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Musique

Love letter à Janet Jackson

C’est l’anniversaire de la Queen of Pop : retour sur une carrière entre innovation et invisibilisation.

Telle une ombre, Janet Jackson préside la pop depuis plus de trois décennies et ne cesse de renaître sous différentes formes. Que ce soient Britney Spears, Beyoncé, Dua Lipa et Normani, toutes se sont inspirées de la feuille de route édictée par la carrière de Janet. La “petite dernière du clan Jackson” pose, d’abord avec l’album Control sorti en 1986, les bases d’une pop féministe, empowered et révolutionnaire. Les succès s’enchaînent, comme les albums iconiques : Janet Jackson’s Rhythm of Nation 1814, Janet., The Velvet Rope, All for You, DisciplineImpliquée dans les questions de société qui fâchent l’Amérique blanche, sa mise au ban de la télé américaine après le Nipplegate en 2004 souligne les inégalités de traitement de la femme dans l’industrie impitoyable de la musique. Et c’est en tout cela que Janet Jackson reste un cas d’école, un sex-symbol et une héroïne de la pop culture. Existe-t-il un autre exemple aussi impressionnant de transmutation d’une artiste ? 

Revenons à l’album Control un instant. Après deux disques peu mémorables, Janet Jackson (1982) et Dream Street (1984), Janet se débarrasse enfin de son père trop encombrant pour voler de ses propres ailes. Elle s’entiche d’un duo de producteurs originaire de Minneapolis, Jimmy Jam et Terry Lewis, à l’avant-garde d’un nouveau son. Dès les premières notes du titre éponyme “Control”, Janet Jackson ne mâche pas ses mots et scande à qui veut l’entendre : “I am in control and I love it.” (“J’ai le contrôle et j’aime ça !”) En effet, elle ne cache rien de son programme qui consiste à se penser par elle-même. “Tout le monde connaît l’histoire. Janet arrive et c’est la petite sœur de Michael. Elle se cherche un peu au début et son père contrôle sa carrière. Elle lui dit : ‘Vous savez quoi ? Je suis une jeune fille des années 80 influencée par le funk électronique, par le R&B et par plein d’autres choses. C’est cette musique que je veux faire et je vais faire ça avec Jimmy Jam et Terry Lewis’”, analyse Rhoda Tchokokam, coauteure du livre Le Dérangeur : petit lexique en voie de décolonisation publié aux éditions Hors d’Atteinte en 2020. L’opus Control installe Janet comme une artiste à part entière, une femme qui a vraiment pris le temps de faire une musique qui lui ressemble. Quand ils créent ensemble ce son embryonnaire qu’est le new jack swing, il est important de rappeler que Michael l’adopte au début des années 90. “C’est sûr que sur ce plan-là, Janet est en avance sur lui”, précise Rhoda. L’album cartonne, à l’image de ses singles “What Have You Done for Me Lately”, “Nasty”, “Control”, “When I Think of You”, et “Let’s Wait Awhile”, qui atteignent le sommet des charts et se classent dans le top 5 au Hot 100 américain. 

© Getty Images

Sortir de l’ombre du frère et se libérer du contrôle parental

En Europe, Janet est perçue comme la Madonna noire et peine à sortir de l’ombre du Roi de la pop, son frère aîné Michael Jackson, malgré des chiffres impressionnants sur le sol américain et une posture complètement atypique. Trop noire ? Trop clivante ? Trop rebelle ? “En France, tu leur parles d’un album de Michael, ils savent de quoi tu parles, mais un album de Janet, c’est un peu plus compliqué. C’est plutôt du ressort de l’ignorance, clarifie Rhoda. A l’extérieur des Etats-Unis, on n’est pas conscient de la vraie influence qu’elle a pu avoir. Pour eux, la Queen of pop intersidérale, c’est Madonna, alors que Janet est juste à côté. Je pense aussi que c’est parce que Janet est une pop star noire. Par définition, dans un monde où le racisme anti-noir est globalisé, elle touche beaucoup moins de monde, mais elle incarne ce que les femmes noires ont fait de plus moderne dans la musique populaire.”

Son album suivant, Janet Jackson’s Rhythm of Nation 1814 (1989), vient renforcer son message. Désormais, cet appel au respect deviendra universel. Casquette visée sur la tête, uniforme militaire, regard intimidant et chorégraphies quasi guerrières, chacune de ses apparitions est un évènement. Son objectif de base s’intensifie, il ne s’agit plus de son émancipation à elle, mais bien de celle de toute une génération. Exit les sourires niais et les chansons sur ses amourettes adolescentes, Janet s’en va en guerre contre le patriarcat. Aujourd’hui, tout ce parcours peut sembler presque organique, parce que les réseaux sociaux t’ont conditionné.e à voir des artistes se revendiquer féministes à longueur de journée, mais s’affirmer en tant que femme et non plus en tant que fille de ou sœur de, à son époque, c’était juste… complètement badass ! 

