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Electro : enfin la fin du cliché DJette ?

Le monde du Djing est-il toujours autant dominé par les hommes ? Lors du festival Peacock Society, j’ai interrogé trois femmes DJ d’exception qui font un pied de nez aux rapports – souvent machistes – qui perdurent au sein de l’industrie musicale. 

DJ, une affaire d’hommes ? Not really. Apparu peu avant la Seconde Guerre mondiale, le métier de “disc-jockey” était à l’origine celui des animateurs radio, chargés d’annoncer les titres et le nom des artistes des musiques jouées à l’antenne. Pendant la guerre, ils animent des soirées dansantes secrètes et dans l’après-guerre, les DJ sets se démocratisent. Mais ce n’est qu’à partir des années 70 que le Djing devient l’art que l’on connaît aujourd’hui avec l’arrivée du disco – et les discothèques popularisées dans La Fièvre du samedi soir – et de pionniers comme Larry Levan.

Le DJ booth est à l’époque un total boys club. Mais en 1970, Annie Nightingale devient la première animatrice radio de la BBC. Dans son livre Hey, Hi, Hello, elle raconte qu’être la seule femme à l’époque à pratiquer un “man’s job” n’était pas une mince affaire : “Il y a une énorme différence entre être présentateur.rice et être DJ, en termes de radio. D’abord, il faut savoir travailler au desk. C’est intimidant et, pour un.e novice, c’est terrifiant. J’ai aussi été confrontée à un groupe d’ingénieurs du son masculins dans la cabine vitrée à côté de moi, qui attendaient, voire souhaitaient, que j’échoue.” Si aujourd’hui, certains noms féminins comme Amelie Lens ou Nina Kraviz sont devenues de véritables institutions dans le milieu techno, la réalité est que, l’année dernière, les festivals n’ont accueilli que 28 % de femmes DJ, et 1,6 % de non-binaires d’après female.pressure, une base de données en ligne et un réseau transnational de femmes, transgenres et gender-free & fluid people. Ces chiffres sont en net progrès par rapport à il y a cinq ans, mais cela montre que les femmes restent en minorité dans le milieu en termes de reconnaissance.

Le Top 100 des meilleurs DJ selon DJ Mag est tombé le 27 octobre dernier, et l’artiste femme la plus haut classée se trouve à la 14e place. Il s’agit de la queen belge Charlotte de Witte, suivie de Peggy Gou à la 24e place. Au sommet de ce classement, on retrouve sans surprise Martin Garrix en n°1, David Guetta en n°2 et le duo Dimitri Vegas & Like Mike en n°3. Sans nier le talent de ceux qui figurent en tête de liste, ça me peine de voir que seulement 14 femmes sont présentes dans le ranking. Le bon côté des choses, c’est que ce nombre ne cesse de croître au fil des années. Fun fact : Il y a bien une femme qui a figuré au sommet de ce classement, il s’agit de l’artiste britannique Joanne Joseph aka Smoking Jo. C’était en 1992 et she has paved the way pour les Nina & Charlotte.

Trente ans après Smoking Jo, je me suis rapprochée de trois DJ pour mieux comprendre leurs enjeux au quotidien et la place que les femmes ont dans ce métier encore dominé par des hommes cis  : meet Saku Sahara, DJ qui fait bouger les choses en cofondant Unit Sœurs, une association qui met en lumière la scène électronique lyonnaise et féminine ; RONI, une raveuse talentueuse et acharnée qui appartient à la Rinse France family ; et enfin u.r.trax, prodige de la techno qui enflamme tout sur son passage. Ces trois artistes qui font trembler les meilleures scènes d’Europe, Peacock, Boiler Room ou HÖR, te disent tout ce qu’il faut savoir pour devenir une queen des platines. 

 

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Comment es-tu devenue DJ ? 

RONI : J’ai d’abord demandé conseil à des potes sur le matériel à acheter, mais je n’avais que des réponses floues. Finalement, c’est une copine qui mixait, Léon Ruiz, qui m’a envoyé une liste de matos à acheter. Elle m’a accompagné sur le côté technique, elle m’a portée dans cette étape cruciale, elle m’a accompagnée aussi sur des sessions, donc voilà, c’est une femme qui m’a aidée à me lancer dans le milieu.

u.r.trax  : C’est le milieu de la fête qui m’a le plus attirée, j’ai commencé à avoir des petits gigs dans des endroits un peu craignos, mais toujours sans ambition. Je pense que ce qui a consolidé ma volonté de rentrer dans le milieu, ce sont les rencontres que j’ai pu faire et les artistes que j’ai découvert.e.s sans forcément les avoir rencontré.e.s. Quand j’ai commencé, j’étais très très fan de la DJ polonaise VTSS, et aujourd’hui je le suis encore plus. C’est une artiste qui est en constante évolution et qui est archi avant-garde. Il y a aussi Hector Oaks, avec qui je suis devenue grave proche, qui m’a beaucoup aidée dans la sortie de mes premiers disques ; et plus récemment Nina Kraviz, que j’ai rencontrée il y a un an et qui m’a énormément poussée, surtout au niveau de la prod, et m’a aidée à affiner mes goûts.

