TISSU : La série mode qui déconstruit les tendances !
Du Fripster au Technokid, avec cette mini-série de 6 épisodes, tu découvriras la mode sous un angle sociologique inédit.
Du Fripster au Technokid, avec cette mini-série de 6 épisodes, tu découvriras la mode sous un angle sociologique inédit.
Imagine une boutique où les vendeurs passent plus de temps à philosopher sur les styles qu’à réellement vendre des vêtements ! C’est le concept rafraîchissant de TISSU, une web-série signée Charly Akakpo et Bonnie El Bokeili, et réalisée par Robin Deriaud. TISSU, c’est un peu comme une séance de shopping croisée avec un cours de sociologie, mais toujours sur un ton humoristique. Rencontre exclusive avec Charly et Bonnie pour décrypter les origines de cette web-série à succès.
Est ce vous pouvez vous présenter tous les deux ? D’où vient cet attrait pour l’audiovisuel et le cinéma ?
Charly : J’ai grandi un peu partout, en campagne, en banlieue et à Paris. Depuis tout petit, j’écris des histoires, probablement par héritage familial : mon père raconte des histoires à travers ses chansons et mon grand-père était journaliste. J’ai constaté que mes histoires pouvaient offrir aux gens une nouvelle perspective sur eux-mêmes ou sur le monde. Je me suis intéressé au métier de scénariste au lycée, j’ai fait un bac L, puis je suis allé à Paris 1 en Art plastique – Cinéma. Après une pause de deux ans, j’ai intégré l’école de Luc Besson en section scénario à 25-26 ans. Là-bas, je me suis concentré sur des projets personnels, des courts-métrages. C’est à ce moment-là que Bonnie et moi avons commencé à travailler ensemble, bien que nous nous connaissions déjà depuis un moment.
Bonnie : Mon parcours est assez différent de celui de Charly. J’ai grandi à Paris et, très jeune, je me suis immergée dans des milieux très queer et alternatifs. J’ai débuté dans le cinéma via la TV en tant que comédienne. À l’origine, je voulais me consacrer à la comédie, mais après des rôles décevants, j’ai commencé à écrire mes propres scénarios et j’ai intégré le CLCF (Conservatoire Libre du Cinéma Français, ndlr). J’avais déjà une expérience professionnelle significative grâce à des tournages importants. Cependant, au CLCF, je me suis rapidement sentie en décalage, voulant raconter d’autres histoires. D’origine libanaise-égyptienne, la dimension politique est essentielle pour moi. En parallèle, j’ai travaillé comme physio dans le milieu de la nuit, ce qui m’a beaucoup apporté en termes de compréhension et d’analyse des autres. Après mon retour d’Algérie, Charly et moi avons décidé de collaborer sur différents projets, aboutissant finalement à TISSU, notre projet commun. Nos approches, bien que différentes, se complétaient sur les plans socioculturel et créatif. Paris, avec sa diversité de communautés, a été un terrain d’inspiration pour nous deux.
Charly : Avec mon parcours universitaire et celui plus pratique de Bonnie, nos approches se complétaient bien, alliant le théorique à la pratique.
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Pourquoi avoir choisi le nom de TISSU ? Quels ont été vos questionnements et réflexions pour façonner ce projet ?
Charly : Je pense que c’est par souci d’universalisme, de neutralité et peut-être un peu d’humilité aussi. Vu qu’on savait qu’on allait parler de beaucoup de communautés différentes, il fallait vraiment trouver un nom simple, catchy, et qui parle à tout le monde. Même quand on a conçu la série, on s’est posé la question des noms des communautés, les Fripters d’un côté, les Yuccies de l’autre, il y avait des noms qui existaient déjà comme ceux-là, mais d’autres qu’il fallait créer. Par exemple pour Bkhiskar, pour nous c’était hyper important qu’il y ait une étymologie derrière, une consonance qui rentre dans le langage et qui fait qu’on ait envie de dire le mot. Et TISSU justement c’est le vêtement, c’est le point d’origine de toutes ces communautés.
Bonnie : Oui, et aussi on voulait vraiment un nom humble, qui rentre dans rien et dans tout à la fois. Et c’est un nom assez catchy en plus d’être drôle !
Pouvez-vous m’en dire plus sur votre rapport à la mode ? Qu’est ce qui motive vos choix vestimentaires ?
