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Beauté

“Je ne veux pas juste être un corps”

Tu doutes de toi et de ton corps ? Voici le témoignage de trois mannequins, modèles d’engagement, qui ont décidé de faire de leurs corps “atypiques” – selon les canons classiques de la mode – une force. Des exemples à suivre.

Que l’on soit mince, grand, gros, avec des cicatrices ou des vergetures, on a tous à un moment de notre vie un rapport complexe à notre corps. Heureusement, depuis la naissance du mouvement body positive lancé aux États-Unis dans les années 90, on a toutes les clés en ligne pour apprendre à s’accepter. “L’avènement des réseaux sociaux, depuis quelques années, a accentué ce phénomène. Le grand public est désormais très au courant et les jeunes ont beaucoup déconstruit sur ces questions”, ajoute Marine Creuzet, auteure de Corps sous influence (Editions L’Harmattan). Résultat : on ne peut plus nous la faire à l’envers. On veut des marques qui s’engagent pour de vrai et qui ne font pas juste une campagne one shot pour surfer sur une vague marketing. La preuve que ça bouge, mais que rien n’est encore gagné avec trois profils de modèles qui ont accepté de nous expliquer leurs luttes quotidiennes et comment ils et elles en sont arrivé.e.s là. 

Amsinthe

ODILE GAUTREAU
@o.g.queen

Malgré la pandémie et les différents couvre-feux, ces derniers mois ont été riches en succès pour Odile Gautreau, 28 ans. Avec sept autres femmes engagées (dont Lous and the Yakuza, Annie Ernaux ou Aïssa Maïga), elle a fait la couverture du numéro du mois d’avril du magazine Marie Claire. Elle est également apparue en version monumentale et sourire ultra-bright sur une affiche Zalando prônant les valeurs de diversité et d’inclusivité, place du Châtelet à Paris. Un coup double gagnant pour cette jeune femme à l’afro rousse et aux traits envoûtants qui, à l’adolescence, était moquée pour ses formes et son métissage. “À l’école, on me disait que j’étais grosse et moche”, souffle-t-elle. Conséquence de ces railleries : elle a traversé des phases où elle a cherché à transformer son corps et développé des TCA (troubles du comportement alimentaire) comme l’hyperphagie (des crises de rage alimentaire impossibles à maîtriser). Un trouble contre lequel la jeune femme continue de lutter encore aujourd’hui.

Même si elle admet que son métier de mannequin l’a aidée à se réconcilier avec son corps, elle n’oublie pas que c’est un métier d’image et qu’elle est constamment confrontée au regard et au jugement des autres. “J’entends très souvent que j’ai un profil hors norme ou atypique, ce qui assoit encore plus ma différence. J’ai conscience qu’il y a encore quelques années, je n’aurais jamais pu exercer ce métier et je trouve ça important de célébrer les différences, mais le mot atypique admet qu’il y a un problème alors que je suis un mannequin, tout simplement”, souligne-t-elle. 

Ce qui la motive aujourd’hui, c’est mêler mannequinat et prise de parole. “Je ne veux pas juste être un corps”, affirme-t-elle. Heureusement, grâce aux réseaux sociaux, et notamment à Instagram, les frontières entre le mannequinat et l’activisme ont rétréci. “Avant, on demandait à un mannequin d’être un corps inanimé ; aujourd’hui, on lui donne la parole.” Une occasion qui lui permet de mettre en lumière ce mois-ci les TCA : “Il est important d’ouvrir le dialogue car on peut vite s’enfermer dans la maladie.” Quant à son avenir, la jeune femme, une pointe de spiritualité dans la voix, y pense et sait que le mannequinat lui permet déjà de mettre en place un projet dont elle ne peut encore vraiment parler. Quoi qu’il en soit, elle est confiante. “J’ai d’ailleurs toujours aimé mon corps. C’est le regard de l’autre qui m’a fait ne pas l’aimer. En prendre conscience m’a permis de renouer une relation saine avec moi-même et donc mon corps.” 

DAVID VENKATAPEN
@davidvenkatapen

“J’utilise le mot gros, ça ne me gêne pas. Au contraire, je pense même qu’il faut qu’on se le réapproprie. C’est un adjectif comme un autre qui fait partie de ma description physique, je suis grand, gros, barbu… Du coup, comme je l’utilise, on ne peut pas l’utiliser contre moi comme une insulte. Ça désarçonne immédiatement les malveillants”, explique David Venkatapen. À 46 ans, David est donc un mannequin homme “plus size”, comme on dirait dans le jargon du métier. Il a commencé il y a huit ans, en répondant à une petite annonce sur Facebook qui recherchait des profils d’hommes ronds et biens dans leur peau. “Ça me faisait marrer qu’un physique comme le mien puisse devenir mannequin”, se rappelle David. À l’époque, l’industrie ne se posait encore aucune question sur les notions d’inclusivité et de diversité. L’@agenceplusparis n’employait que trois quatre mannequins, contre une trentaine aujourd’hui. “Alors j’ai commencé à passer des castings, sans pour autant lâcher mon job à côté dans une administration publique.” 