Est-ce que tu penses qu’aujourd’hui, le monde du Djing est toujours dominé par les hommes ? 

Saku Sahara : Oui toujours. Je pense qu’il y a des choses qui ont changé, mais on est encore loin du compte. Par exemple, il y a deux semaines, un post de DJ Mag présentait les top DJ français, et il n’y avait que des artistes masculins. En 2022, faire un article sur des DJ français sans parler de femmes, c’est pas possible, je trouve ça choquant. Le fait aussi que sur certaines programmations, le nombre de DJ féminines soit faible, c’est une chose que j’ai encore du mal à concevoir. Il est vrai qu’il y a de plus en plus de collectifs qui se montent et des initiatives 100 % féminines en place, mais bon, on est encore loin du compte.

RONI : Les artistes mondialement connus sont des mecs, mis à part Peggy Gou. Même si les femmes DJ prennent beaucoup plus d’ampleur ces dernières années dans les classements mondiaux, on ne nous voit pas. Ça grandit doucement, mais ce n’est pas encore bien établi.

Ça fait quoi d’être une DJ française qui a de plus en plus de visibilité dans le milieu ? 

Saku Sahara : C’est fou ! C’est une source de joie, je suis hyper reconnaissante du fait qu’il y ait de plus en plus de personnes qui me font confiance et qui croient en mon travail. Beaucoup de personnes suivent mes sets et mon parcours, ça me touche. En plus, j’ai un style plus british que français donc c’est cool de pouvoir partager mon intérêt avec le grand public.

RONI : En grandissant, il n’y avait pas beaucoup de femmes dans le Djing, et quand je me suis lancée, on n’était tellement pas nombreuses. Il fallait assurer derrière les platines, il fallait justifier notre place constamment. Aujourd’hui encore, je suis en process, je n’ai pas ce sentiment d’être entièrement établie, je suis toujours en train de progresser, je suis toujours dans ce sentiment de recherche. Je ne me projette pas trop concernant le fait d’être une DJ femme, ce n’est pas vraiment ce que je prends en compte une fois sur scène. Je ne me rends pas compte de ce que ça peut inspirer aux autres parce que je suis vraiment prise dans ce que j’ai envie d’être et d’accomplir. J’ai pas trop ce côté patriote, mais c’est cool quand je suis bookée dans un festival à l’étranger et que je suis la seule Française.

u.r.trax : Perso, je n’ai pas le sentiment patriotique français, je me sens plus algérienne que française honnêtement, alors que je n’ai jamais foutu un pied en Algérie. Musicalement, au début, je ne m’identifiais pas trop à la musique française, mais récemment, il y a cette artiste MZA du label techno Maison Close qui a sorti son EP, et qui m’a beaucoup impressionnée. Il y a aussi une fois où j’étais en Suède et le mec qui m’avait bookée avait aussi booké François X, et je voyais les sons qu’il jouait, il y avait aussi Lacchesi, UFO95, et là, je me suis dit : “Ah ouais, pour vous, c’est ça la France ? Ça fait plaisir !” Donc, pour le coup, ça fait plaisir d’être une DJ française, ce n’était pas le cas avant ! (Rire.)

Est-ce que la misogynie dans le milieu est encore flagrante ? 

Saku Sahara : La misogynie est flagrante quand tu débutes dans le métier. Je trouve que je recevais beaucoup plus de remarques quand je débutais. Malheureusement, sur des plus petites scènes, il y a des techniciens qui se permettent des réflexions ou des petites piques du genre “Est-ce que tu sais comment on fait ?”, “Tu sais utiliser un potard ?”. En évoluant, j’en ai eu moins, peut-être parce que j’ai gagné en notoriété et que, du coup, je m’entoure de personnes beaucoup plus professionnelles et ouvertes.

RONI : La misogynie existe sur plusieurs générations, dans plein de groupes, de plateformes : festivals, radios, promoteurs, etc.. C’est quelque chose avec laquelle on est au contact au quotidien. Moi, je suis quelqu’un d’hypersensible, je me protège énormément, dès que je sens qu’il y a des choses un peu bizarres, je n’y vais pas, ou je coupe court direct. J’essaye d’être dans un cercle vertueux, où j’évite d’y être confrontée. Chez Rinse par exemple, j’ai eu énormément de chance de rentrer dans cette famille, il y a chez eux une énergie et une équipe ultra-bienveillante, qui te pousse et te laisse être qui tu as envie d’être, il n’y a pas de limites ou de chemins dans lequel tu dois fit absolument.

u.r.trax : C’est un peu dans tous les milieux, non ? Et j’en ai fait les frais. Il y a quelques mois, je jouais dans un événement d’une certaine envergure, et leurs artistes et têtes d’affiche sont régulièrement des hommes. Il arrive parfois qu’on ne me calcule pas. Une fois, ils ne voulaient pas me donner un run mais ils l’ont donné à un mec blanc de 30 piges. Il y en a qui n’ont pas l’habitude de voir des femmes ou autres genres que masculins performer. Il y en a d’autres qui ne vont pas “t’attaquer” de front, ils vont essayer de te mettre un peu plus de bâtons dans les roues, car tu es une femme.

