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Comment The Weeknd s’est transformé en pop star rétrofuturiste

Dawn FM, le cinquième album du chanteur canadien, est un pas de plus vers la construction d’un personnage énigmatique. En multipliant les références à des films de science-fiction, à des stars de la pop 80’s, il mélange les époques, les malmène pour créer son propre espace-temps musical.

©Brian Ziff

Sur la pochette de son nouvel album Dawn FM, The Weeknd apparaît vieilli, la barbe et les cheveux blanchis, le regard empreint d’inquiétude et de tristesse. Drôle de posture pour ce chanteur qui incarne un pan entier du R&B contemporain, musique qui préfère souvent mettre en avant la sensualité de ses acteurs. Rien de tout cela ici. On ne sait pas s’il incarne un homme né il y a soixante-dix ans ou s’il s’agit d’une image provenant du futur, de ce qu’il serait dans cinquante ans. Cette image symbolise l’attrait de The Weeknd pour le rétrofuturisme, pour ce subtil mélange des époques, des dimensions et des réalités. Sculpté dans les références à la science-fiction, au nocturne et au synthétique, Dawn FM vient ponctuer dix années d’évolutions visuelles et musicales, dix années d’un savoureux brouillage de pistes.

En introduction de l’album, on découvre la voix profonde de Jim Carrey qui annonce : “You are now listening to 103.5 Dawn FM / You’ve been in the dark for way too long / It’s time to walk into the light.” Puis, les productions du musicien expérimental Oneohtrix Point Never ou du hitmaker de la pop music, Max Martin, retentissent entre trip froid à la Kraftwerk sur “Gasoline”, montagnes synthétiques à la Daft Punk sur le single “Take My Breath”, ballade aux basses profondes sur “Starry Eyes” ou rythmiques foncièrement 80’s sur “Less Than Zero”. En faisant resurgir les sonorités et les références du passé tout en livrant un album moderne, The Weeknd prouve qu’une pop star qui squatte la tête des charts peut parfaitement faire dans le conceptuel. Car depuis son album Starboy sorti en 2016, Abel Tesfaye – de son vrai nom – développe un personnage mystérieux, un alias qui lui autorise pas mal de folies.

The Weeknd Dawn FM album release

©Brian Ziff

La rencontre décisive

Qu’elle semble loin l’époque où le chanteur galérait dans les bas-fonds de l’underground R&B. Lorsqu’il sortait son tout premier single en 2009, “Do It”, il n’y avait rien de spatial. L’ambiance était aux sonorités sombres, à l’envie de redéfinir les contours d’un genre musical qui se cherchait, encore hanté par les grands noms des deux décennies précédentes. The Weeknd cartonnait d’emblée grâce à sa mixtape House of Balloons, en 2011. Un univers dur, certes éclairci par sa voix, mais brut au possible. Il cultivait un certain anonymat, qui n’a pas duré, mais qui montrait que l’idée de personnage et d’identité l’obsédait déjà.

Au fil des ans et des succès, la pop synthétique a peu à peu remplacé le R&B ténébreux. Sur le titre “Real Life” par exemple, qui ouvre le deuxième album de The Weeknd, Beauty Behind Behind the Madness, cette transition opère en direct, doucement. Mais en 2015, une rencontre va tout changer. Les Daft Punk l’invitent à venir travailler dans leur studio parisien. Alors que tout ce beau monde est en train d’enregistrer le futur carton “I Feel It Coming”, Abel entend dans son casque une drôle de rythmique en arrière-plan. Il s’arrête, demande de quoi il s’agit, et découvre que c’est Guy-Man (l’un des deux Daft) qui travaille une batterie sur son iPad. Abel flashe sur ce motif qui deviendra celui de “Starboy”, autre single mastodonte du projet.

Sur cet album (Starboy), d’autres titres font dans les sonorités futuristes : “False Alarm”, “Stargirl Interlude”, ou encore “A Lonely Night”. De là, The Weeknd va se replonger dans ces films, ces jeux vidéo qui l’ont tant nourri, et assumer son indéniable attrait pour les sonorités 80’s. La science-fiction, qui a bâti la culture populaire des années 1980-1990, va devenir une part majeure de sa musique. “Ce film a changé ma vie”, dit-il à propos de Matrix. Il cite X-Files, Retour vers le futur, le film d’horreur sud-coréen Audition… Avant de plonger définitivement dans l’univers du personnage hors du temps qu’il se construit, il sort l’EP My Dear Melancholy en 2018, composé et enregistré en trois semaines, comme un dernier regard vers la musique de ses débuts. Puis, il entame l’enregistrement de l’album After Hours (un titre en hommage au film du même nom réalisé par Martin Scorsese en 1985).