Sa rébellion face au système et ce qu’il attendait d’elle est sûrement la raison de sa longévité et de son statut iconique. Alors, quand Beyoncé chante “Formation” sur la pelouse du Super Bowl en 2016 habillée en Black Panther, mouvement révolutionnaire pro-noir, avec une armée de danseuses, ce n’est pas à Michael à qui elle rend hommage, mais bien à Janet – et à la chorégraphie du clip de “Rhythm Nation”. “Il faut aussi se souvenir que Janet savait faire le show, avec d’énormes chorégraphies de l’ordre de la performance et ça, bien avant l’apogée de Beyoncé. C’est une icône qui continue aussi d’inspirer de nouvelles générations. D’ailleurs, sans Janet Jackson, il n’y a pas de Beyoncé, d’Aaliyah, de Britney…”, remarque Kiyémis, auteure du livre À nos humanités révoltées aux éditions Métagraphes en 2018 et figure militante de l’afro-féminisme français.  “On perçoit son influence chez Teyana Taylor ou encore chez Normani. Tout a commencé dans les années 80 et aujourd’hui, Janet Jackson continue à faire des tubes. C’est intéressant de dire que c’était la petite dernière qui a réussi à sortir de l’ombre de son grand frère en proposant tube sur tube. Elle a un parcours admirable, mais aussi singulier dans l’histoire de la pop.” Janet approfondit ensuite son alchimie musicale avec Jimmy Jam et Terry Lewis aux manettes de Janet Jackson’s Rhythm Nation 1814, du sexy Janet et enfin du sensationnel The Velvet Rope. Des albums qui inspireront des duos de producteurs/chanteuses remarquables tels que The Neptunes/Kelis, Timbaland/Aaliyah, Darkchild/Brandy ou encore Rich Harrison/Amerie, lesquels ambitionnent, à leur tour, de porter un son nouveau à la fin des 90’s et au début des 00’s. 

[…] Janet est une pop star noire. Par définition, dans un monde où le racisme anti-noir est globalisé, elle touche beaucoup moins de monde, mais elle incarne ce que les femmes noires ont fait de plus moderne dans la musique populaire.

Rhoda Tchokokam

Pionnière puissante : Janet Jackson encourage les femmes à prendre conscience de leur désir sexuel

Mais le vrai détonateur de son succès, c’est sa capacité à aborder, avec la même hargne, des thèmes variés tels que le racisme, la pauvreté, l’éducation, l’homophobie, les ravages du sida, le respect mais aussi… le plaisir féminin. 

Chez elle, ce plaisir s’exprime par des nuances de murmures, de grognements et de soupirs. De manière évidente, elle détaille ses sexcapades et ne se cache pas d’en vouloir toujours plus. A la fois puissamment érotique et amoureuse, elle parsème ses albums de chansons faisant référence à la liberté sexuelle. “Toujours dans Control, il y a ‘Funny How Times Flies (When You’re Having Fun)’. Ce titre est important dans sa carrière car elle s’installe en tant qu’être sexué qui parle de plaisir et commence à utiliser sa voix de façon complètement différente. On commence à entendre la Janet que l’on va connaître au début des années 90 avec l’album Janet où elle décide de délaisser son patronyme Jackson”, explique Rhoda. 

Justement, la couverture du magazine Rolling Stone de 1993, shootée par le célèbre photographe de mode Patrick Demarchelier, où elle pose les seins nus recouverts par les mains de son mari de l’époque avec un simple jean, est un pur moment de pop culture et d’audace. “Dans The Velvet Rope, pourtant associé à tort au mouvement néo-soul quelque peu conservateur, il y a un morceau, ‘Rope Burn’, où elle parle littéralement de cordes. Elle te parle de sexe de façon très crue”, poursuit Rhoda. Ces mises à nu provocantes participent à casser l’héritage familial trop pesant tout en s’affirmant en tant que modèle d’émancipation féminine.