 

 

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Comment combats-tu cette misogynie ? 

Saku Sahara : Généralement, je ne calcule pas trop, car je connais mon talent. Quand tu montres ce que tu sais faire à ces misogynes, ça leur cloue le bec dès que tu touches aux platines. Tu t’imposes et tu montres de quoi tu es capable. Au-delà des mots, les actions parlent et ont plus de poids.

RONI : Quand ça se produit, il ne faut pas hésiter à le dénoncer, remettre cette personne à sa place quand elle dépasse les bornes. On est en 2022, si tu te sens menacé par mon talent ou ma féminité, c’est que tu n’es clairement pas à la hauteur. Nous, en tant que femmes, quand on se trouve face aux obstacles, on les absorbe, on les gère et on essaye de les maîtriser. Les misogynes qui viennent cracher leur venin au visage, c’est beaucoup trop facile. Il ne faut pas se laisser marcher dessus. Comme un mec, quand on lui parle mal, il n’hésite pas à remettre les gens à leur place, donc nous non plus.

u.r.trax : Moi, la manière dont je combats, c’est de ne pas les laisser m’atteindre. Je pense que c’est nécessaire de se mettre de bonnes phrases dans la tête, d’être bien entouré.e, d’avoir une bonne équipe, pour se faire un bon mental. Déjà, on ne peut pas plaire à tout le monde et puis nous, on doit prouver beaucoup plus de trucs, alors qu’il y a beaucoup de meufs qui sont dix fois meilleures que les mecs. Quand t’es une meuf et que t’es belle et ultra talentueuse, ça fout le seum à certains incels, donc il faut s’en foutre de leurs avis et commentaires.

As-tu une ou plusieurs DJ à nous recommander ? 

Saku Sahara : Oui, je recommanderai ma fav’ Sherelle, il y a aussi Anz, et Naina.

u.r.trax : Vel ! C’est une Lyonnaise marocaine installée à Lyon. Je l’adore. C’est ma sœur de musique, tu vois ? Ensuite, tu as Elise Massoni, super chaude qui bosse avec François X. T’as aussi Sentimental Rave qui est trop cool. En vrai, en France, on a quand même pas mal de meufs stylées que je préfère shout out. Après, il y a d’autres qu’on connaît comme Andy4000. Elle est trop cool, toute la team aussi avec Piu Piu, etc..

RONI : Chloé est une DJ française qui a eu beaucoup d’impact sur moi, j’ai beaucoup suivi son parcours et c’est l’une des premières que j’avais vues en France. Il y a aussi Melody qui fait partie du groupe RA+RE qui est une grande inspiration pour moi. Et il y a bien évidemment Jennifer Cardini et Miss Kittin, qui sont des icônes dans leur domaine

Un mot pour les filles qui souhaitent se lancer ?

Saku Sahara : Allez-y à fond les ballons, le plus important dans la musique, c’est de savoir s’entourer d’amis qui vous soutiennent, car c’est un milieu assez toxique. Le monde de la nuit est assez particulier, un monde de requins. Bien s’entourer, ça donne de la force. Je dirais aussi de rester fidèle à soi-même et à sa passion. Et surtout persévérer, ne pas se laisser démotiver.

RONI : Il ne faut pas avoir peur, ne pas avoir de craintes que ça ne se fasse pas rapidement. Il faut investir du temps, de l’argent, il faut aussi s’entraîner : c’est une discipline qui demande des années pour y arriver. C’est ta musique, ta vérité, si ton art est sincère, les gens vont suivre. Il y aura toujours une scène pour toi. Donc il faut juste y aller à fond. Tu sais les mecs, eux, s’ils veulent se lancer, ils y vont la tête la première, ils n’ont pas peur. Ils vont demander à quelqu’un et s’ils se prennent une bâche, ils se relèvent et vont parvenir à trouver quelqu’un qui pourra les aider. Dans le Djing, l’aspect relationnel et communautaire est hyper important. C’est ta relation avec celleux qui sont déjà connu.e.s, ou qui bossent dans des radios. Il ne faut pas avoir peur de les approcher et ne pas se poser de questions. Quand tu sais que c’est ta passion et que tu ne veux faire que ça, il n’y a pas de raison de se mettre des bâtons dans les roues, d’autres vont s’en charger.

u.r.trax : Aies confiance en toi. J’ai beaucoup de copines qui jouent super bien, même mieux que certaines personnes qui jouent professionnellement, et qui se rabaissent constamment, chose qu’il ne faut pas du tout faire. Le corps de cette discipline, c’est la fête et le fun ! Et dernière chose : ce qui cool dans ce process, surtout quand t’es une meuf, c’est que ça t’affirme tellement, ça te rend indépendante de ouf, et c’est tellement badass !

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