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Culture & Lifestyle

2 BE FREE !

Avec 2BeFree, on ne veut pas seulement faire un clin d’œil aux boys bands d’hier. On veut créer un groupe que les ados d’aujourd’hui pourront regarder en se disant : c’est ça, la liberté. C’est ça, la beauté. Et ça aussi, c’est moi.

Darius Salimi

Il y a des symboles qui, même dépassés, restent imprimés dans l’imaginaire collectif. Les 2Be3, par exemple. Trois garçons musclés, huilés, chorégraphiés au millimètre près, calibrés pour incarner la masculinité des années 90 : lisse, virile, accessible, un brin naïve et surtout rassurante. À l’époque, on ne parlait pas de genre, encore moins de masculinités au pluriel. Tout devait rentrer dans la boîte. Et pourtant, trente ans plus tard, les lignes bougent.

En 2025, la pop culture remet les boys bands au goût du jour. Alors on s’est dit : et si on en créait un nous-mêmes ? Une version radicalement queer, trans, racisée, douce, parfois musclée, parfois vulnérable mais surtout libre. 2BeFree.

Pour donner vie à ce projet, on a invité Rio, Léon et Amir. Trois artistes, trois hommes trans, trois présences singulières qui incarnent chacun à leur manière ce que peut être une masculinité queer, fière et plurielle. On leur a tendu le micro, on leur a laissé l’espace, l’attitude, les poses, les mots. Ce ne sont pas des modèles qu’on a habillés pour une idée : ce sont des personnes qui nous ont offert leur vérité. Sans filtre, sans compromis. Ce sont eux qui donnent au projet son sens. Et sa puissance.

Car oui, la Pride, ce n’est pas qu’en juin. Ce n’est pas un logo qui change de couleur une fois par an. C’est un combat quotidien pour exister sans devoir se justifier. Un effort de tous les jours pour respirer dans une société qui a encore du mal à comprendre que les corps trans, les identités racisées, les masculinités queer sont non seulement réelles, mais puissantes, désirables, artistiques.

Avec 2BeFree, on ne veut pas seulement faire un clin d’œil aux boys bands d’hier. On veut créer un groupe que les ados d’aujourd’hui pourront regarder en se disant : c’est ça, la liberté. C’est ça, la beauté. Et ça aussi, c’est moi.

Rio – Veste OUEST PARIS @ouest.world – Lunettes GENTLE MONSTER @gentlemonster – Pantalon MARINE SERRE @marineserre_official
Chaussures DR. MARTENS @drmartensofficial

Amir – Veste DIESEL @diesel – Pantalon DIESEL @diesel – Lunettes OUEST PARIS @ouest.world – Chaussures DR. MARTENS @drmartensofficial

Léon – Lunettes OUEST PARIS @ouest.world – Veste OUEST PARIS @ouest.world – Pantalon OUEST PARIS @ouest.world – Chaussures DR. MARTENS @drmartensofficial

Qu’est-ce que ça signifie pour toi, aujourd’hui, être libre en tant qu’homme trans avec une certaine visibilité dans le monde de la pop culture ?

Amir : Être libre, c’est pouvoir être soi. Juste ça. Avoir un peu de confort dans sa vie, exister sans forcément devoir militer, même si c’est encore nécessaire, surtout en ce moment. Mais la vraie liberté, c’est quand t’as des espaces pour juste être, sans avoir à te justifier ou à revendiquer en permanence. Respirer, quoi.

Léon : Je crois que, justement, c’est ma visibilité qui m’a enlevé une part de liberté dans ma transition. Je m’en suis rendu compte après coup. J’étais là : “En fait, j’ai fait ma transition pour être perçu comme l’homme que je suis. Mais avec la visibilité, les gens me perçoivent surtout comme un homme trans. Et c’est là que ça coince. Parce que si la société était réellement éduquée sur ces questions, ce décalage n’existerait pas. Aujourd’hui encore, quand on parle d’hommes trans, beaucoup ne les considèrent pas vraiment comme des hommes.

Et à plusieurs reprises, ça m’a vraiment mis en colère. J’étais là : “Purée, c’est chiant, quoi.” En même temps, ça m’a forcé à faire un énorme travail sur moi, sur ma dysphorie, sur mes traumas liés à ma transidentité. Et ça m’a permis de prendre un genre de raccourci, un « fast track », pour mieux me comprendre. Aujourd’hui, je me sens aligné, je me sens bien.

