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Pourquoi l’humour est mon mécanisme de défense préféré

L’humour queer m’a permis de rire de mes échecs, de mes faux pas, de mes excès et de mes mauvais choix. Carapace ou clé du bonheur ?

J’utilise l’humour comme une armure, c’est de famille je crois. Mes parents ne sont pas clowns mais presque. (J’imagine déjà leurs têtes en lisant cet article.) Autodérision et blagues self-deprecating n’ont aucun secret pour moi, et au fil du temps, j’ai même pris goût à me moquer de mes failles. Tout a commencé à l’école, quand j’ai découvert que l’humour était une forme d’intelligence qui n’était enseignée nulle part. Le sérieux n’était jamais bien vu (avoir des bonnes notes non plus) mais la légèreté, oui. J’étais plutôt du genre à rester dans mon coin, pas à provoquer l’hilarité de mes camarades en faisant exploser une cartouche d’encre ou en me moquant de quelqu’un. Malgré tout, avec mes yeux ronds d’enfant, j’en venais à envier celles et ceux qui, contrairement à moi, arrivaient à aller au-delà de leur timidité pour amuser la galerie. Car être marrant, c’était être cool.

Puis j’ai grandi. Un coming out et quelques histoires d’amour ratées plus tard, j’en viens à réfléchir à la communauté queer et à notre rapport au rire. Je vais voir quelques spectacles humoristiques qui me donnent rapidement l’impression que, quand on est queer, le rire est essentiel à notre survie. D’abord car c’est une mécanique intime qui peut nous permettre de mieux nous accepter. En 2018, des chercheurs de l’université de Grenade ont mené une étude pour mesurer l’impact de l’autodérision sur la santé mentale. Il s’avère qu’après avoir interrogé un panel de 1 000 volontaires et analysé les résultats, rire de soi serait bénéfique “pour le bonheur et la sociabilité”, comme l’explique Jorge Torres-Marín, coauteur de ces travaux. Parmi tous.tes ces cobayes, pas sûr que la majorité soit queer, mais tu vois l’idée.

 

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L’humour pour aller mieux

De mon côté, je me rends compte, après l’introspection nécessaire à la rédaction de cet article, que l’humour n’est pas seulement omniprésent dans ma vie, c’est aussi un réflexe qui permet de gérer ses émotions. Colère, tristesse, sentiment d’injustice… L’humour est un liquide sucré qui fait passer ces pilules beaucoup plus sereinement, comme une manière de mettre à distance des expériences parfois traumatisantes.

Quand je rencontre Jessé dans un café du 10e arrondissement parisien, c’est le premier à se moquer de sa nouvelle couleur de cheveux (mi-Archie dans Riverdale, mi-Mylène Farmer). Certes, je ne lui ai pas offert la fameuse coloration nécessaire à son retour au brun ténébreux qui le caractérise d’habitude, mais la conversation est tout de même fructueuse. Dans son seul en scène Message personnel, il aborde tour à tour ses relations familiales, le harcèlement vécu à l’école ou le regard que les hétéros portent sur la sexualité gay. En rodage depuis le début de l’année avec ce spectacle qui reprend le 21 septembre au Théâtre du Marais, il semble avoir déjà tout compris aux mécanismes de l’autodérision. “Face à la violence qu’on subit, on est obligé.e.s de développer une carapace, et la mienne est passée par l’humour. L’humour pour désamorcer, pour être cool… Et aussi pour dédramatiser. Ça te permet d’égayer un quotidien qui peut être dur. Ça permet aussi de garder la face. Si tu es un petit garçon super joyeux, on ne va pas se douter que tu te fais harceler à l’école.”

L’humour pour se donner une contenance ou pour se cacher, voilà des choses qui me parlent. L’autodérision, c’est peut-être aussi une manière de se protéger, pour se moquer de soi avant que l’autre ne le fasse ? Après tout, l’humour a longtemps été utilisé pour rire de la communauté queer à ses dépens. Combien de films ou de séries utilisent le trope du “gay best friend”, véritable assistant personnel dont on sert comme d’un accessoire au même titre que le dernier sac à main à la mode pour provoquer l’hilarité du public ?

