Rom-com sous tension : ce que Too Much dit (vraiment) de nous
Elle est intense, paumée, drôle et vraie. Mais pourquoi son histoire tourne-t-elle encore autour d’un mec ? Too Much veut casser les codes, elle les recycle.
Elle est intense, paumée, drôle et vraie. Mais pourquoi son histoire tourne-t-elle encore autour d’un mec ? Too Much veut casser les codes, elle les recycle.
L’amour en boucle, le schéma aussi
Jessica reste enfermée dans le schéma : elle est quittée par un homme pour une autre, elle entre dans une rivalité avec cette autre, puis se retrouve en quête d’un nouveau sauveur. Toujours la même rengaine. Et le plus attristant ? C’est que cette quête-là, celle du grand amour, reste la base de son récit. Comme si, en 2025, une femme seule n’était toujours pas envisageable. Comme si le bonheur n’existait qu’en couple. Spoiler bis : une femme épanouie et célibataire, on attend toujours qu’on lui consacre une série. Alice Weill, qui tient la newsletter “Puissantes” signe un take fort : « Par rapport à Girls, qui était drôle, acerbe, crue, authentique, Too Much semble… fade, un peu caricaturale. Dans Girls, Lena captait à la perfection l’absurdité et la cruauté douce-amère de la vie à 25 ans. Là, on a l’impression qu’elle essaie de reproduire une formule sans y injecter la même vérité ni la même urgence. Tout est plus édulcoré, plus gentil, mais moins sincère. On aurait pu s’attendre à une série qui renverse les codes de la romance, qui parle de reconstruction post-rupture avec lucidité, qui montre une héroïne imparfaite mais puissante, drôle, créative, et qui finit par se choisir elle.»
Célibataire et fièr.e ?
Ce qui pose problème ici, ce n’est pas le chagrin d’amour- que nous sommes malheureusement nombreux.ses à avoir connu- mais l’impossibilité, dans les séries, pour les personnages féminins de s’émanciper seules. En 2025, il faut encore que la quête de l’âme sœur gouverne les trajectoires de nos héroïnes, car la réalité persiste : une femme seule dérange. Une femme seule est “problématique”. Alors elles cherchent l’amour, désespérément, car c’est encore présenté comme la seule issue possible, le seul salut. Il est encore si rare de voir des personnages célibataires épanouis, vivre pleinement, et s’accomplir sans l’aval d’un homologue masculin (ou féminin).
Syndrome de la sauveuse, épisode 1.572
Donc, spoiler alert : dès l’épisode 1, les dés sont jetés, et nos doigts se crispent. Jusqu’à la toute fin. Toute la série va tourner autour de Félix. Dix épisodes à se demander : “Est-ce qu’il m’aime ?”, “Est-ce que j’ai été trop intense ?”, “Est-ce que je suis normale ?”. Le tout entrecoupé de longs monologues émotionnellement étouffants, où Jessica s’oublie pour mieux s’adapter à lui. Elle le choisit, lui, au lieu de se choisir elle. Et si l’on parle de ce moment-clé, où Félix lui fait une déclaration qu’on pourrait trouver mignonne, “le moment too much mais sincère”, il faut rappeler qu’elle sort d’une soirée chargée en substances, et que lui, seul personnage sobre de la série, a dû la regarder pendant des heures enchaîner les excès, assis, impuissant. Ex-accro, il n’avait d’autre choix que d’observer. On coche ici la case du syndrome de la sauveuse : Jessica tombe sur un artiste torturé qu’elle va “guérir” grâce à son authenticité. Traduction : encore une femme qui répare un homme. Un classique. On aurait aimé que Jessica se choisisse, avant de choisir Félix. Que sa folie douce, sa spontanéité, sa douleur aussi, soient le point de départ d’un chemin personnel- pas uniquement amoureux. Surtout quand la série aborde des dynamiques complexes : dépendance, décalage émotionnel, syndrome de la sauveuse. Des sujets puissants, mais traités ici sans vraie prise de risque.
Voir cette publication sur Instagram
Une héroïne toxique ?