Et cette visibilité, maintenant, elle m’apporte aussi une certaine liberté, parce que j’en suis arrivé à un point où, honnêtement… je m’en fiche de ce que les gens pensent. Mais vraiment. Et c’est très récent, ça remonte à quelques mois à peine. Avant, je me disais encore : “OK, je suis visible, les gens savent que je suis un mec trans, ils vont imaginer n’importe quoi…” Et aujourd’hui ? Je m’en fous. Je sais qui je suis, et c’est tout ce qui compte.

C’est sûrement lié à plusieurs choses : la testostérone, que je prends depuis six ans maintenant, et aussi toute l’introspection que j’ai pu faire. Et cette réflexion-là, c’est aussi la visibilité qui me l’a imposée.

Rio : Je suis fier, parce que je sais que ça compte. Il y a un vrai besoin de représentation transmasc, et plus encore, de représentation transmasc asiatique. C’est quelque chose d’essentiel pour moi : visibiliser un visage queer, philippin, androgyne, avec une masculinité qui n’est pas figée, qui peut être gender-fluid, notamment à certains moments de ma transition, comme le fait que je suis micro-dosé, par exemple. Ce sont des nuances qui existent mais qu’on voit très peu, surtout en France. Et c’est précisément là que je pense apporter une différence !

 

Les 2Be3 incarnaient une masculinité fantasmée : lisse, musclée, très mainstream. Si vous deviez réinventer ce mythe-là à travers vos corps et vos luttes, à quoi ressembleraient les 2Be3 aujourd’hui ?

Léon : Franchement… Le truc, c’est que moi, je suis une sorte de miroir des autres hommes. Je reprends les codes de la masculinité existante et je les applique à moi, comme les autres le font. Sauf que, la plupart du temps, eux, ils ne s’en rendent même pas compte. Moi si. Et en vrai, je me sens bien dans ces codes-là.

Pour moi, il y a une vraie différence entre virilité et masculinité. Mais je me sens profondément masculin. Tout ce qui est lié au corps, aux muscles… ouais, ça me fait du bien. Peut-être pas pour des raisons idéales, mais le résultat est là.

Rio : Je pense que ce serait une masculinité douce. Un peu ce que j’appelle du gently hot, t’es captivé, mais sans violence. Et puis ce sont des corps fiers. Des corps qui ont traversé des choses, des corps transformés, opérés parfois, travaillés, traumatisés aussi, mais qui continuent d’exister avec fierté. Et je parle pas que des corps trans, je parle aussi des corps gros, des corps hors-normes, qui méritent d’être vus comme sexy, eux aussi, dans cette vibe soft hot justement. C’est un groupe mixte, pas majoritairement blanc, composé de mecs avec des vécus minoritaires. Et par définition, des mecs qui ont appris à être plus safe, plus à l’écoute, plus doux, plus inclusifs,… !

Amir : Clairement, je les rendrais moins blancs, déjà. Et c’est marrant parce que, chez les mecs trans, y a quand même une vraie culture du corps qui persiste. Parfois même plus forte que chez les mecs cis. Quand tu commences ta transition, la première chose que tu veux faire, c’est aller à la salle. Il y a encore ce réflexe de vouloir coller à ce modèle-là. Alors ouais, je changerais la couleur, je complexifierais le truc, mais… soyons honnêtes : tout le monde aime les corps musclés. Donc restons musclés, mais différemment.

Rio & Léon – Top 1989 STUDIO @1989.studio – Pantalon EVANBENJAMIN @evanbenjamin.studio – Chaussures DR. MARTENS @drmartensofficial

Amir – Top 1989 STUDIO @1989.studio – Pantalon MARINE SERRE @marineserre_official – Chaussures DR. MARTENS @drmartensofficial

Qu’est-ce que ça fait de devoir être pédagogue quand tu parles juste de ta vie ?

Léon : C’est lourd, parfois. C’est pour ça que j’aime m’entourer de personnes qui partagent des réalités similaires à la mienne, pour sortir de ce rôle de pédagogue.