Charly : Avec Bonnie le point commun qu’on va avoir sur le vêtement c’est l’aspect “déguisement”. C’est le côté où on s’amuse et on s’adapte vu qu’on a tous les deux grandi dans plusieurs communautés. Le fait de devoir gérer des cultures différentes quand tu es enfant, de s’adapter, ça peut justement se traduire par le vêtement. Par exemple, Robin, il n’a pas de métissage, mais il a lui aussi beaucoup déménagé, et il portait des choses très neutres car la neutralité c’était sa manière à lui de s’adapter. Alors que Bonnie et moi, je pense qu’on est peut-être un peu plus “flamboyants”. Moi, je sais que si je vais voir mes anciens potes de chez Apple, je vais être zappé en Yuccie, alors que si je vais en soirée techno je vais m’habiller en Technokid, ou si je vais voir mes potes de squat je vais être en mode Brutaliste. Donc il y a un peu ce truc de se fondre dans la masse, qui vient peut-être d’un mécanisme de protection de l’enfance à la base ? Et Paris c’est une ville où on peut vraiment s’amuser avec le vêtement !
Bonnie : Personnellement, je pense qu’une tenue qui marche c’est un peu comme quand tu choisis un personnage de jeu vidéo ! TISSU c’est marrant parce que c’est assez réaliste au sens où par exemple je change très souvent de style quotidiennement. Franchement je peux changer “d’épisodes” ou de styles minimum 3 fois par an. L’idée c’est vraiment de ne pas se renfermer dans une case et je pense que c’est aussi beaucoup lié avec les milieux que je fréquentais. Aussi, je dirais que c’est pas forcément moi qui m’adapte complètement, je pense que c’est un mélange des deux car je vais toujours garder mes codes parce les vêtements ça comprend aussi les tatouages par exemple, ces choses qui restent sur toi et que tu ne peux pas changer. Mais pour moi la mode, le vêtement, c’est vraiment cette idée de s’amuser. Je pense que c’est important de garder une forme de liberté car j’ai l’impression qu’aujourd’hui les gens s’habillent aussi beaucoup en fonction de ce qu’on leur dit de porter, surtout avec toutes les trends. Depuis quelques temps, je fais aussi mes propres vêtements, j’ai un atelier de couture donc ça modifie aussi la vision du vêtement qu’on peut avoir. Maintenant je sais comment on fabrique un vêtement, je connais les tissus et toutes ces choses elles ont créé des pensées au niveau de l’upcycling, de l’écologie etc. Donc aujourd’hui pour moi le vêtement est aussi politique.
Charly : Aussi je pense qu’avec Bonnie on va moins avoir tendance à séparer nos looks mais plutôt à les mélanger. Avant TISSU par exemple j’étais habillé de façon beaucoup plus propre sur moi et Bonnie un peu plus destroy. Maintenant c’est un peu l’inverse, Bonnie va plus faire des looks avec des chemises et des cravates, alors que moi je vais avoir pas mal de piercings etc. Donc c’est assez drôle parce qu’en fait pendant TISSU on a interverti nos personnalités vestimentaires au final.
Bonnie : Oui, et ça va encore changer !
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Selon vous, le vêtement s’inscrit-il dans une dimension identitaire ?
Bonnie : Oui totalement ! Quand je parlais de jeux vidéo et de personnages pour moi c’est complètement ça. Je pense que les vêtements c’est aussi une armure qui permet de dégager des messages. Je sais que je vais pas du tout m’habiller pareil en fonction de l’événement ou des gens qu’il va y avoir car je veux pas forcément délivrer le même message à chaque fois. Parfois, le vêtement s’inscrit aussi dans une forme de réappropriation, car je vais ressentir un besoin de communication avec ma propre culture donc je vais porter des vêtements qui sont plus en lien avec. Puis c’est aussi un état. Je sais que je vais plus me faire entendre si je suis habillée de telle ou telle manière. Par exemple, au travail si je suis dans une salle entourée de plein de mecs blancs qui ne veulent pas m’écouter, je vais être obligée d’aller vers des vêtements un peu plus classiques car pour moi ça va être un moyen de me faire entendre et respecter. Donc il y a forcément un besoin lié à ça.
