Non faut pas déconner, joue pas au gros bonnet, tu t’feras détrôner, faudrait mieux raisonner
Été 2006, j’ai 17 ans. Je viens d’obtenir un bac scientifique mention bien, mais on m’a jugée inapte à poursuivre le cours de mes études. Je n’ai d’autre perspective que l’internement en clinique psychiatrique. Les médecins m’avaient prévenue : “T’as six mois pour te refaire sinon tu sais ce qui t’attend.” Orgueilleuse et farouche, je refuse les soins que l’on m’administre. Je conchie les psys, boude leurs remontrances, leurs jugements catégoriques, leurs pensées factices.
La crise a ses raisons qu’il faut savoir entendre. Si je pouvais remonter le temps pour m’adresser à l’ado révoltée tenant tête aux éminences grises, je lui dirais de ne rien regretter. Je l’écouterais, la questionnerais, la laisserais exprimer sa colère, dire sa peine, ses luttes sourdes et ses névroses. Issu du grec krisis, la crise renvoie au moment critique, à la prise de décision, au passage à l’action. Les crises ne durent pas, elles sont des préalables nécessaires à la guérison.
Les blouses blanches qui m’ont enfermée n’ont vu dans la crise que dissonance et menace. Un matin, c’est la camisole, le corps qu’on isole, les sédatifs, cerveau atone. Je suis retenue captive depuis quatre mois. Anorexique, prisonnière et coupable. De n’avoir pas pu, de n’avoir pas su. Accepter, affronter, se soigner. On n’est pas sérieux quand on a 17 ans… On n’est pas armé.e, pas équipé.e. On se laisse vivre, aller à la dérive. Mais si ça n’était qu’une étape, parenthèse enflammée qui, quelques années plus tard, me mènerait vers la guérison ?
Janvier 2008, j’ai 18 ans. Je sors de la clinique après plusieurs mois d’isolement. Je suis déscolarisée. L’institution a gagné. Les adultes ont gagné, ou du moins ils le croient. La maladie, elle, ne m’a pas lâchée. Je ne la nie plus, je la défie, m’éprouve à la faire taire. En attendant l’arrivée des beaux jours, elle devrait encore me jouer quelques vilains tours.