Au début de ma transition, j’étais pas pédagogue du tout. J’étais plutôt en mode : “Vas-y, je t’explique, mais en mode clash.” Je n’avais pas la patience, ni l’espace pour ça. Aujourd’hui, j’ai un autre rapport.

Je me retrouve souvent face à un public complètement novice — des gens qui ne savent même pas ce que “LGBT” veut dire. Je fais des formations en entreprise, donc je suis confronté à ça régulièrement. Et maintenant, je suis plutôt à l’aise.

Mais pour moi, ce sont des bulles. Genre : “OK, je fais mon taf, j’explique, mais après, c’est fini.” Ce que les gens oublient, c’est que parce que je suis visible, que je parle beaucoup sur les réseaux, ils croient que ma vie tourne autour de ma transidentité. Alors que non. Dans ma vie perso, avec ma copine, avec mes potes, ce n’est pas un sujet. Ça l’a été, évidemment, au moment de la transition, mais plus maintenant. Ça fait six ans…

 

Tu dirais que la parole militante trans est souvent attendue, digérée… puis oubliée ?

Léon : Ouais. On attend de moi que je sois tout le temps ultra-militant, que je parle que de ça. Mais au final, est-ce que ça change quelque chose ? Est-ce que les gens retiennent vraiment ?

Ça dépend de la volonté des gens. Dans les médias, à un moment, on voulait absolument montrer qu’on “soutenait” les personnes trans. Mais… pourquoi ? Pour qui ? Quelle était l’intention derrière ?

Je crois qu’il y a des personnes sincères, bien sûr. Mais ensuite il faut regarder comment on s’organise collectivement, et quel système on crée derrière. Parce que tu peux avoir les meilleures intentions du monde… mais est-ce qu’elles produisent vraiment un changement ?

Aujourd’hui, on vit un vrai retournement. Un shift assez violent dans la visibilité LGBT, surtout trans. Il y a beaucoup moins de volonté de nous comprendre ou même simplement de nous montrer. Et parfois, je me surprends à regretter cette période où tout le monde voulait pinkwasher. C’est triste, mais ouais. On est tellement habitué·es à ne rien avoir… que même un pinkwashing, c’était déjà quelque chose. Et puis, même si je vais parler dans une boîte qui pige rien, si une personne dans la salle comprend, c’est déjà ça.

Même si l’entreprise va récupérer ça pour son image, je me dis : au moins, il y a un impact. Mais ouais, j’ai l’impression que tout ça s’effondre doucement. Et franchement… c’est dur.

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Il y a beaucoup moins de volonté de nous comprendre ou même simplement de nous montrer.

Qu’est-ce que tu dirais aux personnes transmasc qui n’ont pas envie d’expliquer leur genre ?

Léon : Qu’elles n’ont pas besoin de le faire. Vraiment. Tout dépend du contexte. Si j’avais choisi la discrétion totale, si personne ne savait que j’étais trans dans ma vie quotidienne, franchement, je ne dirais rien. Je ne me justifierais pas.

Aujourd’hui, j’ai un rôle différent. Je parle de la transition, je montre que ça peut bien se passer. Je suis un peu une vitrine de ce que peut être une transidentité heureuse. Mais ce n’est pas à tout le monde de faire ça.

Tu n’es pas obligé·e d’être militant·e. Tu n’es pas obligé·e de parler de ton genre. D’autres personnes le font déjà. Tu peux te reposer sur nous. Vis ta vie.

Et j’ai envie de dire : des hommes trans heureux qui ne s’exposent pas, c’est peut-être encore plus puissant que des militants visibles. Le bonheur, c’est une arme qu’on oublie. On entend trop souvent les histoires difficiles, et elles sont importantes, bien sûr,  mais on n’entend pas celles et ceux qui vont bien.

Et pourtant, il y en a. Des personnes trans qui vivent, qui s’épanouissent, qui sont heureuses. Et ça aussi, il faut que ça se sache. Vivez vos vies. Soyez bien.

 

Et maintenant que tu sais que tu représentes plus que toi-même, comment tu choisis tes mots ?

Léon : C’est hyper compliqué. Parce que les mots, ça évolue. Le langage bouge tout le temps. Ce qui m’aide, c’est de rester connecté avec la communauté, avec ce qui se passe en ligne, sur TikTok, sur les réseaux… ça me permet de rester à jour. Et puis, on invente aussi nos propres mots.

