearts, s’exclame dans un cynisme délicieux : “Emmenons-les au restaurant de la tour Eiffel – Americans will love it.”

Entre punchlines et décalages franglais destinés à faire rire une frenchness globalisée, c’est finalement une dialectique, un affrontement Paris vs l’Amérique, qui se déjoue sur un ring sépia. Lorsque, dans le premier épisode, Camille croise ses copines en route pour acheter des viennoiseries à son boyfriend encore au lit, Mindy lui lance un “Boulangerie bitch”. Ce à quoi elle répond, grosso modo, qu’elle est payée en nature pour cet effort. Allusions crypto-féministes, who is lecturing who ?

Tant qu’à filer la métaphore du gluten, Emily, elle, s’affaire à pitcher le lancement du McBaguette par McDonald’s à Savoir. La voilà donc en train de proposer une expérience sensorielle, sensuelle et bobo de la chaîne de fast-food (“It feels so luxurious in France !”, s’exclame-t-elle dans un McCafé) – cherchant à transposer le savoir-faire du luxe sur une offre globalisée. Best of both worlds, semble-t-elle penser, ou impérialisme version moulures-dorures, dirait plutôt Sylvie.

Ce qui est intéressant dans son américanisation des mœurs locales, c’est qu’elle fait vaciller le mythe de l’effortless, du naturel, essentiel, spontané de la Parisienne. Effectivement, on la voit en train de tenter de se couper la frange, boire du vin le matin, accumuler les bourdes. Un self-made à l’anglo-saxonne affrontant le born with it local ? 

La Parisienne version 2K23

Même si ces efforts sont au mieux cosmétiques, elle nous mène néanmoins à réaliser que nous sommes entré.e.s dans l’ère d’une nouvelle Parisienne en 2023, j’ai nommé sa variante par et pour TikTok. Aujourd’hui, l’heure est à l’“aesthetic” et à la “persona” sur le réseau, je ne t’apprends rien : surgissent les hashtags #frenchcore #europecore #frenchfeel dans des vidéos bardées de rayures et de bérets. Paris devient la toile de fond d’un personnage construit le temps d’une vidéo en béret-baguette. Résultat ? Un déracinement de l’histoire (souvent excluante) pour chacun de ces gestes et l’ouverture de cette esthétique à tous.tes – ou, du moins, à plus. Voilà que la France devient une ville disneyfiée, à taille enfant ou pour adulte impatient, errant de quartier en quartier, dans une esthétique parfaitement consommable et réinjectable sur un feed.

Mais ça ne s’arrête pas là : en parlant de business (spoiler : Alfie, Savoir, Sylvie, Maison Lavaux), la thématique de l’argent est resituée, en creux, comme le tabou ultime du pays – alors que les marques et groupes ne se privent pas pour capitaliser sur l’image de la “femme locale”. A l’aune du succès de Léna Mahfouf – mon livre n’aurait pas été le même avec ce genre de success story déjà présente en France –, Paris, et la culture française de façon plus large, est-elle prête à arrêter de rougir devant le money talk ? A adresser frontalement le besoin de survivre autant que l’envie de réussir, et à regarder en face l’impossibilité de célébrer un succès non pas glorieusement self-made mais éternellement taxé de “nouveau riche” ? Je ne sais pas dans quelle mesure Emily in Paris permettra de faire muter l’héritage aristocrate du pays, mais la fin de ce dénigrement social et la transition vers une joie mahfoufienne semble être une riche leçon de vie pour 2K23.

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