Salut Yaeger ! Tu viens de jeter l’ancre à Paris pour te produire au Pitchfork, on est hyper content-es de te voir ici. Comment te présenter à nos lecteur-ices ?
Yaeger : Je viens de Stockholm – enfin, d’une ville pas très loin, à deux heures de route. J’ai grandi dans une famille assez créative : mon père bosse dans le marketing, il m’a appris à voir comment l’art peut interagir avec la société. Le choix des mots, l’image, la manière dont on crée un univers et ce que cela inspire aux autres.… J’ai grandi en observant le monde à travers ce prisme.
La musique, c’est un rêve d’enfant. Petite, j’étais tout le temps devant le miroir à faire des shows… Et chaque fois qu’on pointait une caméra sur moi, je faisais ma star. J’ai commencé par écrire des poèmes, puis j’ai rencontré un gars – un pote de pote qui faisait du son et avait entendu que j’écrivais. On a bidouillé un morceau, et on l’a publié sur SoundCloud. Avec ma cousine qui est photographe, on a shooté quelques images dans sa cave puis j’ai décidé de m’appeler Yaeger. En vrai, je m’appelle Hanna Jäger – mais flemme de passer ma vie à entendre la blague sur Jägermeister. C’est comme ça que ça a commencé…
C’est à ce moment que tu as sorti « Ocean ».
C’est ça, en 2016. Le morceau est devenu viral en Suède et les radios se sont mises a jouer ma musique. J’étais juste une ado dans sa chambre, et je ne réalisais pas du tout ce qui m’attendait. Ça résume un peu ma vie : essayer, apprendre, explorer, comprendre… Mon père m’a beaucoup aidée au début, en vrai. Quand les labels se sont mis à m’envoyer des contrats, il m’a permise d’y voir plus clair.
C’est sûr que ça aide, d’avoir un parent qui comprend les rouages et veille au grain ! Tu as dit que tu faisais des shows devant le miroir quand tu étais petite… C’était qui tes références à l’époque ?
Les stars de MTV. Shakira, Britney Spears, Christina Aguilera, Pink… Toute cette génération-là. Et puis il y avait la musique que ma grande sœur écoutait : de l’indie rock, genre The Shins, The Sounds, The Hives… Tous ces groupe en « The ».
C’est marrant que tu cites Shakira ou Britney, parce que tu dégages quelque chose de très différent. Peut-être l’époque qui a changé… Ça signifie quoi, pour toi, être une “pop star” aujourd’hui ?
La différence c’est surtout qu’elles sont américaines, et moi non. Naviguer à travers le monde en étant européenne, c’est pas pareil. On a une autre culture, une histoire plus ancienne. J’étais à Toronto hier, j’ai atterri juste avant de venir ici. On a dîné dans un bâtiment qu’on m’a présenté comme « historique » alors qu’il datait des années 70 ! Les cultures européennes ont des racines tellement plus lointaines.
Tu as l’impression que ça te donne plus de liberté, d’être une artiste européenne dans l’industrie de la pop ?
Je crois oui… Quand je regarde Sabrina Carpenter ou Taylor Swift, je vois des pop girls parfaites. Ce sont de vraies bosseuses : respect. Mais à côté, tu as Lily Allen ou Charli XCX — des Britanniques. Elles dégagent une autre énergie, plus brute, qui m’attire davantage. D’ailleurs, je crois que Lady Gaga devrait être considérée comme une artiste européenne.
Complètement d’accord : Gaga for Europe ! Qu’est-ce que tu aimerais que les gens ressentent lorsqu’ils t’écoutent ?
Je veux qu’ils ressentent quelque chose. Ce qui m’inspire, c’est la tension entre euphorie et mélancolie. C’est ma sensation préférée. Comme quand tu écoutes The XX, MGMT ou Lykke Li : ça fait mal mais c’est beau. C’est ce sentiment que j’aimerais transmettre. Et je crois que j’écris avant tout pour les jeunes femmes… Il y a beaucoup de choses que j’ai envie de leur dire.
Du genre ?
Qu’elles n’ont pas à rentrer dans un moule, par exemple. Être une femme peut être très restrictif : il faut être forte, une girlboss, mais aussi sensible, attentionnée… À la fin, on n’a plus l’espace d’être soi-même. C’est ce que j’exprime sur “Take It, Take It” : parfois quelqu’un n’est pas assez bien pour toi – et c’est ok. Tu peux partir, tu peux avoir envie de mieux… Tu mérites quelqu’un qui t’aime telle que tu es.
Tu décris ta musique comme de l’« emotional rave pop ». C’est quoi ton rapport à la culture rave ?
Il y a une grosse scène rave en Suède, même si elle est pas mal réprimée. La première rave-party que j’ai vécue, c’était une soirée organisée par des anciens de la scène drum’n’bass. Le son m’a littéralement emportée. Ce mélange de noirceur et de lumière… C’est ça la rave, pour moi. Tu te fiches de ta tenue, tu t’abandonnes dans la musique. Dans le chaos qui nous entoure, ce genre d’espace est vital pour s’évader. C’est dommage parce que j’ai l’impression que l’expérience n’est plus vraiment la même aujourd’hui… Tout le monde filme tout, ça gâche la magie du moment.
Tu dis aussi que tu produis de la “Stockholm Basement Music”. Ça veut dire quoi ?
Il faut savoir que Stockholm est remplie de sous-sols transformés en studios de musique. En hiver, il fait nuit presque tout le temps, alors tu restes au studio, tu bosses et tu dors parfois sur place. Tout ça influence pas mal la musique suédoise. Je partage l’un de ces studios avec mon compagnon et une bande de potes. C’est là que j’ai rencontré Icona Pop et le compositeur avec qui je produis ma musique : Sebastian Fuller.
Vous avez l’air de vous être très bien trouvés. Et ce n’est pas n’importe qui : membre du groupe Cazette, c’était l’un des plus proches collaborateurs du regretté Avicii. Comment ça se passe le travail avec lui ?
On s’est rencontrés pendant la pandémie. Notre éditeur nous avait demandé d’écrire une chanson pour quelqu’un d’autre, et ça a tout de suite matché entre nous. On faisait mine de bosser sur le projet mais, dès qu’on avait une minute, on coupait nos micros pour préparer nos titres en cachette. Ça faisait longtemps que je cherchais quelqu’un qui puisse comprendre ma vision.
En 2020, je voulais déjà chanter sur de la drum’n’bass mais personne ne m’écoutait. Je travaillais avec un label anglais qui me répétait que ce n’était pas cool, que la radio ne jouerait pas ma musique. Les producteurs avec qui je composais – des mecs – me donnaient souvent l’impression d’être jugée, incomprise ou dirigée. Depuis que je travaille avec Sebastian, je me sens complètement libre. J’avais besoin de quelqu’un qui m’encourage et me permette de m’impliquer dans la production. C’est quelqu’un qui compte beaucoup pour moi… Un vrai magicien.