On aurait aussi aimé que la série nomme plus clairement ce qui, parfois, cloche dans la dynamique du couple. Jessica, aussi attachante soit-elle, traverse encore sa rupture – et se jetter dans une nouvelle histoire alors qu’on n’est pas remis, ce n’est pas anodin. Pour soi, mais surtout pour l’autre. Elle consomme sans filtre devant Félix, ex-addict désormais sobre, le teste sans cesse, le repousse avant de le rappeler, et finit par projeter sur lui tout ce qu’elle n’a pas digéré de son ancienne relation. Résultat : Félix existe moins pour ce qu’il est que comme un nouveau terrain d’expérimentation affective. Ce n’est pas de la cruauté, ni de la malveillance – juste une forme de chaos émotionnel qui, au fond, mériterait d’être exploré avec un peu plus de lucidité. Et c’est peut–être cela qui pêche : en 10 épisodes, on ingurgite presque 3 saisons classiques d’une série. Il faut aussi prendre en compte la contrainte des plateformes, notamment Netflix qui pousse ses réalisateurs.trices à produire dans des conditions loin d’être idéales : on pense à Hwang Dong-hyeok qui a failli annuler la saison 2 de Squid Game tant la pression à impacter sa santé et son imagination.
Comme le rappelle Valentin Étancelin, journaliste au Huffington Post, « Il faut aussi prendre en compte le format imposé. Netflix a tendance à commander des mini-séries, quitte à les prolonger ensuite si ça fonctionne« . Résultat : des intrigues compressées, des personnages esquissés à la hâte, des dynamiques qui mériteraient d’être approfondies mais restent en surface. « C’est une série qui aurait peut-être mérité de creuser davantage les personnages« , note-t-il encore, pointant le manque de développement affectif autour de Félix ou des amitiés secondaires. « On n’arrive pas trop à saisir dans quel registre on est, si c’est de la comédie romantique ou du drame« , dit-il aussi- et ce flottement tonal contribue à brouiller notre réception. Pourtant, « Too Much reste une comédie romantique – il ne faut pas s’attendre à trop. » Et c’est peut-être là que réside une part du malentendu. Parce qu’on attendait une œuvre manifeste, une mise à jour radicale du genre, on a été tenté·es de la juger à l’aune de Girls. Or ici, « la série raconte quelque chose d’une personne« , sans forcément chercher à en faire un modèle ou une leçon. Jessica n’est pas exemplaire, elle est simplement « une héroïne qui n’est pas linéaire, qui ne fait pas des choses bien partout, et qu’on n’excuse pas forcément. Et cela fait du bien à avoir. Et même si aux yeux de certain.es Jessica n’est pas Too Much, aux yeux de la société, elle l’est : elle est transparente, intense, sans filtre, sincère, bruyante, donc nous avons besoin de personnages comme elle. Jessica est une bouffée d’air frais nécessaire et indispensable même si, en effet, elle est parfois à la limité ». Et n’est-ce pas là le véritable “Too Much” de la série ? Cette imperfection-là, cette absence de morale claire ou de chemin balisé, c’est peut-être aussi ce qui sauve la série de l’anecdotique.
Malgré ses défauts – un rythme trop rapide, des personnages secondaires à peine esquissés ( même si on salue notre queen ultime Adèle Exarchopoulos, toujours divine) – Jessica a cette humanité bancale qu’on retrouve rarement dans les productions calibrées. On rit, on grince un peu, on lève les yeux au ciel, puis on se surprend à être touché·es. Malgré ces limites, la série se regarde avec plaisir. Parce que Meg Stalter est géniale. Parce que certaines scènes sonnent juste. Et parce que la mélancolie douce-amère qui traverse les épisodes touche parfois au cœur. Mais on aurait aimé que la série aille plus loin. Qu’elle casse vraiment les codes, plutôt que de les rejouer. Car au fond, on l’a déjà vue, cette histoire. Il y a trente ans. Bridget Jones existait déjà. Et ce n’était pas censé être une inspiration en 2025.