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Dear Diary : j’ai tellement hâte de la finale de l’Eurovision

Que penser de la place des visibilités LGBTQI+ du concours international ? Ambivalentes… mais nécessaires pour l’enfant queer en mal de représentations que j’ai été.

Cher Journal,

Ce week-end, j’ai un rendez-vous gravé dans le queer de vachette : je regarde la finale de l’Eurovision. Aussi connu sous le nom des Gay Olympics, le concours is back avec son marathon de perruques poudrées, de contouring trompe-l’œil, de chorégraphies dalidesques et de boules à facettes. Tout un folklore queer institué par les victoires de performeur.se.s LGBTQI+ depuis ses débuts, qui a permis de bâtir une plateforme et un safe space pour des expressions de genre et des communautés minorées – offrant un moment rare de fierté sur écran géant. Cette année, j’ai hâte de voir La Zarra, queen of hearts, représenter la France, Gustaph pour la Belgique, Alessandra en Norvège, Lord of the Lost en Allemagne. La course est donc à la plus intense flamboyance, l’occasion d’enfiler ses habits de lumière et de briller dans le noir, dans un camp outrancier et hors du monde.

Alors oui, je sais ce que tu vas me dire, et je suis d’accord avec toi. Que veut dire la présence, pour ne pas dire l’usage, de ces corps queers en guise d’identité nationale ? Le concours se déclare apolitique… un choix lui-même politique. Les usages sont paradoxaux, parfois royalement hypocrites, c’est indéniable : une telle présence peut permettre d’afficher certaines problématiques au détriment d’autres ; washer l’image d’un pays et promouvoir l’économie du pink dollar ; montrer une image gay-friendly en dissonance dangereuse avec la réalité vécue (comme le duo faussement bisexuel t.A.T.u. pour représenter une Russie homophobe en 2003). L’idée ? Nier toute dimension systémique de l’homophobie du pays, dans un système qui permet de se dédouaner de ses crimes.

Barbara Krief, journaliste LGBT à L’Obs – tu peux me faire une infidélité et aller lire sa nouvelle chronique croustifondante “Intérieur Queer” – est de cet avis, et je la suis : “Les queers sont un porte-drapeau arc-en-ciel dans un positionnement et une assignation bien pratiques, plutôt qu’à des postes stratégiques politiques. Où sont les effets, les arrivées à des postes de pouvoir ? Où sont les élu.e.s trans à des rôles stratégiques de conseiller.e.s politiques ? Où sont les avancées concrètes ?”

Alors voilà ces icônes LGBTQI+, un soir par an, données en spectacle et en pâture – ou reprenant de l’espace ? La frontière est fine, et siège, en premier lieu, dans sa perception par les regards dominants. Oui, cela fera gronder la fachosphère, émoustillera la gauche caviar, donnera des idées de start-up à la Macronie. Et aujourd’hui, je n’ai pas de réponse ferme à te livrer, hormis te dire qu’à titre personnel, once a weird child looking for a queer family, j’aurais aimé voir cette émission plus tôt.

Boule à facettes et nouvelles visibilités

Découverte une fois arrivée en Angleterre adolescente, j’ai soudain eu accès à un rêve d’une autre Europe, queer et populaire à la fois, hors de la gayness intramuros et de la gauche à l’universalisme victimaire que j’avais pu voir à Paris. Le drag, là, depuis une petite télé dans un pensionnat de la campagne du Sussex, avait agi comme transfert de magie par voie pailletée. Ni wannabe avant-garde, ni pseudo-intellectuelle, juste sincère, dansante et joyeuse – ces quelques pas de danses m’avaient remise sur pied.

Un petit bonheur à la fois : from Moldavie to Malakoff, j’ai jubilé de découvrir ma famille autrichienne interloquée par la victoire de Conchita Wurst, drag-queen d’origine turque qui proposait un autre visage au pays à l’histoire pour le moins vallonnée. J’étais admirative du parcours autant que de l’excellence de Dana International aussi. Plus tard, ravie de voir les Måneskin se rouler des pelles et écorcher l’anglais de la reine. J’adore toujours la personne et le message incarnés par Bilal Hassani, qui représentait la France en 2019 au concours. Bilal qui reçoit des menaces de mort mais continue de signer tous les autographes des petit.e.s enfants déguisé.e.s à ses concerts. Bilal accompagné en coulisses de sa maman faisant de la pédagogie auprès des parents inquiets. L’occasion de chanter avec lui “Maman, j’ai bobo, le monde est fou, mais je danse encore Maman”.

Plus jeune, ces options auraient été les bienvenues : je rentrais de l’école, dès la maternelle, et courais me cacher dans ma chambre pour enfiler des collants sur ma tête, que j’appelais mes cheveux longs, pour m’entraîner à “bien faire la fille”. C’est ce processus même de création, et surtout sa longue impossibilité, qui ont fait de moi qui je suis devenue… et qui je suis encore en train de devenir. Et j’aurais aimé précisément voir ce que l’Eurovision semblait autoriser : rêves, essais et essayages, hors de la peur, la culpabilité, la honte. Un corps protégé et aimé avant d’être hypersexualisé, matraqué de mépris, contraint à l’aveu auquel aucune “bêtise” n’a jamais préexisté.

From the gaze to the gays ?

L’Eurovision, c’est pour moi un objet à multiples encodages et degrés de lecture, qui tend la main et délivre une autorisation à croire en soi. Et l’écriture même de cette chronique m’invite à réfléchir au regard subi, comme espace de surveillance avant tout plaisir. Laura Mulvey et Joey Soloway ont théorisé le gaze et les multiples gazes internalisés. Le “male gaze”, état d’autorégulation permanent chez le sujet minoré, s’imbrique chez le sujet intersectionnel à la conscience d’un bourgeois gaze, white gaze (goy gaze, I see you). Cet état, qu’on pourrait nommer “compulsory objectification”, fait qu’on ne se connaît qu’à partir des projections enclavantes. C’est dans ces conditions que tant d’enfants queers arrivent, fragmenté.e.s, dans le monde des grandes personnes.

Je m’intéresse ces jours-ci à d’autres formes de co-regards auquel j’ai rêvé sans le savoir : au queer gaze, et au “matrixial gaze” de Bracha Lichtenberg, centré autour de la compassion, du partage, de la transmission entre les corps. Des liens, des complicités, des élévations, des possibilités, et du besoin si vif de réparation et de reconnaissance. Générer de la queer joy, comme moteur d’imagination personnel, à soi autant que pour et avec l’autre, auprès de sa famille choisie, who endlessly redefines what loving means.

De la scène à la fête, il y a un monde dans ma tête où des drag-queens nommé.e.s Michel Faucul et Sigmund Fraude dansent chaque soir le french cancan dans un théâtre à ciel ouvert nommé The Mirror Stage. Perruque peignée par mes soins dans mon salon, « Pfeif’Hair – Coiffeur SubjecTIF ». After the gaze, time for the gays – dansant sous une disco ball, qui illumine, visibilise et donne, littéralement, matière à réfléchir.

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