Quel avenir pour le journalisme de mode ?
Osama Chabbi a la réponse.
Stylisme : Prada
Osama Chabbi a la réponse.
Dans un paysage médiatique en constante évolution, caractérisé par une difficulté à se renouveler, Osama Chabbi émerge comme une figure de proue de la critique mode 2.0. Rencontre.
Contrairement à beaucoup dans le domaine de la mode, Osama Chabbi n’a pas suivi un parcours traditionnel. “Je n’ai jamais vraiment voulu faire des études de mode, préférant l’apprentissage sur le terrain pour mieux comprendre l’industrie,” explique-t-il. But, who is Osama Chabbi ? C’est la question piège que je lui pose, la fameuse question d’auto-définition qu’il pose lui-même à chacun.e de ses interlocuteurs.trices en entrée de jeu. “Un gamin plein de rêves et d’ambitions qui vit de beaucoup de délusions et de manifestations. Parfois j’échoue et parfois je gagne,“ exprime-t-il amusé lors de notre entretien téléphonique depuis Dubaï.
Après des études en géopolitique, ce Lyonnais d’origine tunisienne a suivi sa passion pour la mode, débutant sa carrière comme styliste freelance avant de se faire un nom en tant que fashion commentator sur Instagram, puis journaliste. “Mes études en géopolitique ont renforcé mon écriture et mon anglais. Cela m’a aidé à maintenir un bon rythme dans mes discours et à structurer mes papiers. Après ma licence, je suis arrivé très tôt à Dubaï et j’ai commencé par un stage en relations publiques, mais j’ai rapidement réalisé que ce n’était pas fait pour moi. J’avais une vision beaucoup trop The Devil Wears Prada de l’industrie de la mode”, sourit-il. “Et j’ai voulu en devenir le main character !”
L’arrêt des défilés physiques durant la pandémie de COVID-19 a été une révélation pour Osama, démontrant que la participation d’une élite de journalistes triée sur le volet aux événements physiques de l’industrie n’était plus la condition sine qua non pour accéder et pratiquer le fashion criticism, ce qui lui a donné envie de se lancer dans la critique de mode sur les réseaux sociaux. “Je me sentais créativement bâillonné dans l’environnement corporate dans lequel je travaillais à l’époque, et ne pouvant pas travailler pour un média en parallèle car j’avais déjà un job, cela m’a poussé à concevoir mon propre compte Insta comme un média alternatif, car ça, personne ne peut me l’enlever.”
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Ainsi, il a su créer un espace original pour des échanges sincères et perspicaces autour de l’industrie de la mode avec sa communauté, apportant sa pierre à l’édifice à l’évolution du fashion criticism sur Instagram. “Initialement, l’accès à mon contenu de fashion critic était limité à un cercle restreint d’ami.e.s proches. Devant leur enthousiasme, je me suis dit : ‘Allons-y, soyons fous’. Et pourquoi pas partager mes commentaires publiquement en story ?”
C’est ainsi que le format “Reviewed by Osa” est né : un format exclusivement sur les Instastories du compte Instagram d’Osama, où de manière à la fois poétique, drôle et incisive, il décortique le bon et le mauvais des défilés des marques de luxe aux quatre coins du monde. “Quand j’ai commencé ‘Reviewed by Osa’, j’écrivais des pavés entiers et j’étais surpris que les gens lisent autant ! Cette patience des lecteurs.rices était incroyable et motivante, surtout dans le contexte actuel de consommation de contenus très courts. Cela m’a vraiment donné l’envie de continuer mon travail et d’explorer encore plus la critique de mode.”
Chose dite, chose faite : Osama publie régulièrement des reviews épicées à souhait sur ses Instastories, sans jamais avoir sa langue dans sa poche, ni se soucier du fait que ces reviews plaisent ou déplaisent aux marques concernées — une forme de sincérité narrative qui a rapidement attiré une audience toujours plus intriguée par ses contenus de critique de mode qui apportent un POV authentique, honnête et nécessaire au sein d’un paysage médiatique où le journalisme est souvent édulcoré au profit des marques dîtes “annonceurs” (dénomination pour les marques qui achètent des espaces publicitaire au sein d’un média, ndlr).
“Très attentif aux détails, j’ai toujours eu une réflexion un peu socioculturelle sur ce qui se passe dans l’industrie de la mode, mais de manière instinctive, même avant que cela ne devienne ma vocation,” explique-t-il, ajoutant que cela lui a donné envie de développer encore plus ses compétences journalistiques, en proposant des nouveaux formats de critique de mode exclusivement sur les réseaux sociaux, dont Instagram et YouTube en priorité. Son format récent “In conversation with…” est un condensé de toutes ses aspirations : apporter un point de vue critique pertinent et intimiste, tout en restant accessible à une large audience et en proposant du contenu inédit.
