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Une nuit avec Rico Nasty

Rico Nasty n'est pas à la maison, où je m’attendais à la rencontrer, mais me donne rendez-vous dans sa voiture, via Zoom. C'est mardi soir, il est environ 20 heures et son petit ami/manager la raccompagne chez elle après une journée en studio bien chargée consacrée à la préparation d’un contenu pour Genius et à la réécoute de quelques titres inédits. Rien ne pourra stopper une fille aussi déter, pas même une pandémie.

À l’heure où j’écris cet article, la rappeuse, chanteuse et artiste punk de 23 ans a déjà sorti son très attendu premier album Nightmare Vacation, qui met en avant sa nouvelle maturité ; une maturité qu’elle a su développer au fur et à mesure de ces dernières années. En effet, la native du Maryland a su capitaliser sur ses nombreuses mixtapes saluées par la critique (notamment la remarquable Nasty sortie en 2018, suivie d’Anger Management), tout en valorisant son énergie scénique qui a rendu ses concerts si courus.

Mais cette année 2020 inédite, couplée à une succession de défis personnels, comme elle nous l’expliquera, a augmenté la pression autour de cette sortie d’album. Mais ce n’est pas ce qui occupe son esprit en ce moment même.

“Je viens d’adopter un serpent”, annonce-t-elle en esquissant un sourire, le regard posé sur la route. Elle se prépare à rencontrer son nouvel animal de compagnie, un python royal albinos à l’aspect crémeux qu’elle finira par nommer Voldemort. Un de ses amis le récupère en ce moment même et le déposera bientôt chez elle.

Pour oublier la morosité ambiante déclenchée par le confinement, elle s’est plongée dans la littérature sur les serpents et tout ce qui leur est lié, recherchant les espèces qu’elle pourrait éventuellement garder en vie dans sa maison du Maryland, où elle vit avec Cameron, son fils de 5 ans. Comme pour bon nombre d’entre nous, cette période anxiogène a donné à Rico Nasty l’envie de trouver des échappatoires. Elle s’est alors réfugiée dans des terriers numériques et analogiques, de Tiger King sur Netflix à la reprise du passe-temps qui l’occupait avant l’automne, la peinture.

Alors que l’industrie de la musique souffre toujours de l’effondrement de la vie culturelle après l’enchaînement de confinements et couvre-feux, Rico Nasty a vite été contrainte d’envisager la possibilité de perdre la stabilité sur laquelle elle avait bâti sa nouvelle vie. Une tournée de 30 concerts, qui devait rapporter plus d’un demi-million de dollars, a rapidement été annulée. De même pour la tournée européenne qu’elle avait prévue. “Impossible de tourner des clips, album repoussé, aucune collaboration possible, la déprime”, raconte-t-elle. “Et je suis bien évidemment inquiète à cause du coronavirus. Oui, j’ai peur de mourir. Tout ceci mêlé aux manifestations en mémoire de George Floyd à l’époque, on avait l’impression que le ciel pouvait s’abattre sur nous à tout moment.”

Alors, pendant une courte période, Nasty a disparu d’Internet. “C’était une période difficile pour les personnes de couleur et je me suis dit : ‘Mince, quand est-ce que les gens vont avoir quelque chose à foutre des efforts que nous faisons pour nous en sortir ?’” Rico Nasty a donc décidé de faire ce qu’elle sait faire de mieux : créer du contenu et renouer avec ses fans. D’abord avec des selfies de sa collaboration en tant qu’ambassadrice pour Savage x Fenty, puis des photos et des vidéos de promotion pour le lancement de sa première palette de fards à paupières en collaboration avec la marque de beauté Il Makiage.

Les singles se sont ensuite enchaînés, notamment son duo très attendu avec Dylan Brady de 100 gecs, intitulé “iPhone”. La chanteuse a même réactivé son compte TikTok pour rejoindre la génération Z et y poster des défis de transformation à la mode et de courts mèmes vidéo. Sur Twitter, elle a recommencé à troller ses fans. Puis, elle a fait partie des premiers artistes à se lancer sur le créneau des livestreams – un nouveau format qu’elle compare à un boot camp : “C’est plus intime, donc tu ne peux pas te relâcher.”