Le rire communautaire

Je n’arrive pas à imaginer de position plus vulnérable qu’être seul.e sur scène. Être humoriste, c’est se montrer vulnérable face à l’autre. Et si écrire un spectacle et se confronter à des événements passés devant un public permettait d’accéder à la catharsis, cet “effet de purification produit sur les spectateur.rice.s par une représentation dramatique” ? Un bon rappel que l’humour n’est pas une démarche individuelle mais un partage : rire, c’est connecter avec l’autre. Au théâtre, les éclats de rire sont une musique qui lie toutes les personnes de la salle le temps d’un moment suspendu.

Aujourd’hui, les humoristes queers proposent des spectacles qui montrent une véritable diversité de vécus, de points de vue et de cheminements personnels. Jérémy Lorca parle de sa vie amoureuse et de la résilience dont il faut faire preuve pour continuer à croire aux âmes sœurs. Lou Trotignon aborde sa transition et sa découverte du monde queer sans détour. Tahnee déconstruit les clichés sur les lesbiennes… Toutes ces propositions sont complémentaires et témoignent de la richesse de la scène humoristique française mais aussi de la pluralité des expériences traversées au sein de la communauté LGBTQIA+.

Quant aux réseaux sociaux, ils ne sont pas en reste. Je pense par exemple à Rob Anderson et à ses vidéos qui ont conquis une communauté de plus de 600 000 personnes sur Instagram. Dans son format humoristique Gay Science, l’Américain détaille des questions absurdes pour se moquer des clichés : “Pourquoi les gays ne boivent que des iced coffees ?”, “Pourquoi les élèves homosexuels sont toujours les petits chouchous des profs d’anglais ?” Avec Gay Anthropology, il décortique les archétypes queers, les “astrology gays” ou les “game night lesbians”, permettant aux concerné.e.s de se retrouver dans ses contenus. L’humour devient alors un moyen d’affirmer son identité et son individualité au sein d’une communauté.

Et quant à l’humoriste américain Matteo Lane, il met en avant ses racines italiennes pour pointer du doigt les différences culturelles : dating, coming-out, relations familiales… Le comédien n’hésite également pas à parler de précédents spectateurs hostiles et homophobes au détour de ses spectacles. La violence subie est alors détournée et on ne rit plus de lui mais avec lui. L’humour comme pied de nez à l’ignorance et à la bêtise.

 

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L’humour est politique

Dans son ouvrage Le Pouvoir de l’humour, Nelly Quemener aborde les mécanismes subversifs de l’humour pour les minorités et les communautés dominées dans la société patriarcale : “L’humour n’échappe jamais complètement aux modèles dominants, mais il profite d’un agir propre, celui de resignifier ces modèles, voire d’en montrer le caractère arbitraire, par le biais d’une répétition imparfaite et d’une recontextualisation, pouvant être mis au service d’une lutte politique.” L’humour n’est donc pas seulement un mécanisme de défense mais également un outil qui peut permettre de se réapproprier des insultes pour transformer la honte en empowerment et créer un décalage avec les remarques discriminatoires. Combien de fois avons-nous utilisé les mots jetés à nos visages pour nous faire de la peine au cours de manifestations ou de discussions enflammées ?

Être drôle, ce serait être engagé ? Le spectacle Pride Comedy Show, joué en mai 2023 au Théâtre de la Renaissance avant d’être diffusé sur Comédie+, en est une preuve supplémentaire. L’initiative devrait être renouvelée tous les ans, avec pour objectif de “célébrer l’amour, la diversité, et la fierté d’être celui ou celle qu’on est, autour d’un plateau heureux, joyeux et inclusif”.  

“Je veux aussi faire réfléchir”, approuve Jessé, qui essaye, à son échelle, de faire évoluer les choses de l’intérieur dans le milieu très codifié de l’humour : “Le but de l’humour, c’est de réussir à toucher tout le monde et à sortir de ta communauté, car c’est aussi là que tu changes les mentalités.”

J’en viens à penser au petit Damien qui se sentait seul dans sa chambre, sans personne qui le comprenne vraiment. Peut-être qu’à l’époque, ce genre de spectacle aurait pu être un phare ou au moins une petite étoile dans sa nuit noire. Peut-être que ces modèles assez courageux pour se raconter sur scène avec autant de vulnérabilité que de tchatche auraient pu apaiser ses maux, en attendant d’être assez à l’aise avec lui-même pour s’assumer entièrement. Peut-être… Pour lui, il est trop tard : il est déjà grand. Mais d’autres jeunes, j’en suis sûr, en profiteront.

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