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Tal Madesta : “Je veux tendre un miroir à nos opposant.e.s”

Dans son essai “La Fin des monstres”, le journaliste LGBTQI+ et auteur Tal Madesta raconte son parcours de transition dans lequel il invite à retourner la figure monstrueuse et célébrer l’amour sous toutes ses formes.

Amour, humour, solidarités sublimes : voilà l’antidote contre la peur au corps, les discriminations quotidiennes, les humiliations. Dans son essai La Fin des monstres (La Déferlante), Tal Madesta raconte la réalité et le quotidien d’un parcours de transition de genre en France, récit personnel habité et éclairant sur les luttes, les marginalisations, mais aussi la puissance de l’amitié. En écho à Je suis un monstre qui vous parle de Paul B. Preciado, il propose de déplacer la figure du monstre et de retourner le miroir vers ses oppresseurs et opposant.e.s, et d’analyser leur instrumentalisation de la “question trans” – doublée d’une négation totale de sa réalité matérielle. Rencontre.

Quelle est la volonté derrière ce livre ?

Ce que je voulais raconter à travers ce livre,  c’est la difficulté des parcours trans en France aujourd’hui. Parce qu’on en parle beaucoup et on parle beaucoup de nous sans nous. Il y a une multiplication des contenus dans les médias qui sont clairement transphobes et on utilise nos parcours à des fins réactionnaires. L’idée, c’était de réhumaniser le sujet, c’était de dire “nous”, parce qu’on parle tout le temps de la question trans, mais en fait, ce sont des individus qui rencontrent de grosses difficultés dans l’accès aux soins, l’accès à l’emploi, l’accès au logement. Il y a beaucoup de rejets familiaux aussi. Mon idée derrière ce livre, c’était de parler de nos vrais sujets et de sortir des thématiques qui sont montées en épingle dans les médias et qui ne disent absolument rien de nos parcours.

Tu parles beaucoup de “famille choisie” dans ce livre.

Quand on est trans, c’est hyper important de s’entourer de personnes qui nous soutiennent et de personnes qui vivent les mêmes parcours que nous, parce que les parcours trans sont souvent marqués par le rejet familial. Donc pouvoir recréer des familles choisies pour simplement réussir à survivre au jour le jour, c’est hyper important. Et la notion de communauté est très importante dans le livre aussi. Et c’est pour ça que j’en parle autant, parce qu’être trans, ça force à l’isolement, ça force à la marginalisation. On est exposé.e.s à beaucoup de violence et dans ce cadre-là, évidemment, l’amour et la communauté, c’est fondamental.

 

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Que veux-tu dire en utilisant la figure du “monstre” ?

J’utilise la figure du monstre dans le livre et dans le titre parce que c’est souvent un imaginaire qui est plaqué sur nous. “Les personnes trans, ce sont les personnes déviantes, perverses, donc des personnes monstrueuses.” Et c’est une référence à Paul B. Preciado, un écrivain trans espagnol qui a écrit Je suis un monstre qui vous parle (Grasset, 2020). Ce qu’il veut dire par là, c’est : “Vous me constituez en tant que monstre ? Très bien. Je prends ce stigmate-là, mais par contre, le monstre, il va vous parler.” C’est sa façon à lui d’indiquer une reprise d’agentivité. Et mon idée, c’était plutôt de dire que si l’imaginaire du monstre naît du regard de l’autre, c’est lui qu’il fonde, ce n’est pas moi. La “figure du monstre” dans le livre, c’est un miroir tendu – parce que très souvent, le corps et les parcours des personnes trans sont scrutés. Donc on va beaucoup parler de nos parcours, notamment de transition médicale, etc.. L’idée était de décaler le regard et de pointer du doigt nos opposant.e.s politiques de manière générale et de retourner le stigmate de cette figure du monstre. C’est une façon de reprendre l’agentivité sur nos récits et nos parcours en se replaçant dans un autre cadre de pensée.

Tu évoques l’humour autant que la colère dans ton livre, pourquoi ?

Dans la communauté trans, l’humour et la colère sont très liés. Parce que l’humour, c’est un mode défensif face aux violences vécues. C’est un moyen de prendre de la distance, de se défendre, de se battre. Ça me semble très important et ce n’est pas anodin. Je trouve que les personnes trans, et notamment les meufs trans, sont souvent parmi les personnes les plus drôles du monde. Cet humour est aussi utilisé parce que nos existences, comme plein d’existences marginalisées, sont tellement absurdes de violence que cette absurdité crée un décalage, un regard décalé sur le monde qui fait que, dans ce cadre, l’humour est un outil, pour parler, pour analyser ce décalage au monde.