Chemise 1989 STUDIO @1989.studio – Short GARDOUCH @gardouch – Cravate 1989 STUDIO @1989.studio

Comment construire une masculinité safe en club dans un monde où elle est souvent violente ?

Rio : Pour moi, c’est justement en club que j’ai commencé à prendre conscience de certains comportements masculins qui ne me correspondaient pas. Même si j’étais encore en train de me construire, j’ai vu des attitudes qui me dérangeaient profondément — des manières d’aborder les filles, de prendre de l’espace, d’imposer une énergie dominante. Et en observant ça, j’ai su instinctivement que je ne voulais pas incarner ce genre de masculinité. J’ai beaucoup appris par le contre-exemple, en me disant : « Ok, ça, ce n’est pas moi, ce n’est pas ce que je veux transmettre. »

Mais évidemment, ce n’est pas toujours aussi clair ou tranché. Il y a des choses plus subtiles, plus paradoxales. Par exemple, la question du torse nu en club. C’est une image assez forte, qui peut être perçue comme violente ou dérangeante selon le contexte — parce que ça prend de la place, ça peut renvoyer à une forme de masculinité dominante, d’autant plus dans des espaces où les corps féminins ou queer sont souvent objectifiés ou invisibilisés. Et pourtant, c’est quelque chose que je fais aussi. Du coup, la vraie question, c’est : quand et je le fais. J’essaie d’être attentif à l’espace autour de moi. Si je suis entouré majoritairement de meufs, ou dans un espace plus mixte ou queer, je vais me poser la question, parfois y renoncer. Il m’est déjà arrivé de le faire et de sentir que ça ne passait pas, que ça gênait, et ça, c’est une info pour la prochaine fois.

Je crois qu’au fond, c’est un équilibre permanent entre conscience de soi et attention aux autres. J’essaie de construire une masculinité qui ne reproduit pas trop, qui n’impose pas, mais qui reste connectée à qui je suis. Et je ne peux pas faire abstraction du fait que dans cette société, j’ai les privilèges d’une personne masculine, et que quand je suis torse nu, j’ai un passing d’homme cis. Ça aussi, ça compte.

 

Est-ce que la fête a offert une version de toi que les gens ne t’autorisaient pas encore à devenir ?

Rio : C’est une très bonne question. Et oui, pour sûr.
Quand j’ai commencé à m’assumer, à sortir, à devenir un être social et queer, les seuls espaces où je pouvais vraiment me retrouver avec d’autres personnes comme moi, c’étaient surtout des espaces de nuit, ou en tout cas des espaces de fête. Et la fête, même si elle n’est pas toujours nocturne, dans mon cas, elle l’était beaucoup.

Donc oui, je pense que c’est dans ces moments-là que j’ai rencontré une version de moi que je n’avais jamais pu incarner avant. Et j’ai aussi croisé des personnes, des énergies, des manières d’exister qui m’ont profondément inspiré.

Il y a un vrai aller-retour entre le jour et la nuit. La version de moi de la nuit, plus libre, plus assumée, plus extravertie peut-être, a nourri celle du jour. J’ai développé dans ces espaces-là une forme de confiance, des capacités de flirt, de sociabilité que je n’avais pas forcément ailleurs, ou que je ne m’autorisais pas à explorer dans la lumière du quotidien.
Donc oui, clairement, la fête m’a offert un terrain d’expérimentation, de libération, qui m’a permis de devenir moi-même plus pleinement.

 

Comment éviter que même un espace safe soit récupéré ou déformé par des regards qui ne comprennent pas son essence ?

Rio : Déjà, pour moi, il y aura toujours des regards qui ne comprennent pas. Et ce n’est pas forcément grave. Je ne pense pas que tout le monde soit obligé de comprendre une essence qui ne lui appartient pas. L’important, ce n’est pas de forcer la compréhension. C’est plutôt de protéger l’espace des dynamiques de domination ou d’incompréhension virulente.

Ce que je cherche à éviter, ce n’est pas tant le regard qui ne comprend pas, mais le basculement de l’espace quand la majorité de ces regards prend le dessus. C’est là que ça devient dangereux. Tant que les personnes concernées sont majoritaires dans un espace, il reste safe, ou du moins il peut le rester, même s’il y a des gens autour qui « ne captent pas ».

