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Mode

#BeVisible, le mouvement qui déstigmatise les handicaps en société

Pour NYLON, Bérénice Magistretti, journaliste et militante contre le validisme, adresse les clichés quotidiens auxquels elle fait face, son projet #BeVisible, et le rôle que peut jouer la mode.



Photographe : Penelope Caillet

J’ai rencontré Bérénice Magistretti il y a plus de 10 ans, alors toutes deux bébés journalistes à l’International New York Times, encore appelé le International Herald Tribune à l’époque. Depuis, je suis, de loin, sa carrière stellaire, où elle couvre l’économie, la technologie et les questions éthiques qui les traversent pour diverses publications internationales. And that’s not all, elle travaille main dans la main avec des business solidaires qui lient mode et inclusivité.

 

Ce que Bérénice m’apprend aujourd’hui, c’est qu’elle est née avec une retinitis pigmentosa – “une dégénérescence rétinienne qui cause des trous dans la vision et de la difficulté à voir la nuit, en ses propres mots. Aujourd’hui, c’est son refus de cacher cette condition qui la pousse à devenir activiste par son projet #BeVisible. Et par là, refuser la honte associée au handicap, et adresser les normes valido-centrées qui la produisent. Elle s’intéresse tout particulièrement aux “handicaps invisibles comme la malvoyance, la dyslexie, l’endométriose, les troubles mentaux”. Et propose d’offrir un espace de parole offrant récits et joie, notamment par la mode, la beauté, et une self-celebration de chaque différence.

Peux-tu me parler de ton parcours de journaliste, et de comment ton combat actuel s’est formé ?

L’écriture a toujours été ma plus grande passion. Je ressens une telle liberté quand j’écris car tout devient plus clair. Ma première expérience en journalisme était au International Herald Tribune à Paris il y a maintenant presque 15 ans ! Depuis, j’ai écrit pour divers médias sur divers sujets, avec un crochet à San Francisco où je couvrais le domaine de la tech. C’est là que j’ai découvert tout un univers d’innovations extraordinaires, de startups qui développent des solutions dans le domaine de la “disability tech”. Mais avec un handicap visuel qui prenait de plus en plus d’ampleur, j’ai décidé de rentrer en Europe et de me concentrer sur l’activisme afin d’apporter plus de visibilité aux handicaps – visibles et invisibles.

 

Peux-tu me parler de ton engagement, en quoi il consiste et de ce que tu défends ?

Pendant très longtemps, j’ai essayé de cacher mon handicap. J’avais honte, je ne voulais pas que les gens pensent que j’étais faible, vulnérable, invalide… Mais au fil des années, cette tentative de dissimulation me prenait une énergie folle et c’est là où je me suis arrêtée et que je me suis posée la question : Pourquoi le cacher ? C’est déjà assez difficile de vivre avec un handicap, donc pourquoi le rendre encore plus difficile en essayant de le cacher ? C’était il y a 5 ans et j’ai fait un travail énorme sur moi-même depuis pour mieux accepter cet handicap et en parler sans gêne. J’ai remarqué qu’en parlant ouvertement de mon handicap, beaucoup de personnes partageaient leurs difficultés en retour. Et c’est là que j’ai réalisé qu’il y avait un boulot énorme à faire pour déstigmatiser les handicaps en société et encourager les gens à en parler plus ouvertement.

On parle de société valido-centrée – peux tu me donner des exemples, me parler de ton quotidien, de tes réalités ignorées par les personnes valides?

On vit, en effet, dans un monde valido-centré, c’est-à-dire un monde où tout est conçu et pensé par et pour les personnes valides, qui n’ont pas de handicaps. Ce qui veut dire que les personnes handicapées doivent en permanence s’adapter à un environnement qui leur est inaccessible. Dans mon cas par exemple, j’ai besoin de beaucoup de lumière pour voir ce qu’il y a autour de moi, lire un menu ou reconnaître une personne. Malheureusement, la majorité des hôtels, restaurants, bars, etc. sont très sombres, et quand j’ai l’audace de demander pourquoi le lieu baigne dans la pénombre, on me répond souvent que c’est un choix artistique ou stylistique, afin de créer une certaine “ambiance”. Traduction : On s’en fout des personnes malvoyantes ! (rires).

 

Quels clichés, quels stigmates existent autour des personnes en situation de handicap ? Que veux-tu faire bouger, mettre en lumière ?

Il y a tellement de clichés et de stigmates autour des handicaps ! Un des principaux, je dirais, est cette notion généralisée que les handicaps sont binaires. C’est-à-dire, une personne est soit complètement aveugle ou a une vue de lynx, est en chaise roulante ou a une mobilité complètement fonctionnelle. En réalité, il y a un énorme spectre pour chaque handicap. Dans mon cas, j’ai une dégénérescence rétinienne qui cause des trous dans la vision et de la difficulté à voir la nuit. Mais il y a des centaines d’autres formes de malvoyance qui existent et qui causent divers degrés de problèmes de vue. Les glaucomes, les cataractes, l’albinisme, la rétinopathie diabétique… Il n’y a pas que la cécité totale ! L’autre cliché que j’aimerais démanteler est l’idée que si tu es handicapé.e, tu es forcément déprimé.e et que ta vie est misérable. I mean, really? Je suis une jeune femme de 36 ans épanouie qui croque la vie à pleine dents. Certes, j’ai un handicap, mais c’est justement ce handicap qui m’a poussé à faire un travail sur moi-même et qui m’a permis de développer d’autres sens qui me branchent au ressenti, à l’odorat, à l’ouïe, au toucher, aux ondes, aux énergies… Du coup, je vois et je perçois le monde d’une manière différente, ce qui je pense est une force énorme.