 

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La colère est-elle une émotion politique ?

La colère, c’est bien sûr une émotion politique parce que, encore une fois, tout tourne autour du sujet de l’agentivité. Être en colère, c’est reprendre du pouvoir sur le monde. C’est ne pas se laisser noyer sous tout ce qu’on peut entendre dire sur nous ou toutes les restrictions d’accès au droit qu’on essaye de nous imposer. Les personnes trans ont la capacité de reprendre du pouvoir dans le plus d’espaces possibles. Il y a une résilience, une capacité à rebondir et à surmonter tout ce qu’on peut nous mettre dans la gueule. Même si je n’aime pas trop le mot résilience parce que ça vient d’un imaginaire un peu pathétique. Quand on nous dit “Tu es si résilient.e, tu es si courageux.se”, c’est encore une façon de nous inscrire dans une position subalterne, de personne qui subit des choses sans rien faire et malgré tout, elle survit, et malgré tout, elle réussit. Je pense qu’on est bien plus que ça.

Dans le livre, tu décris ton rapport complexe à la masculinité. Que peux-tu en dire aujourd’hui ?

Mon rapport à la masculinité est compliqué et évolutif, parce que j’ai grandi avec beaucoup de violences de la part des hommes. A partir du moment où j’ai commencé à transitionner, je me suis posé la question de l’homme que je voulais être, de ce que je voulais donner au monde et de la manière dont je voulais être au monde. Les modèles d’homme, ceux qui m’inspirent à être la personne que je veux être, ça va être plutôt d’autres mecs trans. Et je pense que les hommes, dans ma vie, globalement, jouent le rôle de contre-modèles. Ce sont des modèles que je veux éviter et ça, bizarrement, ça m’aide aussi à penser, à réfléchir à la personne que je veux être. Mais ça prend du temps. Et le rapport au monde change au fur et à mesure de la transition, parce qu’on n’est pas perçu.e de la même manière au bout de quelques mois et au bout de quelques années.

Les hommes n’interagissent pas non plus avec nous de la même manière au début, en milieu ou en fin de transition. Et ça aussi, c’est un temps à prendre qui est très délicat et compliqué parce que moi, je peux le vivre comme un renoncement, de voir qu’on essaie de m’intégrer à des formes de boys club. Ce n’est pas quelque chose que je recherche. Après, il ne faut pas se mentir, les masculinités trans ne sont pas des masculinités hégémoniques. Je pense que je ne serai jamais assimilé à des groupes d’hommes qui font partie de ces groupes hégémoniques. Même si je ne vis pas de transphobie, dans l’espace public, je vais me prendre de l’homophobie par exemple. Ça évolue au fil des années, ça fait aussi évoluer le rapport à soi et au monde. Mais moi, ce que je veux retenir, c’est que jamais je ne vais abdiquer ma solidarité envers les femmes, envers l’enfant que j’étais. Ces violences, je les ai vécues et je suis entouré de femmes qui les vivent encore. Je ne veux pas oublier ça.

Tu conclus ton livre en parlant d’amour.

Je parle beaucoup d’amour à la fin du livre, pour donner une perspective et des horizons, pour dire que l’amour nous est accessible aussi, parce qu’on plaque beaucoup sur nous cette idée d’indésirabilité. C’est important de dire que ce n’est pas vrai, qu’on peut avoir accès à la famille, à la communauté, à l’amour. Ce qu’on vit entre nous, en termes de violence vécue, partagée, en termes de comment on se protège, de comment on s’aime, de comment on essaie de faire communauté, de se guérir, de se réparer entre nous, ce sont des formes d’amour que nos opposant.e.s politiques ne contesteront jamais. Je voulais terminer là-dessus encore une fois dans une optique de retournement du stigmate. On essaie de nous dire qu’on ne connaîtra jamais l’amour. Mais en fait, on le connaît à un niveau qui est bien plus profond que les personnes qui se foutent de notre gueule quand on se tient la main dans la rue.

Un conseil à tes lecteur.rice.s ou à ta communauté ?

Le conseil que j’aimerais donner aujourd’hui est pour les autres personnes trans, notamment les jeunes personnes trans qui sont en début de transition et qui sont perdu.e.s et isolé.e.s. Rapprochez-vous d’associations. Vous n’êtes pas seul.e.s. Il y a énormément de personnes qui sont là pour défendre vos droits. Ces outils existent, et il faut s’en emparer.

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