S’il y a deux ou trois personnes qui ne comprennent pas ce qui se passe dans une soirée, mais qu’on est 200 à habiter l’espace avec sincérité, alors ces regards n’ont pas de poids. Parfois même, ils peuvent servir de contraste, de rappel de ce qu’on défend. Mais ce qu’il faut éviter, c’est l’inverse : que ces quelques regards deviennent dominants.

Donc, comment on évite ça ? En s’assurant que l’espace est pensé par et pour les personnes concernées. Que ce soit elles qui soient en majorité, qui fassent la norme du lieu. À ce moment-là, ce n’est plus juste un espace safe : c’est un espace de vérité, où on peut respirer, créer, danser sans être ramené à une position minoritaire.

 

Comment imagines-tu les lieux queers de demain à Paris ?

Rio : Franchement, je suis déjà très fier de ce qui se passe en ce moment à Paris. Que ce soit dans les démarches, les propositions, les projets ou les initiatives portées par des collectifs queers, racisés, lesbiens, féministes… Ce ne sont plus uniquement des espaces créés par et pour des mecs cis gays blancs, et ça, c’est encore trop rare à Paris, donc c’est précieux, et je le vois vraiment émerger. Et j’en suis très, très fier.

Maintenant, si je rêve un peu plus loin… j’aimerais que tout ça sorte un peu du champ de la révolution. Tu vois, aujourd’hui, on parle souvent de nos lieux comme de révolutions. Et c’est vrai, c’est important. Avec Le Bunker, par exemple, on entend souvent « c’est une dinguerie, c’est un acte politique », et ça l’est.

Mais j’ai hâte qu’un jour, ça devient juste… normal. Pas dans le sens d’effacer la radicalité, mais dans le sens où ce ne serait plus perçu comme exceptionnel ou militant d’exister. Que les personnes queer, racisées, marginalisées puissent créer des espaces, lancer des projets, avoir des lieux à elles, sans devoir sans cesse justifier leur légitimité.
Ce que je rêve, c’est que ces entrepreneures queer puissent se dire : j’ai le droit de bâtir un espace, de rêver grand, de durer. Et pour moi, c’est ça, les lieux queers de demain. Et je suis convaincu qu’on y va.

 

Est-ce que la fête peut être un lieu de soin quand on est transmasc, racisé et queer ?

Rio : Pour moi, c’est comme beaucoup de choses : c’est à la fois oui et non.

Oui, parce que dans les fêtes queer, on se retrouve, on se reconnaît, on s’aime. On échange, on connecte, on se donne des tips, des contacts de chirurgien, des conseils… Il y a du lien, du soutien. C’est un endroit où on peut se sentir vu, compris.

Mais c’est aussi un lieu de pression. Parce que même dans les espaces queer, la fête reste un espace social, avec tout ce que ça implique. Et parfois, ces espaces peuvent aussi être violents, pas forcément de façon consciente, mais parce qu’on y amène nos douleurs, nos contradictions.

On vit encore de la transphobie, de la dysphorie, même dans nos propres cercles. Et avec l’alcool, les drogues, les dynamiques sociales peuvent vite devenir brutales, même involontairement. Tu vois, des comportements malaisants, des maladresses, des bourrages de genre… ça arrive.

Et puis, entre personnes transmasc, il peut aussi y avoir de la comparaison, une pression autour du passing, une certaine forme de compétition, parfois même des échos à la masculinité toxique qu’on a intériorisée. Ce que j’appelle un peu, à mon échelle, le “combat de coqs”. Ce n’est pas que la communauté est toxique, c’est que ces dynamiques viennent de ce qu’on a appris, de ce qu’on nous a imposé.

Donc oui, la fête peut être un espace de soin. Mais elle peut aussi être un lieu de tensions, de doutes, de peurs. Parce qu’on reste dans un espace social. Et quand on est trans, cet espace-là est forcément plus complexe, plus chargé. Ce n’est ni tout blanc ni tout noir — c’est un lieu mouvant, vivant, comme nous.