Le validisme est encore peu connu dans la lutte pour l’inclusivité et les questions intersectionnelles, pourquoi ce retard ?

J’avoue que c’est seulement récemment que j’ai appris ce que voulait dire “validisme” – c’est-à-dire une discrimination envers les personnes en situation de handicap et un désir de rendre les personnes invalides, valides. C’est un sujet très compliqué qui touche à diverses facettes de notre société. Je pense que ce terme est encore peu connu dans la lutte pour l’inclusivité et les questions intersectionnelles car, je me répète, on vit dans une société qui a besoin de percevoir les choses de manière binaire : homme/femme, noir/blanc, hétéro/homo, jeune/vieux, valide/invalide. L’intersectionnalité devient donc compliquée dans ce contexte peu nuancé et nous sommes vite réduit.e.s à une mono identité. Donc si on est handicapé.e.s, on est rien d’autre, cela nous définit. C’est pour ça que le langage employé pour décrire une personne est très important. Moi-même je ne me décris pas comme étant “handicapée”. Je dis plutôt que “j’ai un handicap”, ce qui pour moi fait une grosse différence car je ne me sens pas définie par mon handicap. C’est une partie de moi, comme être femme, féministe, journaliste, activiste, hétérosexuelle… C’est un tout.

 

Peux-tu me parler de #BeVisible, de la notion d’invisible disability ?

Jusqu’à présent, mon handicap était invisible – c’est-à-dire qu’il n’y avait rien d’externe, comme une canne ou une chaise roulante, qui signalait un handicap. C’était donc à moi de choisir si et quand je dévoilais mon handicap visuel. C’est quand j’ai commencé à en parler plus ouvertement, en étant plus vocale, que j’ai réalisé à quel point c’était commun de vivre avec un handicap invisible. Une personne peut avoir un handicap visuel, auditif, cognitif, mental ou encore une maladie chronique comme la maladie de Lyme ou la maladie lupique. Ce qui les lie tous est le fait qu’ils soient invisibles, et selon des données récentes, 80% des handicaps sont invisibles. Mon idée de #BeVisible c’est d’encourager les gens à parler de leurs handicaps et surtout de ne pas avoir peur de le montrer. Je viens d’acheter ma toute première canne pour m’aider à naviguer. Cela m’a pris plus d’un an à me préparer psychologiquement à l’adopter et rendre mon handicap visible car c’est un objet qui est encore tellement stigmatisé. J’espère que cela va encourager d’autres personnes à faire le pas !

La mode parle de plus en plus de questions liées au handicap, qu’en penses-tu ? Qu’apporte cette visibilité, et qu’espères-tu qu’elle pourra générer?

Je pense que la mode a toujours été et sera toujours un miroir qui reflète l’état de notre société. Elle a pendant longtemps été très white, très skinny et très straight, et là on commence finalement à voir plus de mannequins aux formes, couleurs et genres variés. Je pense que le handicap est le prochain cap à passer. Il y a des signes encourageants, comme Gucci Beauty qui a inclus une jeune femme trisomique dans une de ses campagnes ou British Vogue qui a dédié son numéro de mai aux artistes, créateur.rice.s et influenceur.se.s handicapé.e.s. Mais ce sont des exceptions à ce stade, et tant que ces moments restent extraordinaires, ils ne seront jamais ordinaires et n’ont donc pas le potentiel de redéfinir la norme. Ce que j’espère, c’est que les marques de modes commencent à inclure des personnes handicapées dans leurs campagnes, défilés, etc., car cela associerait les handicaps à quelque chose de positif et d’aspirationnel. Pourquoi maintenir cette image réductrice que les personnes handicapées s’habillent de manière ennuyeuse et unfashionable ? Moi j’ai une passion pour la mode depuis mon plus jeune âge, je lis Vogue et j’adore mon petit sac Chanel ! Alors pourquoi est-ce-que je ne me sens pas incluse, comprise et représentée dans ce monde ? Qui des grandes maisons se fera pionnière en incluant une canne dans ses campagnes ?

 

Quels conseils aimerais-tu donner aux lecteur.rice.s de NYLON ?

J’aimerais encourager tous les lecteurs et lectrices à se sentir libres d’être visibles. Visibles par rapport à leurs identités, leurs genres, leurs origines, leur sexualité, leurs handicaps… Ce sont nos différences qui nous rendent uniques et le fait de partager ces différences ouvertement nous aidera tous.tes à être plus tolérant.e.s et à valider nos diverses facettes. So #BeVisible !

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