Assister à un concert, c’était autrefois un simple plaisir, un petit kiff mensuel. Aujourd’hui, c’est devenu un véritable parcours du combattant. Entre les prix exorbitants, les files d’attente numériques interminables, et les plateformes puissantes comme Ticketmaster, les fans se heurtent à un mur. La musique live est-elle devenue un luxe réservé à une élite ?
Autrefois, acheter une place de concert, c’était fun, légèrement stressant si l’on voulait être aux premiers rangs, mais pas une course effrénée. Il suffisait de braver le froid pour faire la queue devant un magasin ou de se lever tôt pour décrocher son précieux ticket. Aujourd’hui, tout a changé : les billets sont numériques, les prix ont explosé, et la quête pour obtenir son sésame devient un sport de haut niveau. Les QR codes ont remplacé les tickets papier, mais à quel prix !
Des billets et des files d’attente qui valent de l’or
Pour illustrer l’augmentation des tarifs, rien de mieux qu’un retour en arrière. En 2009, lorsque Michael Jackson devait partir en tournée lors de This is it, ses fans campaient littéralement toute la nuit devant les points de vente. A ce moment-là, les prix variaient entre 50 et 75 £ (entre 56 et 84 €). Le prix des packages VIP les plus chers coûtait 770 £, soit près de 900 €, ce qui était déjà très cher par rapport aux prix de l’époque.
Aujourd’hui, les tarifs des concerts de grandes stars comme Beyoncé, Taylor Swift, Lady Gaga ou encore Bad Bunny dépassent très souvent, la centaine d’euros. Par exemple, pour le Cowboy Carter Tour de Beyoncé en février 2025, les places les moins chères au Stade de France étaient à 85,20 €, tandis que les billets Carré Or pouvaient atteindre 277,70 €, sans parler des places VIP qui peuvent grimper au-delà de 2000 €. Lady Gaga, quant à elle, n’a pas non plus épargné ses fans français pour sa tournée The Mayhem Ball. Elle a proposé des prix allant de 55 € à 630 € pour ses concerts à Paris et Lyon. En quelques minutes, les stars américaines avaient vendu toutes leurs places de concert, provoquant des bugs sur les sites de billetterie.
Car, malgré des prix très élevés, des millions de fans étaient au rendez-vous dans les files d’attente virtuelles, prêts coûte que coûte à décrocher leur précieux sésame. Sur les réseaux sociaux, beaucoup ont partagé leurs techniques : ouvrir plusieurs onglets, se connecter plusieurs heures à l’avance, activer toutes les notifications possibles. L’objectif ? Être parmi les premiers dans la file d’attente dès l’ouverture, et espérer éviter le redouté message « vous êtes numéro 389 256 dans la file », sinon le cauchemar commence. Ce phénomène, qu’on retrouve presque toutes les grandes stars, se concentre fréquemment sur une seule plateforme : Ticketmaster. Elle devient chaque fois le théâtre d’un mini-chaos virtuel, où des milliers, voire des millions de personnes se connectent en simultané, créant des engouements parfois vertigineux. De plus, certains compliquent encore les préventes en multipliant les sessions : une pour les fans, une pour le reste du public.
Lors de l’ouverture de la billetterie pour le concert de Jul au Vélodrome de Marseille, prévu le 24 mai 2025, c’est un véritable raz-de-marée : plus d’un million de connexions enregistrées, générant plus de 600 000 personnes dans les files d’attente… pour seulement 67 000 places disponibles dans le stade. Face à cette demande démesurée, l’artiste marseillais a dû ajouter une seconde date, le 23 mai. Les prix allaient de 55 € pour les places pelouse ou catégorie 3, jusqu’à 129 € en catégorie Platine. Et comme Jul ne fait jamais les choses à moitié, il a même lancé une initiative exclusive : des “tickets d’or” ont été glissés dans les clés USB de son nouvel album D&P à vie. Ces précieux sésames offriront à quelques chanceux la chance de rencontrer l’artiste en personne après son concert du 23 mai. De quoi rajouter encore une couche à la frénésie.