Diffusé en janvier 2022 sur la chaîne américaine Lifetime, le documentaire en deux volets JANET revient sur son enfance à Gary dans l’Indiana, sa prise d’indépendance avec Rhythm Nation, sa relation avec son frère aîné Michael Jackson (1958-2009) et ne s’attarde que très peu sur l’épisode de la mi-temps du Super Bowl 2004 qui a scandalisé l’Amérique puritaine. “Je n’ai pas le souvenir d’une artiste qui arrive autant à se réinventer, à assumer une certaine forme de sexualité – qui a pu lui être reproché, reprend Kiyémis. On se souvient tous du Nipplegate. Il y a eu une hypersexualisation du corps de la femme noire qui va être punie, alors même que Justin Timberlake n’a pas reçu de sanction après lui avoir arraché le corset.” 

Mais rien de tout ça n’émeut Janet Jackson, qui pousse le bouchon un peu plus loin sur l’album Discipline. “Ce n’est pas son album le plus sexuel dans le contenu, mais l’imagerie est bien là. C’est un album qui affirme sa sexualité, elle parle même de plaisir SM, décrypte Kiyémis. C’est aussi un pied de nez à l’industrie, car elle leur dit : ‘Vous m’avez mise de côté pour un téton. Attendez, vous n’avez rien vu !’ Janet revient vêtue de latex et de cuir. Un vrai discours qui dit Fuck you !”

Un role model pour les nouvelles générations  

Tout au long de sa carrière, Janet Jackson a multiplié les statements féministes et dans cette ère post-#MeToo, ses propos ont une résonance amère. Son titre “Nasty”, chorégraphié par Paula Abdul, a un statut iconique dans le répertoire musical du féminisme pour son intemporalité et surtout pour sa combativité. Dans ce morceau, elle s’adresse sévèrement à des mecs qui se croient tout permis en leur disant : “No, my first name ain’t baby. It’s Janet… Ms Jackson, if you’re nasty” (“Non, mon prénom n’est pas bébé. C’est Janet… Madame Jackson si t’es vilain”). Pas étonnant que les streams de cette chanson, sortie à la fin des années 80 et qui parle du harcèlement de rue, ait augmenté de 250 % sur Spotify après que Donald Trump a qualifié Hillary Clinton de “nasty woman” lors du débat présidentiel de 2016. 

Ces revendications s’expriment également à l’image. En changeant le narratif de la fille jeune, jolie et fragile, Janet Jackson n’hésite pas à se mettre en scène dans des milieux hostiles afin d’affirmer son contrôle. “Dans le clip de ‘The Pleasure Principle’, elle danse seule avec sa chaise dans une sorte d’entrepôt vide. A partir de là, elle établit une sorte de modèle pour toutes les autres vidéos où tu as souvent des femmes, pas seulement des femmes noires, qui habitent l’espace pendant plus de trois minutes. Je pense à Ciara, par exemple, avec ‘Ride’ sorti en 2010”, souligne Rhoda, qui écrit actuellement un livre sur l’histoire et l’expression de la culture R&B en France (à paraître aux éditions Audimat en 2023). La chanteuse américaine Cassie s’est également inspirée du concept de “The Pleasure Principle” pour son clip “Me & U” (2006), tandis que SZA, en 2017, sortait un album intitulé… Ctrl.

Chacun de ces clins d’œil atteste de l’influence de Janet Jackson sur les nouvelles générations, de la richesse de sa discographie, de ses chorégraphies et de sa panoplie de costumes plus impressionnants les uns des autres. Ses clips sont de véritables encyclopédies de la mode politique : les box braids de “You Want This”, le power suit d’“Escapade”, le piercing de “Together Again”, le jean arraché d’“All for You” descendent tour à tour dans la rue. 

Le clip de “Got ’til It’s Gone”, extrait de The Velvet Rope (1997), a ainsi eu une résonance particulière dans la mémoire des Afro-Descendants, et notamment chez Rhoda Tchokokam. “J’adore ce clip. Il est vraiment magnifique. Toute l’esthétique de The Velvet Rope est intéressante avec ses cheveux rouges. C’est réellement un mini-film dont j’aimerais pouvoir saisir toutes les nuances cinématographiques. Les couleurs y sont tellement riches et chaudes. Il y a une mise en valeur des corps noirs, des peaux noires, des cultures et de la joie noire”, explique la poétesse, totalement inspirée par l’icône. “On ne peut pas penser aux années 90 sans percevoir l’influence de Janet. D’ailleurs, quand j’ai écrit le poème Célébration, qui s’appelle en réalité Ce soir, j’avais en tête ces images de ‘Got ’til It’s Gone’. J’aime particulièrement la fin, avec cette pancarte qui représente la ségrégation et l’apartheid sur laquelle on balance une bouteille.” Clairement, l’influence de Janet Jackson n’a pas fini de transcender les époques. Happy birthday Queen of pop !

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