Valentin Guiod signe le clip « Patience (Sabali) » de DJ Snake
Un court-métrage, une odyssée, un cri doux porté par l’amour.
Un court-métrage, une odyssée, un cri doux porté par l’amour.
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Comment tu te sens maintenant que le film est sorti et que l’avant-première a eu lieu ?
Beaucoup de gratitude et de fierté. Présenter ce film au Grand Rex, en plein “année DJ Snake” après le Stade de France et Bercy, c’était inattendu et fort. J’aime dire que le Grand Rex, c’est un peu le Stade de France du cinéma.
La salle était pleine, l’émotion aussi — et pouvoir faire ça en soutien à SOS Méditerranée a donné encore plus de sens à cette soirée.
Tu as dû faire preuve de beaucoup de patience pour en arriver là ?
Oui, le projet s’est étalé sur trois ans : un an d’écriture, un an de préparation, puis un mois de tournage au Sénégal. Dès le départ, l’équipe de DJ Snake voulait aborder cette cause à travers un film, et on a pris le temps de construire quelque chose de solide.
Le plus complexe, ça a été la coordination : faire en sorte que des artistes comme Omar Sy, Amadou & Mariam et Alassane soient tous disponibles au même moment. C’était un vrai casse-tête, mais tout le monde était profondément engagé.
On avait à cœur de faire les choses bien, sans précipitation. Évidemment, il y a eu des moments d’impatience, car on avait envie de faire exister ce film, de porter ce sujet. Mais justement, Patience (Sabali) nous a appris cette valeur-là — pas seulement dans ce qu’il raconte, mais dans la manière dont on l’a conçu. Une leçon sur le temps, la persévérance, et l’engagement collectif.
Raconte-nous ton parcours : comment es-tu arrivé jusqu’ici ?
Je viens des arts appliqués, j’ai fait une école d’art assez jeune, ce qui m’a permis de toucher à plein de choses : arts visuels, artisanat, musique… J’ai toujours eu une approche très libre et transversale de la création.
J’ai ensuite réalisé Frater, mon premier court métrage, qui est sorti il y a deux ans et qu’on peut voir sur Canal+. Je l’ai écrit moi-même, et aujourd’hui je développe de nouveaux projets.
Le cinéma, c’est quelque chose que j’ai toujours eu en moi. J’ai commencé par la direction artistique, mais j’ai vite senti que j’avais besoin de raconter, d’écrire, de filmer. Je ne suis pas passé par une école de cinéma, j’ai tout appris sur le terrain. C’est en forgeant ma vision au fil des projets que je suis devenu réalisateur.
Quels autres clips ou formats visuels as-tu réalisés ? Est-ce que certaines expériences passées t’ont préparé à ce projet ?
Oui, je pense que chaque projet m’y a préparé à sa manière. J’ai récemment réalisé un clip pour Saint Levant, un artiste engagé que j’admire beaucoup. Avant ça, j’ai fait Frater, un court métrage qui traite de la mort périnatale et du deuil familial. Et puis Breathtaking, un clip entre fiction et anticipation, dans un monde où l’air devient irrespirable, avec Finnegan Oldfield, Diane Rouxel et Yuming Hey. À chaque fois, je m’investis profondément, avec des partis pris forts. Ces projets m’ont permis d’assumer ma voix, de croire en ma légitimité artistique. En fait, Sabali est une continuité logique : une maison construite brique par brique, avec la volonté sincère de porter des récits qui ne sont pas forcément les miens, mais que je veux faire exister à l’écran.
Comment s’est construit le casting du film ? Est-ce toi qui as choisi ces visages, ou une décision collective ?
J’avais vraiment envie de mettre en lumière une nouvelle génération de comédiens africains, notamment sénégalais. J’avais une liste en tête pour chaque rôle, avec des noms comme Alassane Diong. Très vite, William a proposé Omar Sy, qu’il connaît bien. Il a accepté d’être un peu l’ambassadeur du film et de faire un caméo, ce qui a évidemment apporté une grande visibilité au projet.
On a ensuite organisé un casting à Dakar, où j’ai découvert Anna Thiandoum. La connexion a été immédiate. J’ai aussi fait appel à des acteurs que je connaissais, comme Amadou Mbow (Atlantique), Ibrahima Mbaye et Marie Fay, tous très liés au Sénégal.
Au final, c’est un casting choral, engagé, et profondément ancré dans le territoire. Leur regard a été essentiel dans la construction du film, dès la préparation.
Sabali veut dire patience, mais le film montre un héros qui prend tous les risques pour avancer, fuir, aimer. Est-ce que tu vois une opposition entre cette attente presque spirituelle et la réalité brûlante de l’exode ?