Bob C.P.COMPANY@cpcompany – Veste DIESEL @diesel – Pantalon DIESEL @diesel – Caleçon Personnel

Comment définis-tu la vulnérabilité dans ta masculinité ? Est-ce qu’elle est devenue une force pour toi ?

Rio : Pour moi, la vulnérabilité dans ma masculinité… c’est quelque chose que j’ai longtemps associé, à tort, à une forme de féminité. Au début de ma transition, je l’ai un peu rejetée justement pour ça. Mais finalement, ça n’a pas été si difficile de la retrouver, parce qu’elle existait déjà en moi. Et je pense que ça vient aussi du fait que, même si ce n’est pas le cas pour tout le monde, c’est important de le dire,  j’ai été éduqué et socialisé comme une meuf, et dans ce contexte, certaines émotions sont plus facilement acceptées : pleurer, être triste, demander de l’aide, ne pas réussir quelque chose… ce sont des choses qu’on te pardonne plus facilement.

Mais à un moment, j’ai quand même rejeté cette vulnérabilité, parce que la société t’apprend à la voir comme un défaut, surtout quand tu t’identifies comme un mec. Aujourd’hui, c’est un travail quotidien de déconstruire cette idée. J’essaie de me mettre dans des situations où je l’assume pleinement : par exemple, dans un groupe de mecs cis, dire « j’ai pleuré, je ne suis pas bien, ma meuf me manque trop »… ça, c’est une victoire. Mais c’est un combat contre le regard des autres, parce qu’en tant qu’être social, ce regard-là peut nous freiner.

Et en fin de compte, ma vulnérabilité fait partie de moi. Elle nourrit ma sensibilité, mon empathie, ma manière de comprendre les autres. Même dans ma relation avec ma copine, ça me permet de mieux entendre ses reproches, de saisir les dynamiques de genre qu’il y a entre nous. Ça me rend fier. Donc oui, aujourd’hui, c’est clairement une force.

 

Pourquoi penses-tu que les hommes transmascs sont si peu représentés dans les médias ?

Rio : Franchement, je ne savais même pas que c’était une vraie question qu’on se posait. Ou alors, peut-être qu’on ne tombe pas sur les mêmes TikToks, je ne sais pas ! (rires) Mais si je devais répondre… je dirais que ça tient à quelque chose de très simple : c’est juste de la transphobie. On vit dans un monde qui est systématiquement transphobe. Et cette invisibilisation, elle se traduit de deux manières : soit par une fétichisation très malsaine, soit par du rejet pur, du dégoût, voire de la violence verbale.

Donc oui, médiatiquement, s’il y a aussi peu de représentations de mecs transmascs, c’est avant tout parce qu’on est dans une société qui choisit volontairement de ne pas nous voir. 

 

Tu penses qu’on peut se déconstruire sans se perdre ?

Rio : Ça dépend de ce qu’on déconstruit, en fait. Pour moi, la question essentielle dans la déconstruction, c’est « pourquoi » on le fait. Quelle est la raison derrière cette volonté de changer ? Et aussi comment on entreprend ce processus. Parce que oui, on peut se perdre en se déconstruisant si nos motivations ne sont pas sincères ou si elles sont intéressées.

Pour moi, la déconstruction, elle doit venir d’un besoin profond, à la fois pour nous-mêmes et pour les autres, les gens qui nous entourent, nos amis, notre famille. Et si cette motivation est honnête, légitime, alignée avec ce qu’on est vraiment, alors non, je pense qu’on ne se perd pas.

Ça ne veut pas dire que ce n’est pas difficile. Il faut enlever des couches, parfois très ancrées, qu’on a construites toute notre vie. Mais ce n’est pas une perte. Pour moi, au contraire, c’est un dévoilement. On se révèle. On enlève des couches de merde, on gratte, on gratte, et au lieu de disparaître ou de devenir moins intéressant, on devient juste plus libre. Plus éduqué, plus empathique, plus éthique. On pense plus justement, on agit mieux. Donc non, on ne se perd pas, on se retrouve.

 

Est-ce qu’il y a des questions qu’on te pose à toi qu’on ne poserait jamais à un homme cis ?