Ça marche, mais pas assez pour gagner sa vie. Et dans un sens, tant mieux, car cet ancrage lui permet de ne pas subir de plein fouet la violence de ce milieu. “J’ai réussi à toujours garder en tête que ce n’était qu’un boulot, qu’il fallait que je ne prenne rien personnellement”, souligne-t-il. Bien sûr, il a droit à son lot de petites phrases acerbes et maladroites. “Je me suis retrouvé dans des situations où l’on parlait de moi alors que j’étais dans la même pièce. J’ai même entendu un jour : ‘On veut bien un mec gros, mais pas à ce point.’” David continue malgré tout. Il se sent investi d’une mission : “Je me dis que mon parcours peut aider d’autres personnes qui se sentent aussi hors normes. D’ailleurs, j’ai eu beaucoup de retours positifs de personnes qui expliquaient que ça faisait du bien de voir des physiques différents.” 

Alors il pratique ce qu’il appelle un militantisme soft, qui consiste à affirmer sa présence envers et contre tout. “Je revendique d’avoir le droit d’être là, d’avoir ma place. Je ne dis rien de particulier mais je suis là. Surtout, j’essaye via mon compte Instagram de montrer des hommes gros et heureux, alors que dans les médias, on a tendance à les humilier ou à se moquer d’eux. Le problème, c’est que les hommes ne parlent pas ou peu des injonctions liées à la masculinité”, analyse-t-il. Jusque très récemment, l’image de l’homme était uniquement celle d’un être puissant, viril, tout en muscles et à la mâchoire carrée, alors que cela représente une infime partie de la population masculine. Il suffit de voir le tollé qu’a provoqué la publicité Valentino montrant un homme nu et fin avec un sac à main pour comprendre que le chemin est encore long. D’ici là, David va continuer à prendre la parole et à affirmer : “Je suis différent, c’est tout.” 

@ranobrac

Michelle Grace Hunder

CHERIE LOUISE
@cherie.louise

Cherie Louise, 29 ans, est une mannequin australienne, et elle pose avec une jambe en moins. Une infirmité avec laquelle elle vit depuis l’âge de 6 ans, lorsqu’on lui a diagnostiqué un cancer des os (un ostéosarcome) et qu’on lui a amputé la jambe droite. Sur son compte Instagram, Cherie ne camoufle pas son infirmité et ne s’aide même pas à marcher avec une prothèse. “Je n’utilise pas de prothèse parce que mon amputation remonte trop haut sur la jambe. Ça ne me rendrait pas plus mobile, donc je n’en ai pas l’utilité”, explique-t-elle. 

Cherie a 20 ans la première fois qu’elle se fait photographier pour un magazine. Il s’agit d’un sujet sur elle et sur la manière dont elle arrive à prendre confiance en elle malgré son handicap. En dehors de cet épisode, les opportunités pour devenir mannequin ne se bousculent pas vraiment. Et puis la jeune femme n’y croit pas trop, pensant que, l’absence de sa jambe droite mise à part, elle n’a pas vraiment le look de l’emploi. Pourtant, encouragée par une influenceuse, @mamacax, qui présente le même handicap qu’elle, elle décide de davantage se mettre en scène sur les réseaux sociaux. Et ça marche ! “La plupart du temps, les commentaires sont très positifs. Mais je me suis pris quelques posts très négatifs, dont un d’un Français qui suggérait que ce serait facile de me violer, car avec une seule jambe, je n’allais pas pouvoir faire grand-chose.” Même si ce sont les commentaires les plus violents qui laissent l’empreinte la plus forte, Cherie a, avec le temps, appris à s’en détacher : “Ça a été très dur, mais je sais que quoi que je fasse, je recevrais des commentaires négatifs. Autant me focaliser sur le positif. Je sais que mon parcours inspire d’autres.”

Et il y a de quoi. Depuis le confinement, l’Australienne a commencé à collaborer avec Bluebella et Lounge Underwear, deux marques de lingerie, et elle a également signé avec une agence, @zebedeetalent. Quant à son engagement, même si elle ressent parfois le besoin de couper et de ne pas toujours prendre la parole, elle aimerait beaucoup participer à une meilleure représentation des personnes en situation de handicap dans l’espace public. “J’aimerais aussi créer une société qui produise des béquilles modernes et trendy.” D’utilité publique.

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