Je ne pense pas que la patience soit synonyme d’inaction. Au contraire, elle demande une immense résilience. Les récits d’exil le montrent : il faut du courage pour traverser les épreuves, garder espoir et continuer à avancer. Sabali, c’est cette force-là.
Ce mot englobe beaucoup plus qu’une simple attente : il incarne le temps long, la persévérance, le lien profond à l’espoir. Pendant les trois ans qu’a duré la fabrication du film — ce qui correspond à la durée moyenne d’un parcours d’exil — j’ai vraiment ressenti cette notion de temps étiré, imposé. Et ce rythme, cette lenteur, fait partie intégrante de ces histoires.
Même après l’arrivée, un autre combat commence : se faire entendre, être reconnu, trouver sa place. La patience, c’est tout ça. C’est l’épopée entière, et la dignité qu’on tente de préserver tout au long du chemin.
Le film s’inscrit dans une démarche de soutien à SOS Méditerranée. Est-ce que cette dimension humanitaire a influencé ton écriture ou ta mise en scène ?
L’engagement était total. Le fait que SOS Méditerranée ait accepté de s’associer au projet est une immense reconnaissance. Ça donne une portée concrète à notre travail artistique.
Cela dit, je n’ai pas voulu faire un documentaire. Mon intention était de traiter ce sujet avec poésie, à travers une approche sensible et émotionnelle. J’ai mené beaucoup de recherches, consulté des témoignages, mais toujours avec la volonté de garder un point de vue cinématographique.
Le lien avec SOS Méditerranée s’est renforcé au fil du processus. Sur place, au Sénégal, on a rencontré des personnes concernées. Et aujourd’hui, grâce à la visibilité du film, cette alliance prend tout son sens : elle permet d’ouvrir le débat, de sensibiliser et, je l’espère, d’encourager le soutien et la mobilisation.
Le film dure dix minutes, mais il condense une épopée entière. Comment as-tu pensé ce format ?
Au départ, le morceau de DJ Snake durait trois minutes. Mais très vite, on a eu envie d’en faire plus : de traiter un sujet fort avec du souffle. C’est là que l’idée d’un véritable court métrage est née.
C’était un pari risqué — à la fois pour son engagement, mais aussi pour sa durée, à contre-courant des formats “snackables” qui dominent aujourd’hui. On voulait au contraire inviter à la pause, à l’écoute, à la profondeur.
DJ Snake a accepté de nous ouvrir les pistes de sa composition. On a pu étirer, découper, recomposer à partir de sa “matière sonore”. Certaines séquences sont montées sur des éléments musicaux absents de la version finale du morceau, comme un piano très doux qu’on n’entendait pas à l’origine.
C’est là que j’ai compris la richesse de sa musique. Et au fond, cette extension du format est née d’une vraie rencontre artistique, d’un geste de confiance : celui d’un artiste qui accepte d’ouvrir son univers, pour qu’on y raconte autre chose.
As-tu dû couper des scènes pour ne pas trop allonger le format ?
Oui, j’ai coupé des scènes — et c’est toujours un moment difficile. Mais je pense qu’on commence vraiment à comprendre son film quand on accepte de se séparer de certaines séquences, même si elles nous tiennent à cœur.
Le montage a duré plusieurs mois, ce qui est long pour un clip. On a pris le temps de servir l’histoire, pas juste nos émotions de tournage. Certaines scènes restent très précieuses pour moi, même si elles ne sont pas à l’écran.
Elles font partie de l’univers du film — comme un hors-champ invisible mais sensible. En les retirant, on a renforcé l’équilibre du récit. La lumière, les mouvements, les silences racontent aussi ce qu’on a choisi de taire.
La lumière, les couleurs, les mouvements de caméra sont très incarnés. Quelle direction artistique voulais-tu donner au film ? As-tu eu des références particulières ?
Dès le départ, on voulait faire du cinéma — pas un clip, pas un docu, pas une pub. On a travaillé chaque élément : la lumière, les silences, les textures… avec l’idée d’un récit épuré, où la musique et l’émotion prennent le relais des mots. On a construit les décors comme pour un long métrage, avec une mise en scène pensée, sans tomber dans le pur réalisme.
Côté références, Moi, Capitaine de Matteo Garrone m’a beaucoup inspiré — une approche plus crue, mais une odyssée humaine très forte. Je pense aussi à Wong Kar-wai, qui m’a marqué plus jeune par ses films contemplatifs, silencieux. Cette idée qu’on peut comprendre un personnage sans qu’il parle m’a guidé dans Patience.
Et bien sûr, Mati Diop. Atlantique m’a profondément bouleversé, et Dahomey m’a marqué par sa puissance documentaire. Certains ont vu un clin d’œil à Atlantique dans la scène de la boîte de nuit. Ce qui est fou, c’est qu’elle n’était pas prévue : le lieu, les artistes, tout est arrivé à la dernière minute. Et quelque chose d’un peu magique s’est produit.