Rio : Évidemment. Dès que les gens apprennent que je suis un mec trans, il y a tout un imaginaire qui se déclenche, et tout devient matière à questionner. Surtout sur ma sexualité ou mon orientation. C’est soit des questions hyper intrusives, soit des suppositions cheloues : « T’es gay alors ? », « Mais du coup, t’aimes quoi ? », comme si tout devait être décortiqué et expliqué. Et souvent, ces gens-là ne comprennent pas que mon orientation sexuelle n’a rien à voir avec mon identité de genre. Même si tout ça est lié dans une forme de globalité, ce sont des choses distinctes.

Et ces questions, on ne les pose jamais aux hommes cis, en tout cas pas avec cette même insistance, ce même besoin de tout comprendre, de tout ranger dans une case. Et si tu rajoutes à ça le fait d’être transmasc et racisé, alors là, c’est encore plus invisibilisé.

 

Et sur la représentation des hommes transmascs racisés ?

Rio : C’est abusé à quel point elle est quasi inexistante. Oui, il y a plus de visibilité trans aujourd’hui, c’est sûr, et même plus de visibilité des mecs trans que des femmes trans, parce qu’on a toujours cette tendance à féliciter les hommes trans pour leur transition, là où les femmes trans, on va plutôt les fétichiser ou les dénigrer.

Mais au-delà de ça, quand je regarde les figures mises en avant dans les médias, ce sont surtout des hommes trans blancs. Et attention, no shade, y’en a plein que j’adore. Mais ces mecs-là, souvent, correspondent aux standards classiques de beauté masculine. Ils passent. Ils sont validés parce qu’ils rassurent.

Alors oui, il y a une révolution en cours, il y a des gestes symboliques, des petites victoires… Mais c’est pas encore une représentation vraiment radicale. Pour moi, ce qui serait révolutionnaire, ce serait de voir un homme trans noir, gros, mis en avant. Parce que ça, c’est une vraie réalité, c’est ce que vivent beaucoup de personnes à travers le monde.

Donc ouais, c’est ma grosse frustration. J’essaye de ne pas la laisser m’envahir, mais je l’ai. Et c’est pour ça que j’encourage tous mes sexy transmascs, et mes petits bébés aussi, à se mettre en avant. À prendre leur place dans la pop culture. À occuper la scène. Parce que c’est là que ça se joue.

Quand tu joues un rôle, où s’arrête Amir et où commence le personnage ?

Amir : Ça dépend du rôle, mais je mets toujours un peu de moi, parce que c’est plus fun, et en général, ça marche bien. Je ne saurais pas dire précisément où Amir s’arrête. Quand t’es sur scène ou sur un plateau, t’es censé sortir de toi, mais perso, j’aime bien laisser traîner des bouts de moi dans mes personnages.

 

Le fait d’appartenir à plusieurs minorités, ça influence comment ta manière de créer du lien ou de militer ?

Amir : Aujourd’hui, je dirais que ma couleur de peau a plus d’impact dans mon quotidien que ma transidentité. Je vis plutôt bien ma transidentité maintenant. J’ai un bon passing, je suis tranquille avec ça. Mais être noir, ça se voit tout de suite, et ça pèse plus fort, surtout dans mon milieu. Que ce soit en tant que comédien ou régisseur, je suis souvent le seul mec noir dans l’équipe. Donc oui, être trans fait partie de mon identité, mais ce qui me saute à la figure en premier, c’est le fait d’être racisé dans une France très blanche.

 

Le cinéma, c’est beaucoup une question d’image. Est-ce que ça t’a déjà fait douter de ta masculinité ?

Amir : Franchement, non. Je transitionne depuis six ans, et depuis trois, je suis vraiment bien dans mon corps, dans ma masculinité. J’ai fait beaucoup de mannequinat à l’époque où on me genrait au féminin, donc j’ai appris très tôt à prendre du recul sur mon image. Quand tu bosses avec ton apparence à 16 ans, t’as pas le choix. Et aujourd’hui, j’ai 26 ans et des bons outils pour que ça me touche plus autant. Le cinéma, au contraire, me permet de faire les choses à fond, pleinement.

 

Quel regard portes-tu sur les récits trans au cinéma, surtout quand ils sont écrits par des personnes cisgenres ?