Des billets hors de prix, mais des fans toujours au rendez-vous… ou pas !
Cette envolée des prix semble être une conséquence directe de la période difficile du Covid-19, où la privation de sorties et de rassemblements a renforcé notre désir de profiter pleinement de la vie. Aujourd’hui, les concerts sont devenus comme incontournables, et pour se retrouver entre amis et revivre des émotions. Hélas, beaucoup d’entre ne se rendent plus en salle de concert, jugeant les prix des places trop élevés surtout si ce n’est pas pour leurs artistes préférés.
On a interrogé l’avis de quelques personnes de la gen Z :
– Inès a 21 ans et elle n’essaye jamais de prendre de place. Trop compliqué et trop cher. Mais si c’est pour aller voir son artiste préféré, elle n’hésitera pas une seconde : « Le prix des places augmente comme partout, mais j’ai l’impression que maintenant ça devient plus un business pour les plateformes plutôt que les artistes eux-mêmes. Je pense à Ticketmaster, où tout le monde se plaint tout le temps, et je sais que ça repousse les gens à s’y aventurer. Après, j’avoue que pour la seule personne où je suis allée sur TicketMaster, c’est Jul, mais sinon, j’y vais jamais. » Finalement, elle n’a pas réussi à avoir de places.
– Pour Lyne, de nos jours, les gens ne connaissent plus aussi bien qu’avant les track listes des artistes, et trouvent que les concerts sont devenus trop chers pour ce que c’est : « C’est trop cher d’aller à un concert, surtout quand tu ne connais pas toutes les chansons de l’artiste. Ils abusent trop du prix. Beyoncé, on sait que c’est QueenB, mais quand même. On n’est pas riche ! Finalement, tu te dis que faire un concert dans ta douche, c’est mieux et ça ne coûte pas cher ! »
– Henny-Joyce est alternante en banque depuis plus d’un an et au contraire d’Inès et Lyne, chaque travail mérite sa récompense : « Ça ne me freine pas personnellement, parce qu’en vrai, c’est un peu le fruit de leur travail, et comme on dit chaque travail mérite salaire ! C’est vrai que ça peut être parfois frustrant de payer, je ne sais pas combien d’euros pour voir un artiste mais à partir du moment où c’est un artiste, que t’apprécie beaucoup, je ne trouve pas ça dérangeant. »
– Anne-Emmanuelle a bientôt 18 ans et n’a pas encore de revenu stable, de ce fait, si elle veut se rendre à des concerts, elle doit compter sur l’aide de ses parents : « Je voulais aller voir Ninho au Stade de France, mais c’est tellement cher. Je dois compter sur l’argent de poche de mes parents et ce n’est pas forcément suffisant pour aller à un concert. En plus, j’habite dans une ville où il n’y a pas de Zénith ou de grandes salles de concert donc je suis toujours obligée de me déplacer vers de plus grandes villes, ce qui rajoute un coût supplémentaire. Je suis jeune et je veux juste profiter. C’est vrai qu’il y a le Pass Culture, mais ce sont des artistes que je n’écoute pas. »
Pourtant, malgré ces prix jugés excessifs, beaucoup continuent de se plier aux règles de ce nouveau marché. Les billets s’arrachent en quelques minutes, et les salles ne désemplissent pas. La passion l’emporte encore souvent sur la raison.
C’est vrai qu’on a pu voir souvent ces dernières années, des fans s’enjailler comme des fous à des concerts, à des moments bien précis sur certaines chansons. Puis après le vide ou plutôt le néant. Plus rien. Parce que ces derniers ne connaissent pas les paroles, mais seulement celles qui ont percé sur les réseaux sociaux. C’est ce qu’a déclaré l’artiste français Franglish sur son Snapchat, il y a quelques jours : « Ce public qui ne connaît pas vraiment l’artiste voire même qui ne le connaît pas qui a kiffé deux trois tracks et qui décide de payer sa place pour venir en concert, mais qui ne connaît rien. Mais qui est là, qui est statique tout le long du concert jusqu’à ce qu’il y ait une partie d’une trend et qui chante la partie et qui revient au moment où ça ne bouge plus. C’est une dinguerie (…) Quand il y a un vrai public qui s’ambiance sur les sons, le public Tiktok regarde mal le vrai public, il est aigri en mode tu chantes trop, tu cries trop, t’es gênante. »
Mais finalement, est-ce que c’est grave ? Car finalement, ce sont ces mêmes fans qui remplissent une partie des salles de concerts.