L’influence de GTA : Vice City

Lorsqu’ils entrent en studio, Abel et Max Martin ont écouté la bande originale du film Drive, composée en 2011 par Cliff Martinez, et ses ambiances synthwave si marquantes. Ils se nourrissent des tubes “Young Turks” de Rod Stewart ou “Self Controlde Laura Branigan, parus en 1981 et 1984, et mettent au point le titre “Blinding Lights”, qui deviendra le plus grand succès de la carrière de The Weeknd. Mais ce n’est pas tout : il faut approfondir le concept, mélanger les esthétiques, parfaire le personnage amorcé sur Starboy, qui prend de plus en plus de place. La référence de ce projet, qui donnera sa direction visuelle à l’album After Hours, c’est le jeu vidéo GTA : Vice City. Certes, il est sorti en 2002, mais son décor – planté dans un Miami fictif des années 1980, entre Scarface et Miami Vice – a marqué une génération entière de joueurs. Par son scénario, certes, mais aussi par sa bande originale où l’on croise INXS, Rick James, Roxy Music ou encore Talk Talk.

Dans une interview donnée au magazine Billboard quelques mois après la sortie d’After Hours, The Weeknd expliquait : “GTA : Vice City m’a ouvert les yeux sur beaucoup de musiques des années 1980, il y avait une certaine nostalgie de l’époque où j’étais gosse, où je jouais à ce jeu vidéo, en écoutant Hall & Oates et Michael Jackson et en conduisant dans les rues de la ville.” Un univers qu’il met en scène lors de son show télévisuel à la mi-temps du Super Bowl 2021. Dans l’intro du concert, on le voit installé au volant d’un bolide, entouré d’enseignes en néon typiques de Las Vegas et affublé de cette fameuse veste rouge créée par le designer Patrick Henry de la marque Fresh. Entre paillettes, coupe rétro, décor de boîte de nuit clinquante et pas de danse à la Michael Jackson, l’immersion dans cette époque révolue mais réanimée est totale.

The Weeknd Dawn FM album release

©Brian Ziff

GTA : Vice City m’a ouvert les yeux sur beaucoup de musiques des années 1980.

Vampires, drogues et pandémie

The Weeknd aurait pu s’arrêter là dans le délire. Mais non. Ce personnage, cette esthétique, sonnent comme un retour au bref anonymat de ses débuts. Alors, pour son nouvel album Dawn FM, il décide de liquider les derniers vestiges de son passé artistique et d’embrasser à pleine bouche le rétrofuturisme. Avec une autre référence majeure, celle des films Tron : l’original de 1982, réalisé par Steven Lisberger, et sa suite, Tron : Legacy, sorti en 2010, et dont la bande originale était assurée par les potes Daft Punk. Celle-ci nourrit grandement Dawn FM, que ce soit dans ses envolées synthétiques effrénées ou dans ses visuels. Le visage de The Weeknd sur la pochette, vieilli, semble tout droit inspiré du personnage de Kevin Flynn, bloqué dans un jeu vidéo, condamné à y mourir.

Sur la majorité des productions, on retrouve donc Oneohtrix Point Never, qui sévissait déjà sur After Hours, avec cette patte sonore incomparable, empreinte de synthpop massive et de synthétiseurs Juno (marqueur sonore des années 1980). The Weeknd plonge totalement dans un son désincarné, un peu hors du temps, fait de machines et de voix trafiquées, de son FM avec la voix de Jim Carrey qui assure les interludes, et d’autres références cinématographiques, comme le film Blade, réalisé en 1998 par Stephen Norrington. Un univers fantastique où se côtoient les vampires, l’horreur, les designs urbains, les cyberpunks, la ville de nuit, les drogues et les truands. Tout ce qu’Abel Tefaye adore.

Le clip du single “Take My Breath” est ouvertement inspiré d’une des scènes les plus cultes du film : la “blood rave”. Une fête parée de débauche, où le sang coule à flots. Dans sa vidéo, The Weeknd se retrouve au milieu d’une soirée où les drogues ont été remplacées par de l’oxygène, qui se prend en respirant un grand coup dans un masque. Alors que le monde est plongé dans une pandémie due à un virus qui atteint le système respiratoire, pousse à se masquer et à proscrire les espaces festifs, le message n’a rien d’anodin. Sommes-nous dans le présent ? Dans un futur pas si lointain et angoissant ? Certainement un peu des deux. Car The Weeknd mélange tout, et, comme le montre Dawn FM, toujours avec un œil dans le rétro.

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