Amir : Souvent, c’est cliché. J’ai eu de la chance sur Salade grecque avec Cédric Klapisch, parce qu’on a pu discuter, corriger ce qui sonnait faux. Mais globalement, si tu veux écrire sur des personnes trans, faut les rencontrer, leur parler, comme tu le ferais pour n’importe quel autre sujet. Et quand ce travail n’est pas fait, ça se voit tout de suite. Même pour des personnages LGBT en général, on sent que c’est souvent écrit sans nuance. Le cinéma reste très blanc, très cis, très hétéro. Tant qu’on ne mettra pas plus de personnes concernées derrière la caméra, on tournera en rond. Un seul regard trans dans une équipe, parfois, ça change tout.

 

Si tu devais créer un film sur ta masculinité et ta transidentité, ce serait quoi ? Comédie romantique ? Drame ? Teen movie ?

Amir : Un mélange de teen movie et de comédie romantique. Il y a tellement de choses à raconter, et de quoi bien rigoler aussi. J’adore ce format. Ce serait léger, drôle, mais pas vide, un truc tendre, peut-être un peu maladroit, comme la vie.

Top GARDOUCH @gardouch – Pantalon OUEST Paris @ouest.world – Couvre Chef GENZERO @genzero__lobe

J’ai jamais cherché à “devenir un homme” au sens classique du terme. Je voulais des changements physiques, oui, mais pas forcément appartenir à une norme de masculinité.

Est-ce que t’as déjà eu le sentiment de devoir “mériter” ta place dans l’imaginaire masculin collectif ?

Amir : Non. C’était pas ça mon objectif. J’ai jamais cherché à “devenir un homme” au sens classique du terme. Je voulais des changements physiques, oui, mais pas forcément appartenir à une norme de masculinité. D’ailleurs, j’ai très peu d’amis mecs cis. Je crois que j’ai toujours ressenti une forme de distance avec ce monde-là, pas par rejet, mais juste… c’est comme ça. Aujourd’hui, j’suis un gars, c’est cool, mais ça veut pas dire que je veux ressembler à tous les autres.

 

Tu crois que ta masculinité dérange parce qu’elle échappe au patriarcat ?

Amir : Je pense qu’elle s’en détache, oui. Dans ma façon de vivre, de penser, je me sens à côté des attentes genrées classiques. Mais dans les faits, j’ai aussi gagné des privilèges. Je suis perçu comme un mec, et socialement, ça change tout. Je suis un homme, je le vis, mais je crois pas à tous les codes virils qu’on attend de moi. C’est ça ma liberté.

 

C’est quoi ta chanson ou ton film de “premier été de liberté” ?

Amir : “I Wish I Knew How It Would Feel To Be Free”, de Nina Simone. Cette chanson m’a toujours accompagné, avant et après ma transition. Plus je gagne en liberté, plus elle résonne. Elle a quelque chose d’universel. Elle me parle encore autant aujourd’hui.

 

Dernière vraie question pop : dans la masculinité pop culture, tu te sens plus Ken, Tibo InShape ou Michael Jackson ?

Amir : Ken, direct. Tu sais, les himbos ? Je m’identifie un peu à ça : beau gosse un peu naïf, un peu goofy, qui veut juste kiffer. Tibo ? Non, lui, il me stresse.

 

Et pour finir, si tu veux dire quelque chose, parler d’un projet, ou revendiquer quoi que ce soit, c’est le moment.

Amir : En ce moment, je suis au théâtre pour la première fois, dans Romance de Virginie Despentes, à la Colline. On joue encore deux semaines. C’est hyper fort comme expérience, je suis super fier. Je joue un ancien danseur, dans une troupe de comédiens, et tout se passe en coulisses. C’est une vraie chance de commencer au théâtre avec un texte comme ça. Sinon, je fais aussi de la régie, et j’adore ça. Je trouve qu’on devrait arrêter de séparer technique et artistique, y a pas de hiérarchie à avoir. Tout peut nourrir ton parcours. Et franchement, la scène, je kiffe. Vraiment !

Talents @gigantiq ℅ @citymodels, @rioobayani & @salinleon ℅ @lesucreproduction
Photos @dariussi
Video @rg_l
Stylistes @nicolasdureau & @theosaussard
Groom @amaury_beauty ℅ @backstageagencyparis
Chef.fe de projet @theosaussard
Assistants set design @augustin.vlt @michewcrn
Production @freasonn
Régie @whoisnabii


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