Charly : Aussi, ce que je dis souvent, c’est que 93% de la communication est non-verbale, et dans une ville comme Paris on est tous les uns sur les autres, donc on a besoin de faire des raccourcis de communication et ça passe par le vêtement. Et je pense que c’est aussi pour ça que Paris est une ville qui est autant tournée sur les fringues, car ça permet de faire un tri. C’était l’humouriste Fary qui disait “On peut pas être juste Noir, il faut être Noir et marrant”, ou Noir et bien zappé. Je pense qu’en tant que personne racisée, il y a ce truc là d’avoir recours au vêtement pour exister dans certains milieux, notamment les milieux artistiques. Je vais te donner une anecdote toute bête. Avant j’habitais à Stalingrad et maintenant là bas il y un endroit qui s’appelle la Rotonde. Quand j’y vais on va dire que je suis habillé plutôt classe. Et une fois, j’y suis allé en étant zappé tout en noir, gros blouson en cuir, et franchement le comportement des gens envers moi était complètement différent. Parce que je n’étais pas du tout perçu comme l’un des leurs, je n’avais de petite chemise, de petit bonnet, donc je n’étais pas dans leur école de commerce. Non, pour eux j’étais là pour vendre de la drogue. Donc je pense que ces choses là on peut les subir si on ne les comprend pas. Mais on peut aussi les utiliser à son avantage si on sait les gérer, notamment en fonction des communautés dans lesquelles on doit évoluer.
Quels sont vos grands moments vestimentaires, notamment parmi les styles décryptés dans TISSU ?
Charly : Quand j’étais petit, c’était ma mère qui m’habillait, avec beaucoup de salopettes roses et à rayures. En grandissant, c’était mon père : fausses Timberland, jeans amples et longs t-shirts. Au collège, j’ai adopté un style skater avec des grosses chaussures, jeans larges et t-shirts unis, très simples. Au lycée, j’ai eu ma phase de “fraîcheur” avec une petite mèche, des jeans très slim et des grosses chaussures, jouant sur le contraste entre la finesse de mes jambes et la taille de mes pieds. J’ai toujours beaucoup joué sur les perspectives, influencé par mon père artiste très sexualisé, cherchant à me désexualiser par le vêtement pour que l’on prête attention à ce que je disais. Cette désexualisation a duré jusqu’à mes 27 ans. À la fac, j’ai eu une période goth à la Rick Owens, puis une phase Yuccie chez Apple avec des vêtements bien coupés et des couleurs neutres. À partir de mes 27 ans, mon style s’est masculinisé, abandonnant le slim pour des baggy et des grosses baskets, inspiré par le hip hop et le Y2K. Récemment, je me concentre sur le vert fluo et le violet, mes deux couleurs favorites. Longtemps, je n’ai pas trop prêté attention à la mode, la trouvant superficielle.
Bonnie : En tant que comédienne, mes styles ont beaucoup évolué en fonction des personnages que j’incarnais. Petite, ma mère me laissait porter ce que je voulais : talons, tailles basses, des années 2000 pleinement vécues ! À Paris, ado, j’étais très rock, puis influencée par la série Skins. L’Angleterre m’a apporté beaucoup de liberté stylistique, et à Londres, à 15 ans, j’ai découvert une autre dimension du vêtement. Ensuite, mon style a évolué avec la communauté queer de Paris, apportant un côté punk, anarch-queer. De retour au Liban, j’ai reconnecté avec mes origines, mélangeant tout ça à mon retour. Mes amis, tous métisses, partageaient cette recherche de nos racines, intégrant nos cultures à nos vêtements. J’ai traversé une phase Fripster aux Beaux-Arts de Paris, puis Brutaliste en vivant en squat à la campagne. Une phase Technokid a suivi, avant un délire Insta K plus tardif. Ma collection de vêtements est importante, avec des pièces de créateurs et vintage. En comprenant que je pouvais porter cela tout le temps, j’ai embrassé l’Insta K, mais avec une approche d’upcycling. Mon style continue de changer, influencé par le cinéma et les personnages. Par exemple, après avoir vu Challengers avec Zendaya, j’ai eu quelques idées vestimentaires. Les tendances me fascinent et m’effraient, car je vois leur impact sur moi.