Le revers de la scène : ce que cache le prix de ton billet
Alors pourquoi payer autant pour voir son artiste préféré ? Derrière ces montants qui donnent le vertige, il y a tout un écosystème en tension. Les coûts de production ont explosé : entre la flambée des prix de l’électricité (près de +50 % depuis 2021, selon Eurostat), la hausse des cachets, des transports, des assurances, et les salles qui se remplissent chaque soir de shows de plus en plus coûteux à produire, tout est devenu plus cher et tout se répercute sur le billet que tu t’apprêtes à acheter. C’est ce que nous explique Thibault Chuchet, responsable de la billetterie chez Le Trianon et L’Élysée Montmartre avec quelques précisions : « Les productions établissent leur budget en fonction de ce qu’elles sont capables de prendre en charge. Si un artiste leur dit, par exemple, “moi, je coûte un million d’euros” et que la production valide cela avec le management de l’artiste, ils concluent un accord. À partir de là, la prod construit son budget autour de cette base et évalue ce qu’elle peut mettre en place. Cela inclut tous les frais annexes : vols, hébergements, etc. ». Thibault Cruchet continue en relatant un constat que le public avait déjà fait « les cachets des artistes deviennent de plus en plus exorbitants depuis quelque temps, et c’est assez invraisemblable. »
Depuis la pandémie, le live est devenu un business de rattrapage : tout le monde veut faire des tournées, tout le monde veut faire le show, et tout le monde veut revivre des émotions “grandeur nature”. En 2023, plus de 1100 tournées internationales ont été enregistrées, d’après le Billboard. Résultat : plus de dates, plus de demande, plus de pression… et des prix qui ne cessent de grimper. Dans un monde où la qualité des visuels a de plus en plus son importance, les stars veulent satisfaire leur public et cela représente un coût technique qui depuis la pandémie ne cesse d’augmenter. « 95 € pour une place, c’est quelque chose que je trouve assez difficile à accepter pour le public. […] Les budgets sont souvent tirés vers le haut. Ils misent principalement sur la vente de masse, en partant du principe qu’on va faire venir plus de monde à un tarif plus abordable, quitte à doubler les dates, etc. Mais en réalité, tous les tarifs augmentent.
Cette inflation généralisée des prix dans l’industrie du live, questionne directement l’accessibilité culturelle. Pour Thibault Cruchet, cette logique tarifaire traduit un modèle économique de plus en plus tendu, où la rentabilité prime sur l’inclusivité : « On segmente toujours plus, on complexifie les grilles tarifaires, et au final, c’est le public qui subit. » Une réalité qu’il observe au quotidien, sans pour autant perdre de vue l’importance de proposer des expériences scéniques à la hauteur des attentes post-pandémie. « On multiplie les systèmes de deuxième, troisième, quatrième, cinquième catégories avec des places en bout de rang, et tout ce qui peut exister pour segmenter encore plus. »
Mais dans cette frénésie, il y a un truc qu’on oublie souvent : tu n’es pas moins fan si tu ne vas pas au concert. Tu n’es pas moins légitime parce que tu n’as pas 300 € à mettre dans une fosse VIP, ni moins passionné parce que tu choisis de regarder les stories de ceux qui y étaient plutôt que d’y être toi-même. Assister à un concert, c’est un moment précieux. Mais ne pas y aller, c’est aussi un choix. Un acte de résistance tranquille dans un monde qui te vend tout au prix fort, même tes émotions.
Peut-être qu’un jour, on réapprendra à aimer la musique sans devoir vendre un rein pour y assister. Et ce sera parfaitement OK !