La colère est-elle une émotion politique ?
La colère, c’est bien sûr une émotion politique parce que, encore une fois, tout tourne autour du sujet de l’agentivité. Être en colère, c’est reprendre du pouvoir sur le monde. C’est ne pas se laisser noyer sous tout ce qu’on peut entendre dire sur nous ou toutes les restrictions d’accès au droit qu’on essaye de nous imposer. Les personnes trans ont la capacité de reprendre du pouvoir dans le plus d’espaces possibles. Il y a une résilience, une capacité à rebondir et à surmonter tout ce qu’on peut nous mettre dans la gueule. Même si je n’aime pas trop le mot résilience parce que ça vient d’un imaginaire un peu pathétique. Quand on nous dit “Tu es si résilient.e, tu es si courageux.se”, c’est encore une façon de nous inscrire dans une position subalterne, de personne qui subit des choses sans rien faire et malgré tout, elle survit, et malgré tout, elle réussit. Je pense qu’on est bien plus que ça.
Dans le livre, tu décris ton rapport complexe à la masculinité. Que peux-tu en dire aujourd’hui ?
Mon rapport à la masculinité est compliqué et évolutif, parce que j’ai grandi avec beaucoup de violences de la part des hommes. A partir du moment où j’ai commencé à transitionner, je me suis posé la question de l’homme que je voulais être, de ce que je voulais donner au monde et de la manière dont je voulais être au monde. Les modèles d’homme, ceux qui m’inspirent à être la personne que je veux être, ça va être plutôt d’autres mecs trans. Et je pense que les hommes, dans ma vie, globalement, jouent le rôle de contre-modèles. Ce sont des modèles que je veux éviter et ça, bizarrement, ça m’aide aussi à penser, à réfléchir à la personne que je veux être. Mais ça prend du temps. Et le rapport au monde change au fur et à mesure de la transition, parce qu’on n’est pas perçu.e de la même manière au bout de quelques mois et au bout de quelques années.
Les hommes n’interagissent pas non plus avec nous de la même manière au début, en milieu ou en fin de transition. Et ça aussi, c’est un temps à prendre qui est très délicat et compliqué parce que moi, je peux le vivre comme un renoncement, de voir qu’on essaie de m’intégrer à des formes de boys club. Ce n’est pas quelque chose que je recherche. Après, il ne faut pas se mentir, les masculinités trans ne sont pas des masculinités hégémoniques. Je pense que je ne serai jamais assimilé à des groupes d’hommes qui font partie de ces groupes hégémoniques. Même si je ne vis pas de transphobie, dans l’espace public, je vais me prendre de l’homophobie par exemple. Ça évolue au fil des années, ça fait aussi évoluer le rapport à soi et au monde. Mais moi, ce que je veux retenir, c’est que jamais je ne vais abdiquer ma solidarité envers les femmes, envers l’enfant que j’étais. Ces violences, je les ai vécues et je suis entouré de femmes qui les vivent encore. Je ne veux pas oublier ça.