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On n’a pas toujours envie de succomber aux trends, pourtant est-ce qu’on peut vraiment y échapper ? Quel est votre rapport aux trends ? Vos préférées comme détestées ?
Charly : Déjà, je suis content de ne pas avoir eu de phase tecktonik ni de période où je lissais mes cheveux. C’est ma plus grande victoire, ma plus grande fierté (Rire.). En ce qui concerne les tendances, c’était surtout avant, quand j’apprenais ce qu’était la mode et le streetwear, et que j’essayais de comprendre mes goûts. Je me suis beaucoup inspiré du Japon, où se déguiser dans la rue est normal, il y a une grande ouverture d’esprit autour du vêtement. Donc oui, quand la tendance goth ninja est apparue, j’ai plongé dedans. J’allais aussi au Palais de Tokyo pour consulter le NYLON et suivre les tendances. Maintenant, j’essaye de moins m’adapter aux autres, préférant que la société s’adapte à moi. Je m’habille comme j’aurais voulu le faire à 10-12 ans, m’offrant l’adolescence vestimentaire que je n’ai pas pu avoir. Je surveille les tendances pour rester informé, mais je les applique beaucoup moins.
Bonnie : Moi, c’est un peu le contraire. Je n’ai jamais trop suivi les tendances, aimant plutôt être avant-gardiste. Souvent, je portais des choses qui devenaient à la mode ensuite, mais quand c’était trop populaire, ça me lassait (Rire.). Récemment, il m’arrive de manquer d’inspiration, et je pense que les réseaux sociaux y sont pour beaucoup. Avant, mes inspirations venaient des personnages de cinéma, moins directement de la mode. Maintenant, Internet influence beaucoup nos choix, et certaines tendances peuvent finir par m’intéresser. Je fais attention à ne pas trop renouveler ma garde-robe, gardant des pièces hors tendance que j’aime. Même si je suis plus influencée par le système qu’avant, cela peut être agréable. Parfois, je redécouvre des façons de porter des pièces que j’ai déjà. L’important est de ne pas dépendre entièrement des tendances pour préserver sa personnalité. Porter des pièces parce qu’elles nous ressemblent, pas juste parce que c’est à la mode. Je me demande souvent si j’aime une pièce parce qu’elle est tendance ou parce qu’elle me représente vraiment. Les réseaux sociaux, comme une forme de publicité quotidienne, nous influencent inévitablement.
Quelques mots sur la direction artistique de TISSU ? Quelles ont été vos inspirations ?
Charly : Je pense qu’il y a énormément de choses qui viennent de références cinématographiques, notamment si on prend l’épisode 4 dédié au Yuccie, Bonnie dit qu’elle devient la Yuccie, et c’est très inspiré d’une scène de Charlie’s Angels où Lucy Liu arrive habillée un peu en domina dans un truc de geek pour les distraire… Puis dans la réalisation il y a aussi beaucoup de Robin, et on peut pas parler de la série sans parler de lui. Mais pense que TISSU c’est avant tout un mélange de pleins de références pop, cinématographiques qui vont parler à tout le monde. Et c’était hyper important pour nous d’apporter une touche d’humour pour ne pas tomber dans l’entre-soi, le snobisme, surtout vu qu’on parle de mode je pense qu’on peut vite tomber là dedans. Donc pour nous c’était important de rendre TISSU drôle, ludique et accessible !
Bonnie : Je pense qu’au-delà de tout ça, Robin, Charly et moi on est un peu 3 geeks et on parle beaucoup à travers des références. Franchement 80% de nos sujets pour comprendre le sujet d’un autre on va passer par des références pour que l’autre comprenne, donc on est vraiment tous les trois animés par ça. On a des références très différentes, mais justement on a su les lier. Nous avec Charly notre truc c’est le cinéma, Robin lui va beaucoup puiser dans les bandes dessinées. Après l’identité générale de la série, on a mis du temps à la trouver honnêtement. Moi je sais que je me suis beaucoup inspiré de Sex Education parce que je trouvais ça hyper intéressant qu’ils aient réussi à toujours garder cette idée de l’école tout en incluant le sexe à travers toute leur DA. Donc justement on a essayé de trouver un point de ralliement dans tout ça, d’où l’idée des tickets de caisse par exemple. Puis Charly et Robin sont très bons en graphisme donc ça permet aussi pas mal de libertés !