Mais comment a-ti-il percé dans le milieu, te demandes-tu ? Tout a commencé avec un tweet fin 2022, où Osama exprimait son souhait d’interviewer le renommé Haider Ackermann. Ce simple tweet n’était pas anodin — et n’est pas non plus tombé dans l’oreille d’un sourd. Peu après, Osama fut invité à assister au défilé de la collection Haute Couture Printemps/Été 2023 de Jean Paul Gaultier, orchestrée par Ackermann lui-même. Ce moment décisif a également marqué le lancement de la série d’entretiens “In conversation with…” d’Osama, inaugurée par une conversation de 18 minutes filmée au siège de Jean Paul Gaultier. “Cette série d’interviews est une sorte de lettre d’amour aux têtes créatives qui ont façonné ma culture de la mode et à celles et ceux qui la façonnent aujourd’hui,” explique-t-il.
Rapidement, la série d’entretiens d’Osama s’est transformée en une chronique mode captivante, saisissant l’essence de la mode à travers des discussions avec des figures emblématiques de l’industrie telles que Kris Van Assche, Glenn Martens de Diesel, Casey Cadwallader de Mugler, Amina Muaddi et plus récemment l’iconique Michèle Lamy — bras droit créatif et muse éternelle de Rick Owens ! Chaque épisode illustre la capacité d’Osama à créer un espace de dialogue où la créativité est abordée avec respect, intelligence et une touche profondément humaine.
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Sa démarche, à la fois bienveillante et profonde, se distingue nettement de la nature souvent impitoyable des médias de mode traditionnels, offrant ainsi une plateforme où les créateurs.rices peuvent s’exprimer librement sur leur parcours créatif, sans se sentir jugés. “Pour moi, il est essentiel de créer un environnement sain avec ces personnalités qui ne soit pas nécessairement ancré dans un débat hostile, contrairement à ce que peuvent faire certains médias. Il s’agit d’une conversation entre êtres humains, je veux qu’ils et elles se sentent libres tout en gardant une certaine formalité, d’une manière ou d’une autre,” explique-t-il.
Et pour autant, il ne se positionne pas comme un people pleaser, ni comme un influenceur qui souhaite créer le buzz par association à une personne célèbre sur les réseaux : son travail de fashion critic, mélange de commentaires culturels et de récits personnels, résonne auprès d’une audience avide d’approches plus nuancées et moins élitistes de l’industrie de la mode.
Selon Osama, ses entretiens sont délibérément formels et old school dans leur trame, le choix des questions et du cadre. “Il y a en moi une part qui ressent le manque d’une figure exemplaire du fashion critic d’origine arabe“, renchérit-il. “Donc je ne peux m’empêcher de maintenir une certaine forme d’institutionnalisme, dans le sens où mes entretiens sont des vraies conversations approfondies et sérieuses. Je n’ai pas envie de me dire, ‘bon, I have the mic, so let’s take it to TikTok’. Au contraire, j’ai envie que ce soit un vrai truc, quelque chose d’instructif, qualitatif et pérenne. ”
La qualité de production de ses interviews, elle aussi, est remarquable. Bien que produit de manière indépendante et autofinancé, chaque épisode filmé rivalise avec les productions à gros budget. Cela témoigne de la détermination et de la passion d’Osama pour le journalisme de mode, ce dernier n’hésitant pas à assumer lui-même plusieurs rôles, de la réalisation au montage.
À l’avenir, Osama rêve d’interviewer des icônes telles que Victoria Beckham, les percevant non seulement comme des figures de la mode mais aussi comme des symboles de transformations culturelles majeures. « Il y a quelque chose chez Victoria Beckham qui me fascine, » sourit-il. « Le fait qu’elle ait été Posh Spice et qu’elle ait réussi à naviguer à travers cela pour ensuite s’imposer dans l’industrie de la mode avec autant d’assurance ! » Son admiration pour Victoria Beckham découle donc de sa capacité à se réinventer, passant de pop star à créatrice respectée de la mode, un parcours qui inspire Osama pour son sens de la résilience et de la transformation.
En ce sens, Osama renouvelle lui-même son approche journalistique pour ne jamais se reposer sur ses lauriers. Ainsi, le nouveau format “90 seconds with…” est né, une version plus fun et courte du format interview “In conversation with…”, qui permet des entretiens courts et adaptés aux réseaux sociaux qui ressemblent plus à des conversations informelles avec des personnalités de la mode. Le premier épisode, en collaboration avec les co-fondatrices de la marque danoise de prêt-à-porter ROTATE Birger Christensen, cartonne d’ores et déjà sur son compte Instagram.
Quel avenir, non seulement pour le journalisme de mode, mais aussi pour une industrie qui actuellement ne se consomme qu’à travers les célébrités et l’influence aux dépens des designers, qui se retrouvent souvent éclipsés ? C’est la vaste question que je lui pose pour conclure notre entretien. “Franchement, à mon avis, il faut avoir conscience de l’aspect humain derrière la création, cela fait toute la différence”, conclut-il. “Dans cette industrie, tout n’est pas que front row, tout n’est pas que produit, tout n’est pas que matériel. Il faut regarder derrière le piédestal, derrière le gate-keeping et au-delà de la starification pour réhumaniser les créateurs.rices de mode qui ne sont pas hermétiques à ce que l’industrie pense d’elleux. Et à partir de là, la vraie conversation commence.”