Iran : la place de TikTok et de la mode
Après plus de trois semaines de protestations contre le port obligatoire du hijab en Iran, les réseaux sociaux autant que les vêtements viennent radicalement actualiser la lutte.
Après plus de trois semaines de protestations contre le port obligatoire du hijab en Iran, les réseaux sociaux autant que les vêtements viennent radicalement actualiser la lutte.
En septembre 2022, Mahsa Amini, une femme de 22 ans, décède brutalement à Téhéran suite à des coups infligés par la police des mœurs pour n’avoir pas porté assez strictement son voile. Cette brigade est une police religieuse au sein des forces de l’ordre de la République islamique d’Iran, qui a pour tâche d’arrêter les personnes ne suivant pas à la lettre le code vestimentaire islamique – généralement centré autour du port du hijab.
La photo d’elle dans le coma est largement repartagée sur les réseaux sociaux et son histoire tragique scandalise le monde entier, d’autant plus que les autorités refusent de reconnaître une quelconque faute de leur part. Lors de ses funérailles dans une petite ville du Kurdistan, les femmes arrachent leur foulard, comme de nombreuses autres dans tout le pays. “Mahsa, tu ne seras pas morte, ton nom sera un cri de ralliement”, entend-on.
Fait notable : selon un rapport publié dans les médias d’État, 90 % des manifestantes arrêtées ont moins de 25 ans. Aujourd’hui, les vidéos de jeunes filles dans les lycées retirant leur hijab et chantant pour la liberté sont partout sur les réseaux sociaux. Certaines l’ont payé de leur vie, comme Hadis Najafi, 20 ans, Hananeh Kia, 22 ans, ou Sarina Esmaeilzadeh, 16 ans. Une nouvelle génération qui a utilisé tous les moyens numériques à sa disposition pour participer à une lutte qui n’a rien de nouveau.
@cameliakatz Duet this if you’re ready to support & fight for the women of Iran!! 🇮🇷✊❤️ #mahsaamini #nikashakarmi #freeiran #opiran #iran #iranprotest #persian #iranian #freedom ♬ original sound – em🤍
Twitter, Clubhouse et Instagram sont les plateformes préférées des Iranien.ne.s. Si le gouvernement a filtré Instagram et WhatsApp, coupé le web dans certaines villes ou ralenti dans d’autres, les protestataires ont trouvé différentes façons de surmonter les difficultés et de poursuivre une partie du mouvement sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, par exemple, le hashtag #MahsaAmini en farsi a été utilisé par plus de 200 millions de personnes, un record dans l’histoire de la plateforme.
Toranj et Atefeh sont deux filles iraniennes se décrivant comme appartenant à la Gen Z et fans de mode. Elles sont actives sur les réseaux sociaux et tiennent des rencontres hebdomadaires sur Clubhouse, où elles discutent des dernières tendances et de la Fashion Week. Elles n’ont évidemment pas manqué de prendre la parole au sujet des événements actuels. Toutes deux ont grandi avec l’éducation idéologique de la République islamique toute leur vie, mais la propagande n’a pas affecté leur génération, expliquent-elles. “Parce que nous avions les réseaux sociaux, nous avons vu plus loin”, explique Toranj. “Certain.e.s peuvent penser que les réseaux sociaux ont rendu notre génération sans but, mais c’est le contraire. Ces réseaux nous ont sensibilisé.e.s, nous ont fait réagir et assumer la responsabilité de ce qui se passe dans le monde.” Pour Atefeh, la Gen Z iranienne, qui parle bien l’anglais, est connectée au monde et peut rassembler au-delà des frontières. Par exemple, lors des drames récents, les deux jeunes femmes ont utilisé leurs réseaux sociaux pour demander à leurs artistes préférés de réagir et de les soutenir. Mais pour elles, la révolte iranienne de 2022 dépasse la seule jeunesse : “Le mouvement que nous voyons aujourd’hui est le résultat de nombreuses générations avant nous.”
Passionnées de monde, Atefeh et Toranj sont toutefois mécontentes de la lenteur de la réaction dans l’industrie. Pour elles, la mode est soit trop silencieuse soit maladroite, comme Elle US ou Diet Prada, qui ont certes abordé la situation en Iran mais en évoquant les femmes d’Occident au lieu de donner la parole aux femmes iraniennes qui risquent leur vie en jetant leur foulard au feu. Toutefois, après un long silence, Balenciaga et Gucci, deux marques appartenant au groupe Kering, ont pris fermement position.
Paria Farzaneh est une créatrice de mode iranienne basée à Londres. Dans ses collections, elle s’inspire de l’histoire visuelle des Iranien.ne.s contemporain.e.s et des histoires quotidiennes de sa jeunesse. Pendant les manifestations, elle a aussi utilisé les réseaux sociaux pour demander à son public de diffuser les nouvelles iraniennes et de discuter des événements. Pour elle, si l’industrie de la mode n’a pas offert beaucoup de soutien, c’est parce que, “pour beaucoup de gens, parler de ce qui se passe en Iran ne sert à rien”. “L’ignorance, c’est le bonheur”, dit-elle.
Pourtant, l’influence de la mode et de ses codes est omniprésente en Iran. En témoigne cette vidéo sur Twitter dans laquelle un groupe de jeunes filles marchent en ligne au milieu d’une rue bondée à Téhéran. “Le défilé de mode le plus puissant que j’aie jamais vu”, commentent les twittos.
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Je demande à Paria si elle pense que la mode joue un rôle essentiel dans l’agentivité des femmes iraniennes : “Historiquement, les régimes totalitaires demandaient aux gens de porter un uniforme, de penser de la même façon. Mais la mode apporte une certaine liberté d’expression”, décrypte-t-elle. Ce que confirme Chahla Chafiq, une écrivaine iranienne et militante des droits des femmes, qui observe depuis des années comment la jeune génération lutte contre le dress code islamiste en portant des manteaux plus courts, des vêtements colorés, en relevant leur foulard… “Il était clair pour moi que c’était une forme de résistance”, écrit-elle.
Arracher son hijab est donc la suite logique de ce mouvement de résistance, comme se couper les cheveux, un geste de soutien aux Iraniennes qu’on a vu chez des personnalités comme Juliette Binoche, Marion Cotillard, Isabelle Adjani, Isabelle Huppert ou la chanteuse belge Angèle, disant agir ainsi “pour la liberté”.
Pour Chahla Chafiq, il s’agit d’une performance envoûtante dont le symbole est enraciné dans les récits mythologiques iraniens, comme celui où une femme peigne ses longs cheveux qui tombent dans la rivière et s’en vont faire pousser des arbres partout où ils passent. Dans certaines régions d’Iran, les femmes coupent leurs cheveux en signe de deuil. Une tradition qui existe dans d’autres pays et qui est lourde de sens. “C’est comme planter une graine. Les cheveux sont un symbole de croissance et de naissance”, explique Chahla Chafiq, pour qui on retrouve la même idée dans le slogan de ce mouvement : “Femme, vie, liberté”. Et renaissance.