Élan critique contre l’Instagram business
Au début, tout semblait des plus prometteurs. Le mouvement casual Instagram était une pratique d’initiés anonymes fatigués des logiques plastiques régnant sur la plateforme. Nous étions en 2018 et le hashtag #makeinstagramcasualagain était le slogan d’une génération combattant l’algorithme, en quête d’un remède anti-corps blanc cis et ferme, s’alarmant contre les bibliothèques d’apparat trop rangées et les bagels parfaitement beurrés.
À l’époque, les ressorts du business des influenceur.se.s ne dupaient plus personne et devaient être déconstruits. Le magazine business Forbes associait Instagram à l’eldorado de l’entrepreneuriat, où s’épanouissaient des jeunes devenus des marques à part entière. Le ridicule des manœuvres de certain.e.s était dévoilé en 2021 dans le documentaire Fake Famous produit par la chaîne américaine HBO montrant, entre autres, les faux jets mis à disposition des instagrammeur.se.s pour prétendre à la vie luxueuse de Kylie Jenner le temps d’une story.
La machine était devenue folle. Instagram n’était plus un lieu de rencontre et d’amusement, mais de business H24, 7 jours sur 7, peuplé d’élu.e.s jeunes, minces, en bonne santé. Les tutos pour gagner des followers se multipliaient tout comme les mèmes les parodiant. Résultat ? Une esthétique schizophrène, mêlant comptes ironiques et troupeaux d’influenceur.se.s aux silhouettes similaires. Les stories truffées de publicités symbolisaient alors la victoire de l’ostentatoire et d’une vie de loisirs sans faille. Alors le casual est arrivé comme une bouffée d’air frais – une solution médiane. Rapidement, un demi-million de posts sont partagés sur Instagram. Sur le forum Reddit, certain.e.s s’indignent : “Qui veut encore regarder des voyages dans des hôtels de luxe ? Marre des images parfaites construites pour l’algorithme. C’est déprimant. Retour à l’Instagram vielle école où je partageais mon Starbucks et mes prises de vues débiles.”
Selon la sociologue des médias Kim Barbour, la fonction de l’esthétique casual a été centrale dans le maintien des liens pendant les confinements à répétition : “Plutôt que d’être destinée à être désirable ou à attirer l’attention par l’étalage du luxe, l’esthétique casual est un style qui peut être compris comme la réponse photographique à la question ‘Que faites-vous en ce moment ?’, qui était centrale dans les communications interpersonnelles pendant le confinement. Ces images ont aussi une fonction de mise en scène et rappellent, à bien des égards, les photographies des albums de famille, où les images banales servent par ailleurs à démentir la complexité de la vie familiale ou en communauté.”