“Faire une vidéo TikTok ou un truc fun du genre, ça redonne le sourire. Le meilleur service que je puisse rendre à mes fans est de les faire rire.” De retour chez elle pour la soirée, Rico Nasty se dirige vers une petite table sur le côté de sa porte d’entrée, une main serrant encore son menu à emporter de chez Chick-fil-A, le fast-food 100 % poulet. La petite partie de sa maison visible à travers Zoom a l’air aérée et spacieuse. Elle se glisse sous le lustre minimaliste qui décore le plafond de son salon et offre une brève visite d’une pièce voisine baignant dans une lumière fuschia. Ses nouvelles œuvres d’art peintes pendant la quarantaine décorent également les murs.

Bien avant la pandémie, Nasty savait qu’elle allait devoir sortir de sa zone de confort pour son premier album. C’est pourquoi, même s’ils sont toujours des intimes, vous ne verrez le nom de Kenny Beats, son collaborateur de longue date, mentionné nulle part sur le disque. “J’ai l’impression que lui et moi savions que s’il avait été associé à ce projet en tant que producteur, les gens auraient trouvé à redire en mode ‘Oh, ça sonne pareil’”, explique-t-elle. “Kenny, c’est mon Maître Miyagi, celui qui a le plus contribué à faire de moi une championne.” Mais en même temps, “on n’est pas un putain de duo”. Avec Nightmare Vacation, la rappeuse confirme que l’âme de son univers sonore demeure intacte, quel que soit le producteur. Rico Nasty se déchaîne sauvagement sur les 16 titres de l’album, comme elle sait si bien le faire, tout en repoussant les limites de ses capacités artistiques. Sur “Loser”, un morceau construit autour d’une citation emblématique des Mean Girls, Nasty rejoint Trippie Redd sur son terrain de prédilection, répondant du tac au tac à sa provocation lyrique. Elle présente une version plus discrète d’elle-même sur le titre “Back and Forth”, en duo avec l’artiste Aminé – mais ses mesures plus calmes font aussi mal que les plus virulentes.

Parmi ses nombreux titres, ceux qui remportent le plus de succès sont issus de sa collaboration créative avec Brady de 100 gecs, qui s’avère unemine d’or pour les deux parties. Sa personnalité déjà maximaliste se voit renforcée par la production exubérante de Brady, qui enfreint les règles. Une collaboration qui arrive à point nommé, surfant sur la tendance de l’hyperpop, ce microgenre qui se propage actuellement dans les strates les plus branchées de la génération Z. Six ans après le début de sa carrière, il est clair que c’est exactement sa capacité à transformer tout ce qu’elle a donné en mèmes et en hymnes accrocheurs qui la distingue en tant qu’artiste – n’en déplaise à ses détracteurs. “À mon avis, beaucoup de gens ne célèbrent les femmes que si un homme se trouve à l’origine de leur succès, dit-elle. Oui, les hommes jouent un rôle très important dans la carrière de certaines personnes, mais frère, tu ne vas pas simplement baser toute ma carrière sur ma rencontre avec un gars qui a fait mes instrus. Non, j’écris mes chansons, je travaille dur, je suis créative.”

En début d’année, Rico Nasty, son fils et son petit ami ont tenté une énième fois de s’installer à Los Angeles. Elle avait le bail en main et tout, mais évidemment, la pandémie a tout gâché. L’artiste a perçu cet évènement comme un signe de l’univers lui indiquant qu’elle devrait peut-être rester un peu plus longtemps dans le DMV (DC, Maryland, Virginie).“J’ai l’impression qu’en ce moment, il y a tellement de jeunes filles noires du Maryland qui me regardent en mode : ‘Bitch, tu vas probablement te barrer pour lâcher cette vie”, parce que beaucoup de gens ne sortent jamais du DMV’”, dit-elle en regardant droit dans l’objectif. “Je veux juste m’assurer que mon héritage demeure, que je n’ai jamais quitté et que je ne quitterai jamais cet endroit. C’est ma putain de ville. Je l’aime et j’y règne.”

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