Si ce film évoque son travail, c’est un immense honneur.
Qu’est-ce qui t’a le plus marqué pendant le tournage ?
Ce qui m’a le plus frappé, c’est l’engagement total de toute l’équipe — figurants, techniciens, comédiens, production. Personne n’a lâché, malgré la fatigue, la chaleur, les difficultés. À chaque scène, on avait l’impression de repartir au combat.
La scène du camp m’a particulièrement marqué. On avait reconstitué un décor avec 300 figurants, une révolte à mettre en scène, une tension à faire monter. On a mis six heures à la répéter, sans trouver le bon rythme. C’était éprouvant, physiquement et mentalement.
Mais tout le monde est resté. Présent, concentré, solidaire. Et à un moment, quelque chose s’est débloqué. La scène a pris vie, presque d’elle-même. À ce stade, tu n’as plus vraiment besoin de diriger : tu observes, et tu te rends compte que la réalité dépasse la fiction.
Ce moment-là, c’est la preuve qu’un film tient d’abord sur l’énergie d’un collectif. C’est ce que je garderai de cette aventure.
As-tu envisagé d’ouvrir le récit à d’autres vécus, notamment queer, dans cette histoire de migration et d’amour ?
C’est une question très juste — et c’est justement un sujet sur lequel je réfléchis pour un format plus long. Ces récits me touchent profondément, car ils me concernent aussi. Il y a une urgence à représenter les vécus queer, notamment en Afrique, où ils sont encore largement invisibilisés, voire criminalisés.
J’ai envie de montrer que ces réalités peuvent coexister dans une même histoire, sans tomber dans l’opportunisme. La vie est faite de récits entremêlés, de luttes croisées. Et tant qu’il y aura des personnes queer contraintes à l’exil pour vivre dignement, alors ces histoires doivent être racontées — avec sensibilité, poésie, et justesse.
C’est une direction que j’envisage très sérieusement pour la suite.
Quel est ton plan préféré dans le film ? Et pourquoi ?
C’est sûrement une réponse attendue, mais mon plan préféré, c’est celui de l’œil sous la bâche — celui qu’on a choisi pour l’affiche. C’est une image que j’avais en tête depuis le début. Elle condense toute la tension du film : la peur, l’attente, la fragilité. Un regard traqué, presque animal.
Mais on n’a pas pu le tourner le jour prévu — manque de temps, de lumière. J’ai insisté pour qu’on le refasse, malgré un planning très serré. Le seul créneau possible tombait… le jour du tournage d’Omar Sy. J’ai pris mon courage à deux mains, je suis allé lui expliquer. Il m’a simplement répondu : « Prends le temps qu’il faut. »
Quand je lui ai montré le film, au moment de ce plan, il s’est tourné vers moi avec un petit signe d’approbation. Ça m’a profondément touché. Ce geste-là, c’était une validation, un respect mutuel entre artistes. Et ça a rendu ce plan encore plus précieux.
DJ Snake et Omar Sy ont évoqué une fin ouverte, libre à l’interprétation. Quelle est la tienne ?
Je ne voulais pas d’une fin figée, encore moins tragique. Trop souvent, les récits migratoires occidentaux se concluent par un drame — un corps échoué, un naufrage — comme si l’issue devait forcément être fatale. Moi, je voulais une fin ouverte, poétique, qui laisse place à l’espoir et à la projection.
La scène finale, pour moi, ce n’est pas une fin : c’est peut-être encore le milieu du voyage. Je la vois comme un espace symbolique, où Haïda et Modou se retrouvent. Vivants ou non, peu importe — ce qui compte, c’est que les liens qu’on crée restent avec nous, qu’ils nous accompagnent, même dans l’absence.
C’est ça Sabali : un chant silencieux, une mémoire intime. Une ode à ceux qu’on a aimés, qu’on a perdus, mais qui continuent de marcher à nos côtés. Chacun y verra ce qu’il veut — l’au-delà, le souvenir, la paix. Moi, j’y vois surtout une présence.
Qu’aimerais-tu que les gens retiennent de ce film ?
Peut-être quelque chose de simple, presque naïf, mais profondément vrai : on est riche des gens qu’on aime.
Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui rêve de devenir réalisateur ?
Je dirais que c’est un rêve possible. Si tu ressens de l’empathie, de la curiosité pour le monde, et le besoin de raconter… alors ton histoire est légitime. Ce n’est pas une question d’avoir le bon regard, mais d’assumer le tien. Ta parole a de la valeur. Ton point de vue mérite d’exister.